Styliste soudanais Mauor Majeng : De l’enfant soldat à l’enfant chéri de la mode

28/01/2024 mis à jour: 21:18
AFP
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Le couturier et mannequin sud-soudanais Mamuor Awak Majeng pose en marge de son défilé lors de la Fashion Week Haute-Couture Femme Printemps-Été 2024 à Paris le 23 janvier 2024. AFP Thomas SAMSON

Enfant soldat au cœur de la guerre civile soudanaise, Mamuor Majeng, au physique «qui ne ressemble à personne», s’est propulsé en deux ans de son village au firmament de la mode, devenant l’égérie Balmain et créateur lui-même, à seulement 21 ans.

 

En 2023, Mamuor Awak Majeng, de son nom complet, a été le mannequin le plus sollicité avec 59 passages en Fashion Week, de Balmain à Saint Laurent en passant par Fendi ou Rick Owens, et un couronnement comme «mannequin de l’année» par le site models.com. Peau ébène et regard noir qui aimante par son intensité, le «top» du moment virevolte, faussement cool dans les coulisses mardi de son premier défilé en tant que designer, organisé en quelques jours seulement à l’espace Niemeyer à Paris. Mi-berger, mi-gangsta, le top model basé à Londres est en caleçon sous un immense manteau de fausse fourrure blanche, un clin d’œil aux peaux de bête où dorment les membres de son ethnie, les Dinka, peuple d’éleveurs du Soudan du Sud. 

«Tu tapes comme ça», dit-il en donnant une leçon magistrale de «walk» en talons hauts pour les mannequins hommes et femmes qui s’apprêtent à défiler sur le podium. «Je pensais que je serais mannequin toute ma vie, mais j’ai commencé à penser qu’il fallait que je fasse quelque chose», explique-t-il dans un sourire qui laisse voir ses «grillz», ces diamants pour dents qui font fureur en ce moment.
 

«Petit village» 

Le destin de Mamuor Majeng s’est joué il y a trois ans lors d’un appel internet de 5 minutes, après que l’adolescent, qui postait quelques vidéos de musique, fut repéré par Yves Constant, le spécialiste des modèles au Soudan du Sud. Terre de mannequins, mais surtout terre de guerre, le pays est ravagé depuis 2020 par un conflit marqué par des atrocités à caractère ethnique, des viols et des tortures, qui a fait plus de 380 000 morts et provoqué une crise humanitaire. Le jeune homme, seul homme et aîné de sa famille, hésite pendant un an. «Je ne suis pas de ce milieu, (...) je viens d’un petit village. Je me suis dit: c›est un peu bizarre.» La plus grande agence de mannequins au monde, Elite, finit par le recruter, lui prépare son visa et le fait défiler en 2022 à Paris. «C’était une évidence, personne ne lui ressemble, il est hypnotique», résume son agent. Le milieu de la mode redoute la polémique plus que tout mais il pratique bien le «colorisme», cette discrimination à la teinte de peau qui a porté un temps aux nues les mannequins noires plus claires comme Naomi Campbell et plébiscite aujourd’hui la carnation très foncée des Dinka.
 

Camouflage 

Des troubles de son enfance, Mamuor Majeng refuse de parler en mots. Mais il en parle en tissus, couleurs et allures. «On peut faire en sorte que ça ait l’air élégant mais c’est là-dedans que j’ai été élevé», dit-il à propos de la violence et du trauma. «Quand j’étais attaqué, quand je les voyais s’en prendre à mon peuple, c’est tout ce que je voyais, ce camouflage qui représente l’ennemi», dit-il en montrant une tenue en patchs de kaki. Plus loin, une mannequin porte un poupon noir en plastique sous le bras. Comme «quand ma mère me portait, moi ou mes frères et sœurs, et que la guerre faisait rage», se remémore celui qui se regarde dans le miroir en se disant qu’il ressemble à sa mère. 

La marque baptisée demi Mamuor est un hommage à la culture «gangsta» et aux bad boys et bad girls qui surmontent la violence. La collection, entièrement autofinancée, est appelée «War Zone». «Tout ce qui a lieu, il faut que les générations suivantes sachent que ces choses ont existé», assène-t-il.
 

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