- L’anglais sera introduit dès cette année scolaire au primaire. Qu’en-pensez-vous ?
L’idée est excellente. Personne ne peut la contester. Toutefois, elle mérite d’être prise avec plus de sérieux et de rigueur. En fait, il y a un grand souci par rapport au moment de l’introduction de cette nouvelle langue.
Lorsqu’on sait qu’un enfant ne maîtrise pas encore l’alphabet, et que l’on introduise deux langues supplémentaires avec les mêmes lettres mais avec des prononciations différentes, le résultat ne pourrait être que décevant.
Comment veut-on qu’un enfant puisse s’en sortir avec trois langues, dont deux nouvelles introduites en même temps ? Cela va être très compliqué. Sincèrement, si l’on ne prévoit pas des petites séances de terminologie de façon à présenter des activités ludiques pour l’enfant pour progresser graduellement, ce projet ne marchera pas.
L’Algérie avait essayé de lancer, au milieu des années 1990, un projet similaire. Les parents avaient le choix entre l’anglais et le français. Le projet était une calamité notamment pour les élèves qui n’avaient pas fait de français au primaire.
Nous craignons vraiment un nouvel échec. Nous n’avons qu’à prendre l’exemple du tamazight. Même s’il a une base dans la société algérienne, elle trouve encore du mal à intégrer correctement le parcours scolaire de l’élève.
- Pourtant le ministère de l’Education déclare que «tout est prêt et étudié» pour lancer ce projet dans les prochains jours...
Impossible. L’anglais n’est pas facile et n’est pas parlé en Algérie. Même à la télévision, les dessins animés sont soit en langue arabe, soit en français. L’anglais ne fait pas partie de notre quotidien et de notre culture.
L’introduire c’est excellent, mais se précipiter serait mortel pour un projet si ambitieux et d’avenir. Dire que tout est prêt est plutôt du populisme et pas autre chose.
Sans former réellement les enseignants, sans avoir un programme adapté, sans préparer le manuel scolaire et le curricula, il est impossible de lancer ce projet pédagogique en bonne et due forme.
Franchement nous nous attendions, en tant que pédagogues, à d’autres projets pour la réforme de l’enseignement au primaire. En priorité, l’allégement du programme.
Il aurait été plus judicieux de prendre le temps pour bien préparer cette introduction de l’anglais en suivant plusieurs étapes. Il aurait fallu penser à alléger le programme en premier lieu. Même pour le livre, que vont-ils prendre pour enseigner ? Celui de la première année moyenne n’est pas compatible avec des enfants de 8 ans.
En respectant les normes internationales, un manuel scolaire doit passer minimum 16 mois en préparation. Sa finalisation prend 2 ans après sa mise en circulation. Je vous rappelle par ailleurs que nous n’avons pas d’inspecteurs de langues pour l’anglais au primaire.
C’est une décision improvisée et populiste. Le populisme peut avoir de la place dans les secteurs de l’habitat, de l’industrie mais pas dans l’enseignement.
- Que faudrait-il faire aujourd’hui alors ?
Il faut prendre le temps de lancer les projets pédagogiques. Il faut aujourd’hui reporter l’enseignement de l’anglais pour la rentrée scolaire 2023-2024 et aller vers une meilleure préparation de l’enseignement primaire.
La première des choses à faire est d’alléger le programme. Il est également indispensable de revenir à l’ancien système avec 6 ans au primaire et 3 années au CEM.
Nous voyons très bien ces enfants au CEM en contact direct avec des adolescents et l’impact que cela engendre sur leur comportement, le degré d’apprentissage et surtout leur évolution pédagogique à long terme.
Il est ainsi plus judicieux d’aller vers l’enseignement du français en 3e AP et de l’anglais en 4e AP. Il faut également revoir tout le système d’apprentissage des langues en Algérie, étant donné que l’actuelle méthode est antipédagogique.
Selon les normes, l’apprentissage des langues devrait être intensif dans l’enfance et diminuer au fil des années et non pas le contraire. Lancer hâtivement l’anglais serait un échec programmé pour ce projet ambitieux et prometteur.