La tombe de l’écrivain français Chateaubriand est en péril : bâtie selon son vœu en bord de falaise face à la mer, sur un îlot près de Saint-Malo, sur la façade atlantique de la France, elle est menacée par l’érosion.
«En montant par le chemin, je me suis dit que la tombe ne va pas rester éternellement là», constate Véronique Callot, touriste venue admirer la tombe de ce pionnier du romantisme (1768-1848), qui jouit d’un panorama sublime sur les flots de la côte d’Emeraude. Car en scrutant de près la tombe construite sur l’îlot inhabité du Grand Bé, accessible seulement quelques heures par jour à marée basse, on s’aperçoit que l’un des piliers en granite flirte dangereusement avec l’à-pic. «Le côté droit de la tombe est au bord de la falaise, alors qu’il y a 15-20 ans on pouvait faire le tour de la tombe à pied», soupire le maire Gilles Lurton, 50 ans.
Michel Désir, administrateur de la société de Chateaubriand, est également inquiet. «A ce jour, il m’est désormais impossible d’accéder par l’arrière du tombeau pour fixer sur la croix la gerbe de blé et de fleurs des champs, pose traditionnelle du 4 juillet, anniversaire de la mort de l’écrivain». «Il y a deux ans, je pouvais me glisser avec précaution. L’année dernière je pouvais passer un pied en me tenant à la grille. Cette année, j’ai escaladé la grille.
L’année prochaine ?», s’interroge-t-il. Devant la tombe, protégée par un fil de sécurité, de nombreux touristes étrangers passent sans savoir qu’ils ont sous leurs yeux la dernière demeure de l’un des plus grands écrivains français, car ni date ni nom ne figure sur cette dalle de granite anonyme surmontée d’une imposante croix. Seule une plaque, apposée sur un muret à proximité, rend hommage à l’auteur des Mémoires d’outre-tombe avec ces mots : «Un grand écrivain français a voulu reposer ici pour n’entendre que la mer et le vent. Passant respecte sa dernière volonté.»
Proche du vide
Si le risque d’effondrement n’est pas imminent, la mairie, propriétaire de la tombe, a décidé de réaliser une étude. «On a pris la décision de lancer une mission de diagnostic et après on demandera l’avis de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac)», explique Gilles Lurton, précisant que les résultats devraient être connus en 2024. Peut-on envisager de déplacer un jour la tombe et la dépouille de l’enchanteur ?
«Ailleurs que sur le Grand Bé, ça me paraît compliqué. Pour moi, s’il faut la déplacer, il faut la reculer, mais je m’avance beaucoup en disant cela : si des fois on devait déplacer la tombe ça devient un événement national», relève le maire. Venus du Finistère, Cathy et Antoine, la cinquantaine, ne sont eux pas étonnés de l’aspect de la tombe et du péril qui la guette.
«Avec les coups de tabac, la côte s’effrite de plus en plus. Sur le GR 34 (le sentier qui parcourt la côte bretonne, ndlr), il y a de plus en plus de portions fermées. Le trait de côte change, on s’habitue à l’érosion en Bretagne et on le voit même ici», se lamente Cathy, qui ne préfère pas donner son nom de famille. Grand amateur du Romantisme et du XIXe siècle, Frédéric, 36 ans, Parisien en week-end à Saint-Malo, se fait lui philosophe. «Je me demande ce que Chateaubriand aurait souhaité... Que le tombeau se laisse détruire par les phénomènes naturels ? Car pour les romantiques, l’homme est au centre d’une nature plus grande que lui et qui peut le terrasser.»