Sédentarisation des nomades en Algérie : Ancrage culturel dans l’habitat rural à Bou Saâda

01/03/2022 mis à jour: 00:19
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La maison a été réalisée en respect de la mémoire de la population agropastorale, qui tourne autour de la «kheima» (tente)

La conception des logements en Algérie était toujours une véritable énigme, non seulement sur le plan architectural, mais surtout vis-à-vis de l’ancrage culturel, sociétal, voire environnemental, de la population. 

En réponse à cette problématique, l’architecte et activiste dans le domaine de l’environnement à l’échelle nationale et internationale, Abderrazak Messaad, a initié bénévolement un nouveau projet, dont l’objectif est la sédentarisation des nomades de Bou Saâda, dans la wilaya de M’sila. Un projet qui a été déjà lancé, il y a des dizaines d’années, soit à l’époque coloniale ou par les autorités algériennes après l’indépendance. 

Mais la question qui se pose est la suivante : ces pouvoirs ont-ils réellement réussi ? Hélas, les anciens nomades ont déserté ces habitations en béton, qui ne répondaient pas  à leur mode de vie, en l’absence de l’aspect spatial et culturel de cette région. «Les idées pour un architecte sont des solutions à une problématique qui touche la société, précisément dans le domaine de l’habitat. Ici, on parle de l’habitat rural des ex-nomades. 

Cette frange de la société est installée dans  des régions excentrées, où l’accessibilité est très difficile, même pour transporter les matériaux de construction», a déclaré Abderrazak Messaad, en marge de sa conférence animée dans le cadre du salon national Builtec organisé du 20 au 23 février à Constantine.

 Et de poursuivre que «la problématique est que ces gens n’étaient pas suffisamment pris en charge dans le domaine de l’habitat. Il faut dire qu’à la veille de l’indépendance, la société agropastorale représentait la majorité de la population algérienne. Donc, les solutions adoptées pour cette frange de la population ne sont pas adaptées à leur culture». 

Une tentative à haut risque  

Mais quel genre de solutions apporter pour convaincre cette frange de la population à sédentariser ? En réponse à cette question, l’architecte estime qu’elle est générale et devrait se poser sur le plan typologique de l’habitat actuel de manière globale en Algérie, où les constructeurs n’ont pas pris en considération la dimension culturelle et sociospatiale de cette population. Pour lui, il faut se demander quels sont l’origine et l’ancrage des constructions actuelles ? Mais pour les nomades de Bou Saâda, la question à poser sur les solutions envisagées devrait être «très pointue», selon le conférencier. 

En se basant sur les propos de l’architecte Abderrezak Messaâd, qui est également secrétaire général de la Fédération nationale de la protection de l’environnement et président d’une association écologique locale à Bou Saâda, la conception des logements réalisés au préalable n’a été fondée sur aucune étude anthropologique et socioculturelle sur le peuple algérien.

 Une autre manière qui a procédé à la déculturation du peuple, qui a ses particularités et ses habitudes.  Vu leur mode de vie existant depuis des siècles caractérisé par le déplacement chaque saison, il est très difficile de convaincre les nomades à se sédentariser en un seul endroit durant toute l’année. 

On se retrouve en train de tourner toujours au tour de l’ancrage culturel. «D’abord, moi je suis de la région dont on parle qui est Ouled Naïl, à Bou Saâda. Selon les statistiques publiées, 60% des logements ruraux réalisés au profit de ces gens sont vides. Nous avons compté sur 100 maisons une soixantaine abandonnées ou exploitées comme écuries. 

Donc la question est là : pourquoi elles sont vides ?», a-t-il souligné, indiquant que les besoins socio-économiques n’ont pas été pris en charge lors de la construction. «Actuellement, il y a des études et des articles scientifiques qui sont publiés ou en cours de publication. Pour revenir aux nomades, il faut qu’il y ait une étude morphologique de cette catégorie de la population. Les nomades ou les ex-nomades  ne sont pas des constructeurs. Donc, il faut faire très attention en leur réalisant des maisons. 

