Turquie : Les mini-documentaires en plein essor

12/03/2023 mis à jour: 01:33
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A ce jour, 269 suspects – entrepreneurs et promoteurs – ont été arrêtés et des poursuites judiciaires ont été engagées contre un millier de personnes

Le vieil homme s’est précipité à leurs trousses pour leur demander conseil. «On me dit que mon immeuble doit être détruit», lance-t-il à l’adresse du groupe d’avocats casqués qui patrouille son quartier d’Aksaray, à Antakya.

Depuis le séisme du 6 février, qui a fait au moins 46 000 morts et plus de cent milliards de dollars de dégâts, selon l’ONU, les barreaux des 81 provinces turques dépêchent leurs adhérents dans les zones sinistrées pour collecter toutes les données possibles. Regroupées dans une base nationale, elles permettront peut-être de juger un jour les responsables du lourd bilan. Photographies des bâtiments endommagés, mesure du diamètre des fers à béton, qualité des matériaux... «Nous inspectons tous les immeubles un par un pour collecter des preuves afin d’empêcher qu’elles disparaissent avec les décombres», explique Ahmet Kandemir, avocat du barreau d’Antakya (sud), ville la plus dévastée, qui reçoit régulièrement le renfort de confrères venus d’autres villes. Car hormis la magnitude de la secousse (7,8), entrepreneurs turcs et autorités ont parfois conduit ou approuvé des projets immobiliers qui n’auront laissé aucune chance à leurs occupants. En casque de chantier jaune et gilet fluo, la vingtaine d’avocats remonte ce matin-là une rue d’un quartier résidentiel populaire, fait d’immeubles de trois, quatre étages au plus et dont les rez-de-chaussée étaient souvent occupés par des commerces. Etaient. Car cet immeuble rose pâle qui penche dangereusement s’est enfoncé dans le sol et la boucherie-boulangerie est désormais à peine visible, son enseigne au ras du bitume. 

Faire vite 

A côté, le bâtiment framboise de Mehmet Ezel, une construction familiale dont cet agent de sécurité de 38 ans vient récupérer le chauffe-eau solaire, a tenu bon. Mais l’immeuble voisin a arraché tout son flanc gauche en s’écroulant. Dans ses décombres, une des avocates mesure le diamètre des fers à béton : 5 mm, là où il en aurait fallu 12. «On est tous là bénévolement et de notre propre initiative, pour que les preuves ne disparaissent pas. On les utilisera pour instruire les contentieux», insiste Firatcan Kaliz, avocat du barreau d’Antalya, ville située à 500 km à vol d’oiseau, accouru en renfort. 

Deux autres équipes patrouillent d’autres secteurs dans le même but. A ce jour, 269 suspects –entrepreneurs et promoteurs – ont été arrêtés et des poursuites judiciaires ont été engagées contre un millier de personnes impliquées dans la construction de ces immeubles, dont plusieurs alors qu’elles tentaient de fuir le pays. Mais il faut faire vite : les ruines de la résidence Rönesans, 250 appartements dits de luxe, dans laquelle le footballeur ghanéen Christian Atsu et des centaines de personnes ont péri, ont déjà été évacuées. «Il y avait encore des corps... si ça se trouve on marche dessus», hasarde, désemparé, un jeune soldat en patrouille. Croisé dans les ruines de la vieille ville, Rüstü Kanli, un entrepreneur, dit revenir tous les jours examiner les lieux : «Le gouvernement nous met tout sur le dos... Et les ministres ? Et les autorités ?» «Il y a beaucoup de leçons à tirer de cette catastrophe, estime-t-il, et pas seulement pour nous.» 

Sous une tente en face 

Ömer Unsaldi a perdu 14 membres de sa famille et, à 67 ans, a dû évacuer l’appartement promis à la destruction. Il l’avait acheté il y a 15 ans et vit désormais sous une tente, en face de l’immeuble, comme Mehmet son voisin, sur le terrain de volley-ball. Voir les avocats au travail le rassure. «C’est bien, moi je n’ai pas d’éducation, vers qui pourrais-je me tourner ? Ils vont nous guider», espère en pleurant l’ancien chauffeur de minibus qui, avec ses 6000 livres (300 euros) de pension et huit proches à charge, ne se voit plus d’avenir. Nazli Efe, avocate d’Antalya, précise que des permanences juridiques ont été instituées dans les 11 provinces sinistrées. C’est vers elles que renvoie Ahmet Kandemir, interpellé par un homme émacié au regard fiévreux. 

Portable en main, Cevdet Kanatli vient témoigner de son malheur : il s’est endetté pour acheter un logement dans lequel il aurait dû emménager mi-mars. Le chauffeur de bus doit désormais 500 000 livres (25 000 euros) à la banque. Mais le séisme a englouti son appartement et ses rêves avec.

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