Quelques propos contributifs à l’instauration de l’éméritat d’université

28/05/2022 mis à jour: 03:50
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Depuis maintenant une vingtaine de jours, les enseignants-chercheurs se retrouvent de nouveau sur les premières pages de journaux… et même le sujet de chroniques de stations radios étrangères. 
 

Non pas pour leur annoncer une augmentation des salaires érodés par une inflation galopante, qui touche en réalité l’ensemble des salariés, mais pour annoncer haut et fort la mise à la retraite d’office des enseignants universitaires qui ont dépassé l’âge légal de la retraite applicable en Algérie, qui est de 60 ans. Pour beaucoup que cette décision concerne, c’est le salut et l’ouverture vers d’autres horizons.

 A cette catégorie mes propos ne s’adressent guère, car c’est une simple conformité à la législation de la fonction publique qui fixe l’âge légal de départ à la retraite. 

Cette nouvelle, tant attendue, aurait dû passer inaperçue comme pour beaucoup d’autres fonctionnaires et salariés du secteur privé ou du secteur public.
 

Cependant, une telle annonce globale et uniforme s’appliquant à tous les enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur me semble choquante, hâtive et non mesurée. 
Elle pourrait être même qualifiée de méprisante pour une catégorie d’enseignants-chercheurs qui a, durant une carrière de quarante années, voire plus, passé du temps à la formation, à l’encadrement de la rédaction de leur mémoire par les étudiants de licence, de master et de thèse de doctorat. 

Ces enseignants-chercheurs ont concouru à la promotion de la recherche scientifique algérienne à travers des publications, parfois dans des revues de renommée mondiale, et ont pris part à des congrès internationaux portant fièrement le drapeau de l’université algérienne. Ils ont contribué à des jurys d’évaluation des travaux scientifiques, initié des projets de recherche nationaux et internationaux. 

Ils ont été associés à la multiplication des laboratoires et équipes de recherche et permis la promotion des jeunes diplômés, pour ne citer que le côté pédagogique. Certains enseignants-chercheurs ont cumulé durant de nombreuses années la gestion administrative des départements et des facultés. 
 

A ces fonctionnaires méritants, on vient annoncer par voie de presse leur mise à la retraite tout simplement, sans ménagement ni sans leur permettre de prétendre à un statut que beaucoup de pays occidentaux accordent à leurs chercheurs et professeurs en leur attribuant le titre honorifique de «professeur émérite». 

Beaucoup sont consternés par cette décision humiliante, voire injuste et ressentent une profonde amertume. 
 

Il est vrai que le statut de l’enseignant- chercheur ne prévoit pas cette nomination pour des raisons qui restent inconnues. Les syndicats des enseignants-chercheurs n’ont jamais posé les vraies questions de fond se rapportant à la gestion des carrières des «têtes blanches non retraitées» qui méritent une reconnaissance de leur tutelle qu’ils ont méritée en participant à l’éclosion d’une université algérienne dont le nombre n’a cessé de croître au cours des années.Libérer un peu plus de 1200 postes dans l’enseignement supérieur algérien ne va pas régler la question de fond de l’emploi des jeunes diplômés qui arrivent chaque année en grand nombre. Cela semble illusoire ! 
 

Le renouvellement du corps des enseignants-chercheurs est une décision naturelle et qui serait équitable si elle était appliquée sans distinction à tous les concernés par la limite d’âge dans la fonction publique et le secteur public.
 

La tutelle envisage d’étudier «les cas exceptionnels» pour un recrutement contractuel à des postes de Professeurs émérites. C’est une perspective qui ne prend pas en charge d’une façon saine et claire cette catégorie d’enseignants-chercheurs qui voudraient continuer à exercer. 
 

Il me semble qu’un pas courageux et franc devrait être franchi en mettant en place un cadre réglementaire de l’éméritat en précisant l’objectif qui permet aux enseignants-chercheurs de poursuivre des travaux de recherche ou d’encadrement à titre accessoire et gracieux ainsi que les conditions d’octroi nettement précisées dans le cadre d’un statut où figurent les obligations et les conditions d’exercice des professeurs émérites. 

L’éméritat, s’il est bien organisé, est perçu dans beaucoup de pays comme un dispositif à ne pas négliger tant il permettrait de conserver les compétences et connaissances des chercheurs expérimentés qui apporteraient une véritable contribution au relèvement du niveau de l’université algérienne. 

Enfin, il pourrait être envisagé, dans le cadre d’un statut spécifique à déterminer, que les professeurs des universités retraités ne remplissant pas remplissent pas les conditions d’octroi de l’éméritat, pourraient se voir octroyés l’honorariat dans leur grade de départ à condition d’avoir accompli un nombre important d’années d’exercice dans l’enseignement supérieur.
 

Ces quelques propos visent à adoucir la polémique autour de cette question, même si le nombre des concernés est très bas.
 

Par Zine Barka

Professeur de l’enseignement supérieur  

Université de Tlemcen

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