Rencontre avec la collaboratrice de «Lettres à Zoulikha» : Malika El Korso fait revivre le combat des moudjahidate

07/10/2024 mis à jour: 17:22
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Photo : D. R.

L’espace Mémoire et Histoire d’Oran a abrité le jeudi 19 septembre une séance de présentation de l’ouvrage Lettres à Zoulikha auquel a collaboré l’historienne Malika El Korso. En collaboration avec le responsable du Musée Mohamed Freha, moudjahid et écrivain, cette initiative a été organisée par le collectif «Les Journées littéraires d’Oran» sous la coordination de Fatma Boufenik.

Edité par l’association Les Amis de Abdelhamid Benzine, la confection de l’ouvrage est en soi une prouesse tant dans sa conception grand format que par le choix de la calligraphie. Intitulé Lettres à Zoulikha. Images de prison, images de survie, ce livre aborde l’histoire des femmes algériennes, les Moudjahidate, durant la Guerre de libération, participation minorée par les historiens.

L’écriture de ce livre relève d’un pur hasard. Après la mort de la moudjahida Benzine Zoulikha, sa fille remit un carton contenant des lettres de prison, écrites et reçues durant l’emprisonnement de l’intéressée. Constituant des documents de première main, ces lettres, triées, classées et analysées, paraissent à certains égards utiles pour l’écriture de l’histoire du point de vue du genre dans la Guerre de libération. Plus que cela, ces lettres, soigneusement sauvegardées du vivant de la défunte comme des fétiches, révèlent comment la torture et le viol ont laissé un trauma profond de sorte qu’il lui était difficile d’en parler de son vivant.

Dans ce silence imposé par un subconscient meurtri, pas seulement elle, mais toutes ces femmes voulaient que leur témoignage soit délivré après leur mort, par pudeur, en respect aux traditions du peuple et à cette conviction inébranlable qui les a projetées vers la lutte, celle de se fier à leurs consciences, aux frémissements de leurs âmes et à Dieu. Et c’est dans cette veine qu’il importe aux lecteurs de saisir toute la dimension documentaire de ces lettres de prison, quelles que soient leur forme, du moindre balbutiement couché dans la tourmente jusqu’au dessin griffonné sous un gémissement.

Douleur carcérale

En présentant ce livre, Malika El Korso s’est interrogée sur l’historisation du banal puisque dans une société où l’oralité prime, la tradition épistolaire est souvent ignorée. En donnant vie à ces lettres de prison, la conférencière a fait découvrir un pan de la Guerre de libération où les femmes ne furent pas seulement celles qui soignent, lavent les vêtements, préparent la cuisine, mais des Moudjahidate armées qui participaient au même titre que les hommes dans le combat.

Et c’est en décryptant les lettres expédiées par ses soins ou reçues de son frère Abdelhamid, capturé lors d’une embuscade tendue par les militaires français, que Zoulikha Benzine écrit à sa manière l’histoire de l’Algérie. Elle le fait non pas dans un élan épique, mais dans la douleur carcérale, dans l’enfer des prisons coloniales, mettant à rude épreuve la résistance des détenues Moudjahidate face à leurs geôliers qui étaient animées d’un espoir farouche qui les maintenait vivaces comme une plante au désert.

Composé de cinq parties, l’ouvrage est une contribution notoire dans l’histoire de la lutte nationale. En contextualisant ces lettres classées en rubriques, l’auteur donne du sens à ces correspondances en nous faisant découvrir comment dans le monde carcéral colonial, les prisonniers luttaient à leur manière, qui par une missive, qui par un dessin, qui par des poèmes.

A la fin de sa conférence, Malika El Korso, académicienne et chercheure reconnue, a fait lire par Mme Djamila Hamitou-Sandouk, l’une des organisatrices de cette cérémonie, la lettre de Hassiba Ben Bouali adressée à ses parents. Ce fut un moment chargé d’émotion. Elle devait nous rappeler ces phrases qui résonnent encore dans nos cœurs : «Si je meurs, vous ne devez pas me pleurer, je serai morte heureuse, je vous le certifie.»

Mansour Kedidir, chercheur-universitaire

 

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