Le président égyptien, Abdel Fattah Al Sissi, a averti hier que «l’Egypte ne permettra à personne de menacer la Somalie», après un accord maritime controversé entre l’Ethiopie et la région séparatiste du Somaliland, selon des propos recueillis par l’AFP.
Lors d’une conférence de presse conjointe au Caire avec le président somalien, Hassan Cheikh Mohamoud, Al Sissi a réitéré le rejet, par l’Egypte, de l’accord qu’il considère comme une violation de la souveraineté de la Somalie. Dans un «message aux Ethiopiens», il a mis en garde contre «quiconque tente de s’en prendre à l’Egypte et de menacer ses frères».
Le Caire et Addis-Abeba sont à couteaux tirés depuis des années, échangeant des propos inquiétants au sujet d’un projet de mégabarrage controversé de l’Ethiopie sur le Nil Bleu, qui, selon l’Egypte, menace sa fragile sécurité hydrique.
Plus tôt, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a demandé à ce que les tensions entre l’Ethiopie et la Somalie au sujet du Somaliland soient réglées par «le dialogue».
Les tensions sont fortes entre les voisins de la Corne de l’Afrique depuis un rapprochement entre Addis-Abeba et le Somaliland, matérialisé par la signature le 1er janvier d’un «protocole d’accord» prévoyant la location pour 50 ans à l’Ethiopie de 20 km de côtes du Somaliland sur le golfe d’Aden. Les autorités somalilandaises ont affirmé qu’en échange de cet accès à la mer, l’Ethiopie allait devenir le premier pays à les reconnaître officiellement, ce qu’aucun n’a fait depuis que ce petit territoire de 4,5 millions d’habitants a unilatéralement proclamé son indépendance de la Somalie en 1991.
La Somalie, qui a exclu toute médiation avec l’Ethiopie sans retrait de l’accord, a promis de combattre par «tous les moyens légaux» ce texte, qui constitue, selon elle, une «agression» éthiopienne. «Nous sommes toujours guidés par nos principes et nos principes sont liés à l’unité, à la souveraineté et à l’indépendance territoriale des pays, dont la Somalie», a affirmé A. Guterres lors d’une conférence de presse à Kampala, lors du sommet du groupe G77+Chine, comprenant 134 pays en développement. «Nous espérons que par le dialogue, il sera possible de surmonter la situation actuelle», a-t-il conclu.
A la recherche d’un accès à la mer
A l’issue d’une réunion extraordinaire jeudi, le bloc régional est-africain, à savoir l’autorité intergouvernementale pour le développement (Igad) a exhorté les deux pays à une «désescalade» et à «un dialogue constructif», tout en appelant au «respect de la souveraineté, de l’unité et de l’intégrité territoriale» de la Somalie.
Le président somalien, Hassan Cheikh Mohamoud, a participé à cette réunion mais aucun représentant éthiopien n’était présent. De nombreux pays et organisations internationales (Etats-Unis, Chine, Union européenne, Union africaine, Ligue arabe en tête) ont appelé au respect de la souveraineté somalienne.
Deuxième pays le plus peuplé d’Afrique (120 millions d’habitants), l’Ethiopie est en quête d’un accès à la mer Rouge, qu’elle a progressivement perdu après l’indépendance en 1993 de l’Erythrée, qu’elle a annexée dans les années 1950. Le pays fait transiter la plupart de ses échanges par Djibouti. En 2018, l’Ethiopie avait déjà acquis 19% du port de Berbera, selon DP World, une société qui gère les opérations de ce port du Somaliland. Elle en détient 51%, et le Somaliland possède les 30% restants.
Région relativement stable comparée au reste de la Somalie en proie au chaos depuis trois décennies, la République autoproclamée du Somaliland dispose de ses propres institutions, imprime sa monnaie et délivre ses passeports, mais l’absence de reconnaissance internationale la maintient dans un certain isolement. Elle reste pauvre, malgré sa situation stratégique sur la rive méridionale du golfe d’Aden, sur l’une des routes commerciales les plus fréquentées au monde, à l’entrée du détroit de Bab Al Mandeb menant à la mer Rouge et au canal de Suez.
L’accord du 1er janvier marque un regain de tension entre les deux voisins dont les relations historiquement tumultueuses, marquées notamment par deux guerres pour la région disputée de l’Ogaden (1963-64, 1977-78), se sont un peu apaisées ces dernières années. Le 13 octobre, le Premier ministre Abiy Ahmed a réaffirmé que «l’existence de l’Ethiopie en tant que nation (était) liée à la mer Rouge», que son pays a besoin d’un port et que la «paix» dans la région dépendait d’un «partage mutuel équilibré» entre l’Ethiopie, enclavée, et ses voisins ayant accès à la mer Rouge, citant Djibouti, Erythrée et Somalie.
Face aux craintes suscitées par ces déclarations, il avait toutefois assuré qu’il «ne fera(it) jamais valoir ses intérêts par la guerre».