Quinze ans de réclusion contre les auteurs du rapt d’Amine Yarichène : Treize jours de séquestration pour une rançon de 140 millions de dinars

04/06/2022 mis à jour: 02:09
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Le jeune Amine Yarichène a été enlevé et séquestré pendant 13 jours, le 20 octobre 2015

L ’affaire liée à l’enlèvement du jeune Amine Yarichène, en octobre 2015, est revenue jeudi dernier devant la chambre criminelle d’appel près la cour d’Alger avec la comparution de cinq accusés, Ahmed Youcef Saïd, dit «Saïd l’émigré», condamné pour plusieurs affaires de trafic de drogue et recherché par Interpol pour gangstérisme armé, Lamine Aït Bououne, Hamza Bouguettaf (en détention), Brahim Boukhetala et Makhlouf Berahal (en liberté), pour «association de malfaiteurs», «enlèvement d’un mineur en vue de l’obtention d’une rançon», «faux et usage de faux». 

Après une journée de débat, le parquet général a requis une peine capitale contre Saïd l’émigré et Lamine Aït Bououne et la perpétuité contre les trois autres accusés, alors que la chambre criminelle a prononcé une peine de 15 ans de réclusion contre Saïd l’émigré et Lamine Aït Bououne, et l’acquittement pour les autres accusés. 
 

Dès le début de son audition, Ahmed Youcef Saïd, ce Franco-Algérien qui a fait parler de lui en France, en septembre 2002, après son évasion spectaculaire d’un centre pénitentiaire à l’aide d’un hélicoptère (qui lui a valu une peine de 15 ans de réclusion par contumace), a exprimé sa volonté de dire «la vérité», poussant la présidente à répliquer : «Vous avez déjà avancé plusieurs vérités !» Avec un large sourire, l’accusé répond : «J’ai décidé, aujourd’hui, de dire la vérité. Sofiane Azzouz me devait 14 milliards de centimes, mais il refusait de me les restituer. 

A chaque fois, il m’évitait…», dit-il avant que la juge ne l’interrompt : «Et lorsqu’il est venu en France, vous l’avez enlevé et séquestré…» L’accusé : «J’ai su qu’il était de passage à Paris. Je lui ai mis la pression pour qu’il me rende mon argent. Il profitait du fait que j’étais recherché par Interpol pour ne pas me rembourser. Il m’a dit qu’il avait de l’argent à Alger et qu’il allait me payer. Je l’ai cru. Mais une fois sur place, il ne répondait plus à mes appels téléphoniques. J’ai compris qu’il ne voulait pas me restituer mon argent. Je suis rentré en Algérie, en passant clandestinement par le Maroc, où une partie de ma famille est installée. 

L’autre partie vit en Algérie, notamment à Mohammadia (ex-Lavigerie). Je travaille dans la décoration de maison, l’immobilier, la vente et l’achat de véhicules et je connais beaucoup de gens avec lesquels je fais du commerce.» 
 

L’énigmatique absence de Sofiane Azzouz, l’élément clé de l’affaire
 

La juge le fait revenir à l’enlèvement. «La maison avait une seule partie sous scellés, l’autre non. Sofiane m’a ramené l’enfant, qu’il m’a présenté comme son fils. Il m’a dit de le garder jusqu’à ce qu’il ramène mon argent. Je savais qu’il travaillait avec Yarichène avec mon argent.» La juge : «Parlez-nous de la moto avec laquelle l’enfant a été enlevé. Est-ce la vôtre ?» 

L’accusé confirme et explique : «Quand je suis arrivé à Alger, je souffrais avec la circulation. J’ai décidé d’acheter une moto. J’en ai trouvé une pour 390 000 DA sur Ouedkniss, et c’est Lamine Aït Bououne qui est venu avec moi à Boufarik pour la récupérer, parce que j’avais peur de tomber sur un barrage étant donné que je n’avais pas de papiers. Il m’a rendu service en la laissant chez lui.»

