Il est arrivé dans ce parc le 8 mai 1889. Le 9, il peint deux tableaux, dont les fameux Iris»: psychiatre de la «maison de santé» où Vincent van Gogh fut interné en Provence, Jean-Marc Boulon fait revivre pour touristes et patients le peintre tourmenté.
Les hauts murs de cet ancien monastère d’architecture romane à Saint-Rémy-de-Provence (sud-est de la France), dont certaines parties remontent au XIe siècle et qui fut transformé en hôpital pour «aliénés» en 1807, abritent toujours une clinique psychiatrique, «Saint-Paul», aujourd’hui réservée aux femmes pour de courts séjours. Mais une aile du bâtiment est ouverte à la visite et 80.000 personnes par an viennent y admirer «en vrai» les décors de certains des tableaux les plus célèbres du peintre néerlandais (1853-1890), dans les jardins où il a peint, outre les «Iris», les amandiers en fleurs, les oliviers ou les contreforts des Alpilles toutes proches.Van Gogh y fut interné 53 semaines, jusqu’au 16 mai 1890. Il arrivait d’Arles, à une trentaine de kilomètres, où il vivait depuis un peu plus d’un
an, mais où son état psychique s’était dégradé au fil de crises, dont celle pendant laquelle il se trancha un bout d’oreille. Excédé par son comportement, son voisinage arlésien lança même une pétition demandant son éloignement ou son internement...
«Force inouïe»
«Manie aigüe avec hallucinations de la vue et de l’ouïe», écrit lors de son internement à la maison de santé Saint-Paul le médecin chef, Théophile Peyron. Des «crises favorisées par des excès alcooliques», soulignait le docteur Félix Rey, de l’hôpital d’Arles, dont Vincent fit le portrait.
Pour le docteur Boulon, «on dirait probablement aujourd’hui des troubles bipolaires». A Saint-Paul, «c’est pour Vincent une période de grande souffrance initiale, puis de rétablissement et de bien-être. On peut l’observer dans son oeuvre, qui est d’une force inouïe», analyse le praticien. Une oeuvre abondante aussi, avec 143 toiles et plus de 150 dessins faits lors de ce séjour. Une énergie créatrice que le docteur Boulon s’efforce d’encourager chez les patientes actuelles, avec le développement depuis 1995 d’ateliers d’art-thérapie pour patientes et anciennes patientes. Sylvie Fayolle, 56 ans, hospitalisée dix semaines en 2010 pour amnésie et dépression, y revient toujours régulièrement, dans la grande salle où une demi-douzaine d’anciennes patientes peignent ou sculptent, avec l’aide d’une «art-thérapeute». Elle aime se retrouver dans cet «atelier qui sent Van Gogh», installé près de l’ancienne salle capitulaire du monastère. Ce processus créatif, «c’est comme une renaissance», sourit-elle. Et «van Gogh c’est un deuxième papa».
«Très touchant»
«Sans penser qu’elles vont être des van Gogh, c’est un jeu de rôle d’identification. Et ça dans la vie, être créateur et reconnu lorsque l’on pense que l’on ne vaut plus rien, c’est-à-dire la revalorisation narcissique et la restitution du lien social, c’est fondamental», explique le docteur Boulon. Les oeuvres des patientes sont ainsi exposées, mais aussi vendues avec 50% du prix revenant à l’artiste, dans le centre culturel installé dans la partie des bâtiments ouverte à la visite, autour du cloître. Un hommage au souhait
exprimé par Vincent, dans une lettre à son frère Théo, de fonder dans le sud de la France une «association» d’artistes pour «garantir la possibilité d’existence et le travail de ses membres». Les visiteurs peuvent également voir une recréation de la chambre occupée par Van Gogh, réalisée d’après les descriptions qu’il en fit dans ses lettres.
Et plusieurs salles supplémentaires viennent d’ouvrir au public, sur 500 mètres carrés au total: reconstitutions d’un dortoir, de la cuisine, du bureau du médecin-chef ou de la mère supérieure, ainsi qu’une salle de contention, avec camisole de force d’époque. Une visite qui attire les touristes, comme Killeen Doherty Rhodes, Américaine de 63 ans: «Voir la chambre où il a travaillé et fait tous ses chefs-d’oeuvre, c’est très touchant». Tout comme, ajoute-t-elle, «la poursuite de cette histoire pour les gens qui sont ici dans des situations semblables à la sienne et reçoivent de l’aide».