Sécheresse et réserves hydriques : Cette eau précieuse qui se perd en mer

28/03/2022 mis à jour: 09:05
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Photo : El Watan

Pour freiner l’écoulement superficiel des eaux, des spécialistes recommandent la création de barrages-digues sur les cours d’eau, avec un bassin d’approche en amont et un autre de dissipation en aval.

«Des quantités astronomiques d’eau finissent en mer sans être captées et sans profiter ni à la nature ni à l’agriculture, comme les 250 à 300 millions de mètres cubes de novembre 2021 au 20 mars 2022 à Takdemt, à l’embouchure du Sébaou, près de Dellys.»

Nos oueds s’écoulent trop vite vers la mer !» C’est le cri d’alarme et le constat appuyé par des mesures sur le terrain de Malek Abdesselam, docteur en hydrogéologie et DEA en hydrologie et directeur du laboratoire des eaux de l’université Mouloud Maameri de Tizi Ouzou. «Des quantités astronomiques d’eau finissent en mer sans être captées et sans profiter ni à la nature ni à l’agriculture, comme les 250 à 300 millions de mètres cubes de novembre 2021 au 20 mars 2022 à Takdemt, à l’embouchure du Sébaou, près de Dellys», affirme ce scientifique, qui surveille depuis des années les variations des précipitations, leurs volumes et les débits des cours d’eau.

Selon lui, pour freiner l’écoulement superficiel des eaux, l’idéal serait de créer des barrages-digues sur les cours d’eau, avec un bassin d’approche en amont et un autre de dissipation en aval. Une idée simple, pratique, facile à réaliser et peu coûteuse. L’expérience a déjà été menée avec succès sur le lit du Sébaou, à la confluence avec l’Aissi vers Sikh Oumedour, près de Tizi Ouzou, sur lequel une digue-seuil a été réalisée l’année passée pour dériver un volume d’eau destiné à être pompé comme apport vers le barrage de Taksebt.

Elle fonctionne toujours mais avec un apport d’eau pompée quotidiennement vers le Taksebt bien inférieur aux potentiels. Sur place, nous avons constaté que la digue a créé une retenue qui s’étend sur quelques centaines de mètres et qui est devenue un sanctuaire pour des centaines d’oiseaux, tels les canards, hérons, bécasses, etc., qui viennent s’y nourrir ou se reposer. Les agriculteurs aussi y plongent leurs pompes pour l’irrigation.

«Ces digues contribuent à l’amélioration de la recharge de la nappe souterraine et relèveront le niveau piézométrique des eaux des champs captants», affirme Malek Abdesselam, qui soutient également que la mise en œuvre du procédé est rudimentaire, de faible coût et réalisable en quelques semaines. Seulement, l’étude des sites est capitale pour atteindre les objectifs fixés sans causer de dommages tant à l’amont qu’à l’aval.

Des cours d’eau dénudés de leurs agrégats

Il n’est un secret pour personne que l’exploitation effrénée des sables et des agrégats ces dernières décennies a dangereusement dénudé de leurs couverts naturels les lits des cours d’eau en Algérie. L’appétit vorace des sablières s’est conjugué aux immenses besoins des travaux d’autoroutes locales et Est-Ouest et de ses pénétrantes pour priver les cours d’eau de cette couche qui filtre et stocke les eaux pluviales et permet aux nappes phréatiques de se régénérer.

C’est le cas en particulier pour les oueds de Sahel-Soummam, Agrioun, Sébaou, Isser, etc. En Algérie, aussi bizarre que cela puisse paraître, les oueds, les rivières et les cours d’eau sont laissés au bon soin de la nature, qui les sculpte au gré des crues saisonnières. Ils ne subissent ni curage, ni canalisation, ni endiguement.

Pis encore, en l’absence d’une prise en charge du problème des déchets ménagers, ils sont devenus le réceptacle de dizaines de décharges sauvages et du déversement des eaux des égouts. Le pays n’échappe pas non plus à l’inexorable avancée du béton.

