Salah Rahmani, chanteur de Malouf constantinois : Une voix de ténor dans la pure tradition

26/12/2024 mis à jour: 22:38
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Salah Rahmani, au centre, entouré de ses deux frères El Hadi (luth), Abdelmadjid (violon) et de son père Ahcène (debout)

Le 6 décembre, le chanteur constantinois Salah Rahmani a tiré sa révérence à l'âge de 81 ans. Issu d’une famille où la passion musicale, initiée par son père, a réuni toute la fratrie. Il en fut le premier, dès le début des années soixante, à se démarquer sur la scène artistique en tant que chanteur. Dans la continuité d’un Abdelmoumen Bentobbal, il s’imposa comme garant d’une approche musicale fondée sur la fidélité d'exécution et le raffinement esthétique. Avec son départ, une page se tourne, marquée par la rigueur d’un style d'interprétation purement constantinois hérité des chouyoukh et s’éloignant des exigences commerciales.


Ahcène Rahmani, le patriarche, est né en 1912. Très tôt, il s’initia à la pratique musicale locale et devint rapidement un musicien et mélomane averti. Cheminot de profession, il profitait de ses nombreux voyages professionnels pour enrichir sa collection d’instruments musicaux. Sa maison, située dans le quartier Sidi Boumaza à Constantine, devint une véritable foire à instruments et un lieu de rencontre des chouyoukh. C’est dans cet environnement propice à l’éclosion et au contact de chouyoukh tels que Maamar Benrachi, Khodja Bendjelloul, Raïs Benelbedjaoui ou encore Brahim Amouchi, que les enfants Rahmani développèrent leur sensibilité artistique. Outre Salah, deux de ses frères émergeront également. D’abord, El Hadi (1949-1999) inscrit, pour sa part, dans la continuité esthétique de Raymond Leyris, il se distingua par ses qualités de luthiste et de maîtrise vocale, loin du champ médiatique. Ensuite, le cadet, Abdelmadjid dit Riri. Véritable virtuose du violon, il s’imposa malgré son jeune âge et conquit l’estime des chouyoukh. Sa mort tragique, à seulement 25 ans, marquera profondément ses frères.


Parcours artistique  

Salah Rahmani se fit remarquer comme figure prometteuse de la scène musicale constantinoise en 1960 avec sa participation à un radio-crochet où il remporta le second prix. A l'indépendance, il anima diverses festivités organisées par la JFLN, tout en continuant à perfectionner son art lors d’événements privés. 

A l’avant-garde d’une nouvelle génération de chanteurs, sa première participation remarquée fut à Alger en 1968, lors du deuxième Festival algérien de la musique andalouse, où, accompagné de l’orchestre pilote dirigé par cheikh Abdelkader Toumi, il interpréta un insiraf. Ensuite, dans une formation composée essentiellement de ses frères, il réalisa une série discographique où l’on apprécia sa voix de ténor dans du malouf, du mahdjouz et du hawzi.

 Sa collaboration avec Amar Boucherit et l'édition DDA a permis notamment la production de la chanson Samt Hikma mêlant, des airs du mahdjouz Ouach halet men bikoum et des paroles moralisatrices écrites par lui-même, constituant une première expérience dans le genre. Salah Rahmani fut également distribué en France chez Ahmed Hachelaf pour deux albums mêlant hawzi et mahdjouz, dans lesquels ses interprétations magistrales se centrèrent sur la rigueur et la fidélité de l'interprétation vocale et instrumentale. 

Le respect pour les chouyoukh ne s'arrêta pas uniquement dans l'interprétation, Salah leur rendit hommage dans une de ses compositions, une ode à sa ville natale. Etant directeur d’une entreprise nationale, sa pratique musicale s’affranchit des besoins matériels du métier, privilégiant ainsi une recherche esthétique basée sur la justesse interprétative. Il se consacra également à l'étude du répertoire poétique et de l’histoire de la musique arabo-andalouse, apportant ainsi une notion intellectuelle dans l’expression musicale constantinoise.    


  
Par Ammar Bourghoud 
 Auteur d’articles sur l’histoire de la musique à Constantine   
 

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