En tant que syndicat autonome, vous rejetez les deux projets de loi relatifs à l’exercice du droit syndical, à la prévention et au règlement des conflits collectifs de travail et à l’exercice du droit de grève. Pourquoi ?
La première raison est que ces deux projets ont été préparés sans nous associer en tant que partenaire social. La deuxième raison est que le contenu de ces projets est anticonstitutionnel. Je citerais, à titre d’exemple, les articles 12, 13 et 14 qui parlent d’appartenance politique des militants syndicaux et leur participation dans les campagnes électorales. Ceci est une liberté personnelle que la Constitution garantit et protège. La troisième raison est que le contenu de ces deux projets de loi est contraire aux conventions ratifiées par l’Algérie en matière de relation de travail et de droit à l’activité syndicale. Il y a 6 articles qui abordent les affaires internes des organisations syndicales, tels que le nombre de mandats, leur durée, le rapport financier et l’obligation de la présence d’un huissier de justice. Egalement, parmi les articles qui nous ont alarmés en tant que syndicat, il y a celui lié à la représentativité syndicale. Au moment où nous avons actuellement un pluralisme syndical intéressant, avec pas moins de 170 syndicats agréés, cette condition de représentativité va pousser à la disparition de pratiquement tous les syndicats actuels.
Ne pensez-vous pas que cette mesure pourrait pousser les petits syndicats à la fusion pour créer des organisations plus fortes ?
Pourquoi les y obliger ? C’est une question de principe. La fusion va peut-être s’imposer d’elle-même ensuite, mais elle n’est pas garantie. Une chose est sûre : avec une représentativité de 30% exigée, l’activité syndicale est impossible, surtout en ces temps de boycott politique et syndical. Ce que nous reprochons aussi à ces textes, ce sont les articles de 73 à 77 et de 89 à 91 qui sacralisent l’unicité syndicale. Ils permettent une seule représentation syndicale dans les tripartites. Implicitement, ce sera l’UGTA qui sera conviée à ces rencontres, fermant la porte au nez des autres centrales syndicales et syndicats autonomes. Cela signifie que le pluralisme syndical n’aura plus aucune valeur réelle sur le terrain et dans la prise de décision. Ceci est pour le projet sur l’activité syndicale. Pour celui du droit à la grève, le projet est une interdiction directe de recourir à ce droit garanti par la Constitution.
Pensez-vous que les abus et les erreurs dans la pratique de ce droit ont poussé le gouvernement à aller vers la mise en place d’un nouveau projet de loi ?
Selon nous, le gouvernement s’est trompé de piste cette fois-ci. Il est vrai que les erreurs dans la pratique existent. Elles sont inévitables d’ailleurs. Elles sont dans tous les domaines, y compris politique, économique et même au sommet de l’Etat. L’erreur est humaine. Son antidote est le dialogue et non pas la création d’un projet de loi qui ferme toutes les portes devant l’activité syndicale. Si c’est réellement la raison, il aurait été plus judicieux de convier les syndicats à un débat autour de ces pratiques et mettre en place les mécanismes nécessaires pour y remédier. Aller vers la confrontation avec ces projets de loi n’est autre qu’une provocation.
En tant que syndicaliste, quelles auraient été les solutions à la place de ces projets de loi ?
Nous pensions que dans une Algérie nouvelle, nous nous dirigions vers plus de souplesse et de dialogue. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Nous aurions souhaité voir, à la place des sanctions et des interdits qui sont nombreux dans ces deux textes, des articles qui imposent le dialogue entre l’employeur et les représentants des travailleurs. Avec des solutions réelles, la grève disparaîtra d’elle-même. Si ces projets passent, l’activité syndicale mourra. Les résultats seront catastrophiques. Les problèmes vont se multiplier et les travailleurs ne seront pas encadrés. Ce sera une grande anarchie. Je doute fort que le gouvernement veuille aller vers cette situation. Une marche arrière s’impose.