La multiplication des surfaces imperméables, comme les routes et les surfaces bétonnées, ne permet plus à l’eau de s’infiltrer pour recharger les réserves souterraines. A cela, il faut ajouter que le climat de l’Afrique du Nord ne favorise pas les pluies douces et continues qui s’étalent sur de longues périodes, mais souvent des pluies d’orages et des averses violentes dont les eaux s’évacuent en des crues rapides et souvent dévastatrices.

Dans une étude réalisée récemment, le docteur Malek Abdesselam décrit l’ouvrage en question comme «un empilement de cages type gabion, de géo-tube, de palplanche, de poutres H et batardeau en bois ou dalles, et de sacs type «Big Bag» (même type pour le transport du ciment en vrac pouvant contenir 1 m3 de sable ou de tout-venant d’oued). L’empilement est réalisé en travers du lit du cours d’eau et peut se faire sur deux rangées ou plus, tant en hauteur qu’en surface. Les berges sont également protégées. Le matériau plastique les composant les rend résistantes et ne se dégrade pas au contact de l’eau, de l’air et du soleil.

Ce type de digue, par ailleurs perméable, peut être submergé et même emporté sans conséquences particulières en amont et en aval. Les objectifs du barrage-digue sont multiples : augmenter la réserve d’eau de surface, orienter les écoulements, favoriser et provoquer l’infiltration des eaux, relever le niveau des nappes, rectifier le profil du cours d’eau, protéger les berges, piéger les sédiments et agrégats, créer des zones humides, etc.

Traditionnellement, c’est une pratique connue dans le piémont sud de l’Atlas saharien, où des digues en sable sont utilisées pour dériver et épandre les rares crues vers des zones de cultures (Guraret El Harth), prévoyant les inondations et alimentant les nappes aquifères.

C’est aussi le cas dans le M’zab, passé maître dans le domaine avec ces «Ceds». Les conditions et critères de faisabilité ne sont pas très compliqués : présence d’étranglement, de rives stables ou facilement stabilisables, possibilité d’accès pour camion et engin élévateur, présence de blocs, sable, terre ou tout-venant sur le site, pente faible et présence d’un champ captant avec absence de rejets ou de dépôts polluants en amont du site de la digue ou leur prise en charge.

Pour ralentir l’eau, les scientifiques en charge de la question disent qu’il faut d’abord recréer des zones tampons, c’est-à-dire des marais filtrants et des lagunes naturelles ou artificielles. Créer des méandres permet également de ralentir les eaux et d’absorber l’énergie des crues.

Créer des zones humides et des bassins de rétention

Ils recommandent également de créer ou de recréer des zones humides ainsi que des bassins de rétention, qui auront pour effet de ralentir l’eau, de la purifier et de la filtrer avant qu’elle n’atteigne les nappes souterraines. Il est connu que les arbres captent et réduisent les eaux de ruissellement.

L’idéal est de préserver les zones marécageuses, qui sont de puissants filtres naturels. Certaines plantes possèdent des propriétés épuratrices exceptionnelles et sont employées dans des marais filtrants, ou lagunes, utilisés pour traiter des eaux usées.

Sur les multiples cours d’eau du pays, outre les digues-barrages, on peut aussi créer des réservoirs aménagés qui deviendront des zones de préservation de la biodiversité. Cela coûte trois fois rien et ne demande aucune technologie particulière.

Réalisées près des embouchures, ces digues empêchent la remontée de la mer dans le lit des oueds. C’est un problème que vivent déjà actuellement tous les oueds qui s’écoulent en mer, comme la Soummam ou Agrioun, car l’eau salée envahit tout et s’infiltre dans les nappes souterraines.

«C’est le cas du Sébaou, où l’eau salée remonte à plus de 5 km à l’intérieur des terres, à tel point que les agriculteurs ne peuvent plus irriguer ni au fil de l’eau ni des puits. Pis encore, même les forages AEP sont abandonnés. C’est aussi le cas de l’oued El Harrach, où la mer remonte à plus de 2 km (mesurés), ainsi que d’autres oueds», soutient Malek Abdesselam, qui ajoute qu’au Sébaou, les agriculteurs réalisent déjà des digues de fortune particulièrement efficaces, confirmées par ses propres mesures.

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