Scala pour la «Prima» de «La Force du destin» de Verdi : Une imposante fresque mêlant tragique et comique

09/12/2024 mis à jour: 03:49
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Une habituée de la «Prima», Anna Netrebko a incarné avec verve Donna Leonora - Photo : D. R.

Un opéra tourmenté et magistral, porteur d’une aura maléfique : le public de la Scala de Milan a acclamé samedi soir une grandiose représentation de La Force du destin de Verdi pour l’ouverture de la nouvelle saison, réservant une longue ovation à ses  interprètes.

Absente de la Scala depuis 23 ans, cette grande fresque mêlant tragique et comique a fait ainsi son grand retour dans ce théâtre prestigieux, suscitant  frissons et émotions. Les artistes, au premier rang desquels la diva russe Anna Netrebko, ont été salués par des applaudissements nourris pendant plus de 12 minutes, de nombreux «bravo!» ont retenti dans la salle mythique, mais aussi quelques «bouh !», et des pétales blancs ont été jetés depuis les balcons.

Omniprésente, la terreur de la guerre, mais aussi la vengeance et la  passion, sont le fil rouge de ce mélodrame qui s’inspire de la pièce espagnole  «Don Alvaro ou la force du destin», écrite par Angel Perez de Saavedra en 1835. A la baguette, Riccardo Chailly a dirigé avec maestria un opéra qui est selon lui «terriblement d’actualité avec ses images de la guerre».

L’œuvre  part de la guerre au XVIIIe siècle pour arriver après plus de trois heures de  musique aux conflits de nos jours. Temps fort de la vie culturelle italienne, cette «Prima» qui a ouvert la saison lyrique aura été la dernière pour son directeur, le Français Dominique Meyer, en poste depuis 2020, qui a été nommé directeur général de l’Orchestre de chambre de Lausanne.

Le message de l’oeuvre verdienne? «L’état de guerre est un état permanent qui traverse toutes les époques, avec toujours les mêmes pulsions de vengeance», commente Dominique Meyer. «Au fond, c’est un opéra qui nous renvoie à un miroir assez cruel de ce que nous sommes», dit-il à l’AFP.

Surnaturel

Une habituée de la «Prima», Anna Netrebko a incarné avec verve Donna  Leonora, fille du marquis de Calatrava, qui s’oppose à son mariage avec Don  Alvaro, un métis péruvien descendant d’une lignée royale. Sa voix envoûtante a fait vibrer la salle lorsqu’elle a entonné Pace, pace, mio Dio ! (Paix, paix, mon Dieu!), un plaidoyer pour la paix, peu avant de mourir dans les bras de son amant retrouvé.

Pour la diva, la voix de Leonora est unique dans le répertoire verdien : «Il  faut être au ciel pour chanter ce rôle» ou «se laisser porter par quelque chose  de surnaturel». Un nouveau venu de la «Prima», le ténor américain Brian Jagde, a endossé avec brio les habits de Don Alvaro, remplaçant au pied levé Jonas Kaufmann, qui a annulé sa venue pour «raisons familiales».

Après avoir tué accidentellement le marquis de Calatrava, Don Alvaro s’engage dans l’armée espagnole et Leonora trouve refuge dans un couvent. Obnubilé par un féroce désir de vengeance, le frère de Leonora, Don Carlo di Vargas, se lance à leurs trousses.

Don Carlo est interprété par le baryton français Ludovic Tézier, qui y voit  «un personnage d’une grande épaisseur psychologique», dévoré par une «forte  haine» et «l’esprit de vendetta». L’émotion était palpable dans la salle lorsque le baryton, très applaudi, a chanté Morir ! Tremenda cosa ! (Mourir! Une chose terrifiante!), d’une voix expressive mêlant force et douceur.

Roue du destin

La scène a été dominée par un va-et-vient perpétuel de soldats, pèlerins et  moines, qui traversent quatre siècles en quatre actes, dans un univers marqué par une succession de guerres, la faim et le froid. «Nous avons imaginé une sorte de roue du destin qui tourne inexorablement, avec les personnages qui avancent dans la direction opposée», à travers «des scénarios toujours changeants», explique le metteur en scène Leo Muscato. «Au fil du temps, des siècles, ces paysages deviennent progressivement plus sombres, plus dévastés, toujours plus réalistes», relève-t-il.

La Force du destin fut montée pour la première fois à la Scala en 1869 et y connut un vif succès même si le mélange de moments tragiques et comiques déconcerta une partie du public. Mais son histoire est émaillée de coïncidences funestes qui ont créé autour de cet opéra une atmosphère de superstitions. Le célèbre baryton américain Leonard Warren est mort sur la scène du Met de New York en 1960 en pleine représentation de l’oeuvre.
 

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