Dans la nuit de vendredi à samedi, le président Saïed a fait publier une version amendée de son projet de nouvelle Constitution, qui doit être soumis à un référendum le 25 juillet, mais le texte continue d’accorder de larges pouvoirs au chef de l’Etat.
Le Front du salut national, une coalition de formations politiques dont le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, a renouvelé hier son appel à boycotter le 25 juillet un référendum sur la Constitution prévu en Tunisie, selon des propos recueillis par l’AFP.
«Nous appelons les Tunisiens à boycotter un processus illégal, anticonstitutionnel qui vise à légitimer un coup d’Etat», a dénoncé Ahmed Nejib Chebbi, figure politique de gauche, fondateur et président du FSN, en marge d’une conférence de presse à Tunis.
Aussi, il a estimé que le texte proposé par K. Saïed veut «légitimer un régime présidentialiste, c’est-à-dire le pouvoir d’un seul homme», via une nouvelle Constitution. Il a jugé que dans le nouveau texte, «la garantie des libertés disparaît. C’est pour moi la quintessence d’une mauvaise Constitution».
De son côté, le leader du mouvement Citoyens contre le coup d’Etat et membre du FSN, Jawhar Ben Mbarek, a appelé lui aussi «les Tunisiens à rejeter massivement ce référendum», en le boycottant. «Nous tenons à la Constitution de 2014 que nous considérons comme l’unique Constitution représentative de la volonté du peuple tunisien», a-t-il ajouté.
Dans la nuit de vendredi à samedi, le président Saïed a fait publier une version amendée de son projet de nouvelle Constitution, qui doit être soumis à un référendum le 25 juillet, mais le texte continue d’accorder de larges pouvoirs au chef de l’Etat. Dans la nouvelle mouture publiée au Journal officiel, il a modifié deux articles particulièrement controversés, l’un évoquant la place de l’islam et l’autre les droits et libertés.
Au chapitre 5 de la nouvelle Constitution, le Président a introduit la mention «au sein d’un système démocratique» dans la phrase affirmant que la Tunisie «fait partie de la communauté islamique» et que «l’Etat doit travailler pour atteindre les objectifs de l’islam».
Quelques heures avant la publication du nouveau texte, il a annoncé dans une vidéo officielle que «des précisions devaient être ajoutées (au premier texte publié le 30 juin) pour éviter toute confusion et interprétation».
L’autre passage concerne l’article 55 sur les droits et libertés. «Aucune restriction ne peut être apportée aux droits et libertés garantis dans la présente Constitution si ce n’est en vertu d’une loi et d’une nécessité imposées par un ordre démocratique», dit désormais l’article.
Et d’éventuelles restrictions ne peuvent intervenir que «dans le but de protéger les droits d’autrui ou pour les besoins de la sécurité publique, de la défense nationale ou de la santé publique».
Pour le reste, K. Saïed, auteur il y a un an d’un coup de force par lequel il s’est arrogé tous les pouvoirs, n’a pas modifié les grandes lignes du texte initial qui marque une rupture radicale avec le système parlementaire en place depuis 2014.
Le Président exerce le pouvoir exécutif, avec l’aide d’un chef du gouvernement qu’il désigne, sans nécessité d’obtenir la confiance du Parlement. Le Président est chef suprême des armées, définit la politique du pays, entérine les lois et peut aussi soumettre directement des textes législatifs au Parlement. La nouvelle Constitution prévoit une forte réduction du rôle du Parlement et la mise en place d’une deuxième Chambre devant représenter les régions.
Désaveu
Le 3 juillet, Sadok Belaïd, le chef de la «Commission nationale consultative pour une nouvelle République», chargée par le président Kaïs Saïed de rédiger une nouvelle Constitution, a publiquement désavoué le texte publié par la Présidence, qui pourrait «ouvrir la voie à un régime dictatorial».
Dans une lettre publiée par le journal Assabah, le juriste se dissocie totalement du texte rendu public jeudi par K. Saïed. Le projet publié au Journal officiel «n’appartient en rien à celui que nous avons élaboré et présenté au président», a dit S. Belaïd.
«En ma qualité de président de la Commission nationale consultative (...), je déclare avec regret, et en toute conscience de la responsabilité vis-à-vis du peuple tunisien à qui appartient la dernière décision, que la Commission est totalement innocente du texte soumis par le Président au référendum», a-t-il ajouté.
Selon lui, le projet publié par le Président «renferme des risques et des défaillances considérables». Il cite notamment un article sur le «péril imminent» qui garantit au chef de l’Etat «des pouvoirs très larges, dans des conditions qu’il détermine seul, ce qui pourrait ouvrir la voie à un régime dictatorial».
C’est justement en invoquant un article similaire qui figurait dans la Constitution de 2014, que K. Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs le 25 juillet 2021 après des mois de blocages politiques. Mardi dernier, le président a défendu son projet de Constitution controversé face aux accusations de dérive autoritaire, après avoir été désavoué par le juriste à qui il en a confié la rédaction.
Dans un message publié par la présidence de la République, il a affirmé que le projet de Constitution publié reflète «ce que le peuple tunisien a exprimé depuis la révolution (de 2011) jusqu’au 25 juillet 2021, lorsque elle a été remise sur le droit chemin». Et d’ajouter : «La Constitution qui vous est proposée reflète l’esprit de la révolution et ne porte aucunement atteinte aux droits et aux libertés.»
Il a rejeté les accusations selon lesquelles la Constitution proposée ouvre la voie à «un retour de la tyrannie», affirmant que «rien ne peut être plus loin de la réalité». Il a appelé les Tunisiens à approuver le texte lors du référendum.