Dans les années 1960 et 1970, l’Algérie comptait 450 salles de cinéma - contre quelques dizaines aujourd’hui - une cinémathèque réputée et une production de qualité, couronnée en 1975 par une Palme d’or à Cannes pour le film Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar-Hamina.
A partir des années 1980, ce pays riche en hydrocarbures a vu disparaître petit à petit ses salles de cinéma, son industrie et ses talents sous les effets conjugués de l’instabilité politique et de la crise économique. Un déclin qui s’est accéléré pendant la «décennie noire» de guerre civile entre le gouvernement et des groupes islamistes (1992-2002), avec le départ de nombreux professionnels et de nouvelles fermetures de salles, dépeintes par certains extrémistes comme «des lieux de débauche». Durant cette période sombre, «les cinéastes de la diaspora, comme Nadir Moknèche ou Rachid Bouchareb, ont comblé le vide, en réalisant des sujets sur l’Algérie», dit à l’AFP Ahmed Bedjaoui, producteur et critique considéré comme le «Monsieur cinéma» algérien. Récemment, le président Abdelmadjid Tebboune a affiché «sa volonté politique et sa détermination de soutenir le cinéma», selon M. Bedjaoui, en créant en décembre dernier une Instance nationale pour stimuler la production cinématographique, les tournages de films en Algérie et promouvoir les talents locaux. Mais le 2 avril, le Parlement a adopté une loi menaçant de prison tout producteur dont les œuvres portent atteinte à la religion, à l’histoire de la guerre d’indépendance ou à la morale. «Une loi de la honte» pour la réalisatrice Sofia Djama. «Hier la presse, aujourd’hui le cinéma, demain la littérature, la peinture, et toute forme de création qui ne leur conviendra pas, seront censurés», a-t-elle réagi sur Facebook. Exemple de tensions au sein du pouvoir autour de l’industrie cinématographique, le film de Bachir Derrais sur Larbi Ben M’hidi, héros de la Guerre de libération (1954-1962) tué par l’armée française, a subi des blocages et interdictions pendant six ans avant d’être finalement projeté en avant-première à Alger le 4 mars.
Un pays de cinéma
Il faudrait «donner un peu plus de liberté aux cinéastes», préconise Ahmed Bedjaoui, notant aussi que «le cinéma algérien est riche de ses talents et pauvre de ses moyens». Une nouvelle génération émerge mais doit souvent faire des pieds et des mains pour sortir un film. Comme le réalisateur de 39 ans Amir Bensaïfi, rencontré par l’AFP fin 2023 lors d’un festival à Bejaïa (est). «Je n’ai pas eu de financements, c’est de l’autoproduction. Sur mon film, il y a plein de techniciens professionnels algériens qui ont cru au projet et qui sont tous producteurs», a-t-il raconté. Sa collègue, Imène Ayadi, 34 ans, a trouvé ses financements en France mais a «tourné en Algérie en arabe, avec des techniciens et comédiens algériens». Fouad Trifi, assistant-réalisateur et co-fondateur de la première agence de casting algérienne, est convaincu que l’Algérie reste un pays de cinéma. «Il y a vraiment une énergie, une envie. Il y a un public. On le voit à travers les festivals avec des salles combles», souligne-t-il. Il y a une pénurie criante de salles ce qui laisse le cinéma dans un état «embryonnaire, cantonné à des projections en avant-première», raconte à l’AFP le réalisateur Bachir Derrais. Pour relancer le secteur, le critique Ahmed Bedjaoui préconise d’investir dans les multiplexes et de construire de nouvelles salles. Un premier complexe de 990m2 comprenant quatre salles a ouvert en août 2023 à Chéraga, en banlieue d’Alger, au sein d’un centre commercial. En six mois, il a réalisé un chiffre d’affaires de 90 millions de dinars (plus de 620 000 euros), selon son gérant Riad Aït Aoudia. «C’est le premier cinéma de cette envergure», a assuré à l’AFP Rym Khaldi, responsable de la communication d’un groupe, désireux, selon elle, de promouvoir les films algériens pour un plus grand rayonnement culturel du cinéma national.