 La juge : «Vous achetez une moto sans papiers ?» L’accusé : «J’avais un récépissé.» La juge : «Un faux…» L’accusé : «Ce n’est pas vrai ! Il fallait juste un délai pour terminer la procédure de régularisation.» L’accusé revient à ce qu’il a présenté comme «vérité», en disant : «En fait, lorsque j’étais à la brigade, Sofiane est venu me dire qu’il était prêt à me donner mon argent si je ne cite pas son nom. Il m’a dit que, de toute façon, j’étais déjà condamné pour trafic de drogue. J’ai accepté. Il m’a remboursé une première tranche de 40 millions de dinars. Il ne pouvait me rendre l’argent en étant en prison. Il fallait qu’il soit dehors.» La juge : «Vous étiez avec l’enfant à la maison. 

Comment pouviez-vous ne pas savoir qu’il était séquestré ? Il ne sortait pas.» L’accusé : «C’est Sofiane qui l’a ramené. Il m’a piégé. Il m’a fait un coup avec la complicité des gendarmes pour me coller l’enlèvement et le sauver de l’affaire.» La juge : «Cette version ne tient pas la route. Il vous a ramené l’enfant avec lequel vous êtes resté dix jours et vous lui donniez à manger du fromage et du cachir…» L’accusé : «Je suis resté une seule journée. Mes avocats vont vous expliquer comment les gendarmes ont tout manigancé avec Sofiane.» 
 

Lui succédant à la barre, Lamine Aït Bououne nie tous les faits qui lui sont reprochés. Il jure avoir juste «rendu service» à Saïd en l’aidant à acheter une moto pour qu’il termine les travaux de décoration de l’appartement qu’il occupe et qui appartient au père d’Amine Yarichène, présenté comme, «un ami de longue date». Il précise : «Si j’avais su que cette moto allait servir à l’enlèvement, je ne l’aurais jamais aidé et je n’aurais jamais permis qu’il la laisse chez moi.» 
 

La juge appelle Hamza Benguettaf de Bordj Menaïel, qui nie catégoriquement avoir été chargé de surveiller la maison de la victime durant trois jours avant l’enlèvement, mais aussi d’avoir fait le trajet de la villa de Yarichène jusqu’au lieu de séquestration, en évitant les barrages des services de sécurité. «J’ai un restaurant pas loin du quartier. Je suis tout le temps sur place», affirme-t-il. 
 

La juge appelle le père d’Amine Yarichène, arrivé à la fin des auditions. D’emblée, il accuse avec certitude Lamine Aït Bououne en disant : «C’est lui qui a enlevé mon fils et l’a pris sur la moto. Il m’a trahi. Deux jours avant, il est venu vers Amine, il a discuté avec lui et lui a donné des bonbons. Mon fils est toujours terrorisé. Il a été séquestré durant 13 jours. 

Deux de ses geôliers portaient tout le temps une cagoule pour ne pas être reconnus. Seul Saïd ne cachait pas son visage, parce que mon fils ne le connaissait pas. Mais il a remarqué le tatouage  sur la main de Lamine. Nous étions ensemble à Paris, lorsqu’il s’est fait tatouer le signe amazigh sur la main. Je ne connais pas Saïd. Je sais que Sofiane Azzouz travaillait chez lui. Il était à Paris, puis il est rentré pour restituer l’argent qu’il devait à saïd. Lamine Aït Bououne a pris mon fils et l’a séquestré durant 13 jours. Les caméras des voisins ont pris des images et c’est bien avec une moto qu’ils ont enlevé mon fils. Il était avec moi à la mosquée pour la prière du vendredi alors qu’il avait mon fils entre les mains. Jamais je n’aurais pensé que c’était lui. Il venait me voir tous les jours pour répéter à ses copains ce que je lui disais sur l’enquête. 

Les gendarmes ont su qu’il y avait quelqu’un de proche de moi qui les informait.» Aït Bououne conteste et Yarichène en colère poursuit : «C’était lui qui été à bord de la moto, une TMax, et il portait la même veste avec laquelle  il est venu à la brigade.» 
 

