Taous Marguerite Amrouche : La voix des ancêtres

14/04/2024 mis à jour: 23:49
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 Les ancêtres, ces êtres, souvent à la dimension allégorique dans l’imaginaire populaire qui se perpétue tel un éternel, cet éternel succession du jour et de la nuit, qui nous rappelle à nous, les humains, que la lumière est indissociable de l’obscurité et que leur succession est porteuse à la fois de la joie et de la tristesse à cet indicible âme humaine. 

Une âme perpétuellement à la recherche du chemin de son salut en ce monde, pourtant dit éphémère, mais dont chaque instant est un combat impitoyable et souvent disproportionné sur l’arène de la survie. Une survie souvent arrachée par un lourd tribut payé aux ironies des temps perdus

Et le pire des tributs est l’exil et le déracinement, car ses plaies restent toujours ouvertes et inguérissables. Accompagnant ainsi l’homme malgré vers les rivages de la finitude. Et qui n’a pas souffert de l’exil sur cette terre du Maghreb, pays de larmes et de sang, perpétuelle proie à des envahisseurs pourvoyeurs d’injustice et de reniements. Oui, l’exil est un euphémisme face au déracinement mais les deux : et l’exil et le déracinement blessent, laissent des cicatrices ailées qui battent de leurs ailes ces âmes tourmentées par l’amertume de la perte et de la terre et de cette inconsolable passion pour la mère partie, dont les tétons sont tristement privés de la bouche de sa progéniture, partie vers un exil forcé. Et c’est dans cette thématique au verbe perpétuellement renouvelé par la douleur et l’immense floraison de ses champs lexicaux, dont la poésie est son cœur battant, que la souffrance de ces terres lointaines s’exprime avec une langue d’une fécondité proverbiale.


Le grain magique d’un exil rebelle 


De l’épopée des Amrouche , Taous était la fille-sœur de sa mère, sa sœur siamoise dans la quête de leur racine, sarclant la terre des ancêtres avec le verbe de l’exil. Ô ce verbe de l’exil si aiguisé qu’il défriche les plus coriaces de terre, les plus résistantes à la témérité des paysans du verbe ! Le grain magique est aussi le titre d’un recueil de contes de Taous Amrouche, de ces contes qui ont enchanté son enfance, une œuvre puisée dans la culture populaire kabyle ancienne et de son incommensurable richesse. Le grain de Taous Amrouche est un appel à revisiter son enfance d’errance, de fuite même pour des lieux où l’on n’en pose jamais pied sans que la douleur de l’exil ne soit lancinante et irrévocable au pied de l’éternelle exilée.

 La poésie est aussi, dans Le Grain magique, omniprésente de par sa recherche audacieuse dans ce mode d’expression orale de la société kabyle ancienne, car, faute de l’écrit, la population a toujours fait appel au poème pour dire ses joies et ses déceptions, comme l’est d’ailleurs le proverbe et le dicton. C’est dans ces champs arables que Taous Amrouche jeta sa fauche pour moissonner l’héritage oral des bardes kabyles pour les inscrire avec ardeur sur le parchemin de la postérité. Telle fille, telle mère, Taous chevillée à la langue de sa mère, écoutant les complaintes à peine susurrées de Fadma Ath Mansour, cette femme forgée dans l’airain du courage et de l’abnégation, et les espoirs à haute voix dits pour faire réveiller dans l’esprit de ses enfants cet éveil hivernal, de ces éveils réfractaires à l’usure du temps. Née le 4 mars 1913 à Tunis en exil, loin du pays de ses ancêtres, loin de ses collines ensoleillées qui brillent comme des chaînes en or sur le cou de cette belle et rebelle Kabylie, allègrement verdie. Mais  Taous Amrouche, assise sur le giron de sa mère, écoutant durant des années les chants de sa génitrice et contemplait ces larmes à la couleur bleu foncé, car mêlée à ce fard naturel qui vient de la Kabylie profonde, cette poudre qui donne aux yeux un regard fougueux et aux larmes un goût amer. 


Dans Rue des tambourins, Taous Amrouche bat l’instrument à percussion pour faire remonter les souvenirs du passé Rue des Tambourins est un récit fortement autobiographique de Taous Amrouche en exil. L’autrice du Grain magique, dans son récit autobiographique, écrit dans un style romancé, raconte les péripéties de sa vie quotidienne en Tunisie où elle était confrontée à l’interculturalité : la culture ancestrale de sa Kabylie natale et celle de son pays d’accueil, la Tunisie. Ajouter à cela se culture française et la perspective d’un mariage avec un Français. Une sorte de lutte dans une arène étroite face à deux adversaires à la puissance d’un Goliath, déterminé à terrasser un David si minuscule et apparemment impuissant.

 Mais la détermination de Taous Amrouche dans la peau de David finira par surpasser la puissance des deux géants et s’élèvera de sa voix munie de la sarisse des ancêtres, crevant ainsi la peur de se fondre dans une culture étrangère. Au contraire, Taous Amrouche a su allier sa passion pour l’autre et son indéfectible fidélité pour ses origines. Le choix de ces deux œuvres de Taous Amrouche, Le Grain magique et la Rue des tambourins, est mu par la volonté de mettre en relief deux œuvres phares de la fille de Ighil Ali : la première est intrinsèquement liée à un substrat purement ancestral et l’autre est bigarrée par d’autres cultures, bien que fécondes, ne pussent ôter à la matrice maternelle de Taous Amrouche sa sève ancestrale. 


Taous Amrouche, le chant comme voie de résistance 


Les chants de Taous Amrouche sont des passeurs de la culture kabyle vers l’université par l’interprétation, l’incarnation et la perpétuation des poèmes kabyles et des chants traditionnels, véritable réservoir inépuisable du ressenti de la femme kabyle. Car la femme kabyle n’avait que le chant pour dire ses émotions et le verbe pour les tisser dans le secret des dieux. Taous Amrouche de par sa voix profonde et majestueuse a su draper ses chants voilés du secret, de la blancheur opaline du jour. Elle était semeuse du non-dit et dépoussiéreuse de ce magnifique legs ancestral qui est le chant kabyle ancien en le portant au sommet de l’universalité. Taous Amrouche reste une femme d’une grande valeur littéraire et culturelle. Ses œuvres sont des hymnes de résistance et des œuvres qui veillent sur le legs des ancêtres. 


Arezki Hatem 
(Correspondance particulière) 

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