C’est un groupe de personnes qui a ses réflexes. Un travail d’architecte doit être un tout, apportant une solution et prenant en compte le côté social, culturel et le mode de consommation de l’espace par une famille. C’est à partir de cet ensemble d’éléments que l’architecte doit commencer à faire son plan», a-t-il insisté. C’est la raison pour laquelle un groupe de bénévoles chapeauté par Abderrazak Messaad a lancé quatre expériences dans la région, en se focalisant sur plusieurs approches disciplinaires qui étudient tous les aspects du mode de vie des concernés. 

Les habitations ont été réalisées par rapport à la mémoire de la population agropastorale, qui tourne autour de la «kheima» (tente). D’après les indices préliminaires, affirme notre interlocuteur, il y aura de très bons résultats. «Surtout que nous avons déjà lancé des projets similaires auparavant. Nous avons corrigé ce qui n’allait pas pour le reprendre à nouveau», a-t-il dit. 

Une «kheima» en béton 

Quand on parle d’un nomade, instantanément l’image des gens qu’on ne peut géolocaliser nous traverse l’esprit, mais cette règle en réalité n’est plus courante.  Abderrazak Messaad rappelle les faits historiques de la colonisation qui a forcé les nomades à se sédentariser. «Même après l’indépendance, les gouvernements avaient aussi incité les gens à se sédentariser à travers les programmes des villages socialistes et les logements ruraux et ainsi de suite.

 Le nomade n’avait pas d’adresse, mais aujourd’hui, en réalité il a une adresse. Il y a une mutation sociale, particulièrement avec l’influence des changements climatiques, où le travail agropastoral est devenu de plus en plus dur et de plus en plus exclusif à cette frange de population », a-t-il ajouté, évoquant la particularité de cette société enfermée sur elle-même et difficile à pénétrer, où il faut avoir les moyens pour lire leurs besoins et les décortiquer. Donc, précise l’architecte, l’atterrissage des nomades était forcé et on loin d’être un choix. 

Agissant avec délicatesse et sans finalités économiques, les initiateurs de ce nouveau projet ont ouvert un débat avec quelques familles. La dernière proposition a été faite à une famille de 9 membres d’ex-nomades, dans la commune de Djebel Messaad,  une région qui s’appelle R’zouzi. Une région complètement excentrée, en l’absence de routes et des moindres commodités. La réalisation de la maison d’environ 85 m² était très rationnelle, avec la prise en considération du côté spatial. 

C’est-à-dire, l’habitation a une architecture assez spécifique, où on voit clairement des voûtes ou des coupoles en jonction. Cette combinaison offre un genre d’open space réalisé avec des matériaux modernes en 20 jours seulement. «On aurait pu la réaliser en moins de 20 jours, si ce n’est l’absence d’accès et les difficultés de transporter les matériaux à la montagne», a commenté l’architecte. Cette maison conçue comme une kheima ancestrale sera exploitée en sa totalité. Il n’y aura pas de chambres pour séparer les enfants. 

Chaque espace sera utilisé pour plusieurs activités. De différentes terminologies sont utilisées pour chaque coin, à l’instar de «khafa». Ce dernier est un enclos exploité comme une chambre, mais aussi pour d’autres activités durant la journée. Chaque angle est multifonctionnel, où le cloisonnement n’a pas de place.

 C’est une autre vision de l’espace. «L’Algérien, pas uniquement le nomade, a besoin à ce que son logement soit revisité par rapport à son ancrage culturel. Et l’habitat pour nous reste toujours une véritable problématique dans l’utilisation.

 Dans une maison, on a tendance à faire pour chacun une chambre, contrairement à ces gens qui vivent ensemble. Le sens de la communication chez eux est plus développé, ce qui a d’ailleurs dicté notre conception. Contrairement à nous aujourd’hui, on cloisonne.  Pourquoi on fait une chambre à clef pour un enfant ?», dira M. Messaad. 

À notre question, si les murs disloquent les familles algériennes, il répond : «A mon sens oui, il faut ouvrir surtout pour les enfants et développer la communication entre les membres de la famille.» Le projet vient d’être achevé, avec l’alimentation en eau potable à partir d’une source naturelle et de l’électricité par l’énergie solaire. 

Les autorités vont-elles adopter ce projet, comme un exemple pour mettre point au désastre architectural d’aujourd’hui ?  

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