Rude confrontation entre des mis en cause qui s’accusent mutuellement
 

Lors de la confrontation, chacun des accusés renvoie la balle vers l’autre pour mieux diluer les responsabilités. A une question sur l’achat de la moto, Saïd l’émigré persiste à déclarer qu’il l’a achetée à 390 000 DA, alors que Yarichène s’emporte et déclare : «Ce n’est pas vrai. A l’époque, elle coûtait entre 1,5 million et 2 millions de dinars. Aujourd’hui, son prix a atteint 5 millions de dinars. C’est une moto qui n’a pas de papiers.» Saïd : «Ce n’est pas vrai. J’ai un récépissé.» Yarichène : «On peut avoir ce document pour à peine 500 DA.» 
 

Avocat de la partie civile, Me Bouchami n’y va pas avec le dos de la cuillère. Pour lui, il «n’y a pas pire que de voir son enfant enlevé pour de l’argent et par qui ? Par quelqu’un de très proche. Yarichène n’a pas cessé de vous dire que c’est son ami Aït Bououne qui venait tout le temps à la maison qui l’a trahi. 

Son fils est sous le choc à ce jour. Saïd nous raconte une troisième version des faits, mais ce qu’il dit est insensé. Ce crime a été préparé à l’étranger».

 Abondant dans le même sens, le procureur général se dit «étonné» par la nouvelle «vérité» de Saïd, après avoir donné deux versions où Sofiane Azzouz n’était pas mis en cause. «Aujourd’hui, il change ses propos, parce qu’il pensait que Yarichène n’allait pas venir et, de ce fait, il n’y aura pas de confrontation. 

La venue clandestine de Saïd en Algérie n’est pas fortuite. Il nous dit qu’il est venu récupérer son argent, mais ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il a organisé l’enlèvement d’Amine Yarichène avec Lamine Aït Bououne pour récupérer ses 140 millions de dinars. L’enfant était gardé enfermé dans une pièce de sa maison, mise sous scellés, et nourri au cachir et au fromage. 

Comment peut-il dire qu’il ne savait pas, alors qu’il est resté avec lui et il a été arrêté alors qu’il se trouvait avec lui ? Il s’est appuyé sur Aït Bououne, l’ami de Yarichène, pour organiser l’enlèvement, et les autres accusés ont chacun joué un rôle dans cette opération criminelle, que je pourrais qualifier de transnationale.

Les faits sont avérés et l’enquête est suffisamment détaillée pour apporter les preuves matérielles, à travers les communications, les photos satellites et d’autres pièces à conviction.» 

Le procureur général conclut en réclamant la peine capitale contre Saïd l’émigré et Lamine Aït Bououne, et la perpétuité contre les trois autres accusés, à savoir Hamza Bouguettaf (en détention), Brahim Boukhetala et Makhlouf Berahal  en liberté.  La défense a, quant à elle, plaidé l’acquittement, en essayant de relever ce qu’elle qualifie de «zones d’ombre non éclairées par l’enquête». 

Les avocats de Saïd l’émigré vont plus loin, en laissant entendre qu’il y a eu, lors de l’enquête préliminaire menée par les gendarmes, à leur tête le chef de groupement d’Alger, alors Ghali Beleksir, un deal pour que l’accusé endosse l’affaire, surtout qu’il ne risquait pas de sortir de prison en raison des nombreuses poursuites dont il faisait l’objet, en contrepartie de la restitution de son argent. «Une première partie de 40 millions de dinars, suivie d’une autre de 40 millions de dinars, lui ont été restituées mais le reste a été pris.» Les avocats laissent entendre que Saïd a «été trahi avec la complicité des enquêteurs», raison pour laquelle, il a décidé, disent-ils, de dire la vérité.

 La défense de Lamine Aït Bououne plaide elle aussi l’acquittement, en interrogeant les magistrats sur l’intérêt qu’il pouvait avoir dans cet enlèvement, sachant, qu’il était l’ami du père de la victime. «Il n’avait rien à avoir avec les faits.» 
 

En fin de journée, la sentence est une surprise. Une peine de 15 ans de réclusion est infligée à Saïd l’émigré et Lamine Aït Bououne et l’acquittement pour le reste des accusés. 

Lors du premier procès, le tribunal criminel avait prononcé une peine de 20 ans de réclusion contre Saïd l’émigré, 15 ans contre Aït Bououne et 10 ans, contre les autres accusés. 
 

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