Procès de Mahieddine Tahkout et Anis Rahmani : Dix ans de prison ferme et une amende de 3 millions de dinars requis par le parquet

07/06/2022 mis à jour: 18:51
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Photo : D. R.

Une peine de 10 ans de prison ferme assortie d’une amende de 3 millions de dinars a été requise contre Anis Rahmani, patron du groupe Ennahar, et la confiscation de tous ses biens et avoirs, y compris ceux en France et aux Emirats. Le procureur a réclamé la même peine, sans confiscation, contre l’homme d’affaires, Mahieddine Tahkout.

En détention depuis février 2020, le journaliste et patron du groupe médiatique Ennahar, Mohamed Mokadem, plus connu sous le pseudonyme d’Anis Rahmani, a comparu hier avec l’homme d’affaires Mahieddine Tahkout, par visioconférence, devant le pôle financier près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger.

Poursuivi pour six chefs d’inculpation : «trafic d’influence», «utilisation à mauvais escient des biens de l’entreprise», «transfert illicite de biens», «infraction à la réglementation des changes», «demande et perception d’indus avantages» et «fausse déclaration», le journaliste rejette tous les faits reprochés et précise : «A l’exception du transfert illicite de capitaux, les cinq autres griefs sont touchés par la prescription. Vous remarquez que le magistrat instructeur a argumenté les faits par le prétendu harcèlement que j’exerçais, en tant que journaliste,  afin d’obtenir ce qu’il a qualifié d’indus avantages.

Or, nous sommes devant le tribunal pénal, et il n’a présenté aucune preuve pour étayer ses affirmations. Le dossier est vide. Les activités de toutes les sociétés du groupe Ennahar sont légales. On me poursuit pour dissipation de biens alors que toutes les commissions rogatoires sont revenues négatives. Le groupe a 4 entreprises en Algérie, Al Athir Presse, Ennahar TV et Sitcom édition, et une autre en France, créée en vertu de la loi algérienne, qui nous fait obligation de le faire. Elles ont toutes des activités légales et chacune a sa propre comptabilité.»

Le juge interroge le prévenu sur le montant de plus de 49 millions de dinars, lié à l’acquisition par Ennahar TV de 27 véhicules auprès de Mahieddine Tahkout, patron de Cima Motors. «Le contrat a été signé par moi-même, en tant que gérant du groupe Ennahar, et Mahieddine Tahkout, en tant que PDG de Cima Motors. Il concerne l’achat de 27 véhicules, dont le paiement se fait en contrepartie de la publicité prise en charge par les sociétés Al Athir Presse et Sitcom, qui appartiennent au groupe Ennahar.»

Le juge : «Dans quel cadre exerce le groupe Ennahar ?»  Le prévenu : «Les sociétés ont toutes les mêmes intérêts même si leurs activités, qui sont légales, diffèrent.» Le juge fait remarquer au journaliste, qui s’irrite un peu, que «rien ne vous interdit d’avoir des sociétés. Cependant, de par vos activités, vous faites un service public. Vous êtes tenu de travailler dans la transparence».

«Les 27 véhicules ont été payés par la publicité»

Le juge : «Qu’avez-vous à dire sur les 415 000 euros avec lesquels vous aviez acheté un appartement en France ?» Mohamed Mokadem : «Je suis journaliste professionnel depuis 1993. J’ai toujours travaillé comme correspondant de nombreuses publications étrangères, en plus de mon travail dans des rédactions algériennes. Mes revenus proviennent de mes activités professionnelles. Tout a été prouvé par des documents présentés par mes avocats. J’ai même fait l’objet d’une double imposition, en France et en Algérie, parce que j’ai déclaré les 300 000 euros en Algérie. J’ai tous les documents qui le prouvent.»

Le juge : «Vous avez également des comptes bancaires à Dubaï, aux Emirats arabes Unis.» Le prévenu : «Je n’ai qu’un seul compte à Dubaï. Seulement pour des raisons liées à la stabilité de la monnaie, les autorités bancaires ont exigé que le dollar et l’euro ne soient pas déposés sur le même compte. Il fallait en avoir deux et un sous-compte pour la traçabilité.» Le juge interroge le prévenu sur une concession foncière située à Saïd Hamdine et Mohamed Mokadem répond : «Nous n’avons pas demandé de droit à la concession. Nous voulions acheter.»

Le juge : «La wilaya octroie des concessions. C’est l’Agence foncière qui vend.» Le prévenu : «C’est un terrain très mal situé. Il est dans une impasse et a une largeur d’à peine 4 mètres. Il n’a aucune valeur industrielle. En tant que personnalité publique, je ne voulais pas faire de polémique. J’en avais besoin pour la maintenance de notre parc automobile qui est très important.»

Le juge : «Vous aviez obtenu une autre concession…» Le prévenu : «C’était dans le cadre d’un investissement pour la construction de studios d’enregistrement aux normes internationales, qui permettra de créer de nombreux postes d’emploi. Les travaux sont à 70% de réalisation.» Le patron du groupe Ennahar s’est plaint du directeur de l’industrie, Amar Bayou, qui, selon lui, a présenté au juge une lettre «pleine de contrevérités sans apporter de preuve».

«Le contrat avec Tahkout prouve qu’il y a eu blanchiment d’argent»

Pour sa part, Mahieddine Tahkout nie le grief de «blanchiment d’argent» qui lui est reproché, avant que le juge ne lui demande des explications à propos de la somme de 5 millions de dinars versée à Mohamed Mokadem. «Toutes mes dépenses sont adossées à des factures et celles d’Ennahar concernent des campagnes de publicité. Cima Motors consacre 30 à 40 millions de dinars pour la promotion de ses produits. Avec le groupe Ennahar, nous avons signé un accord commercial dans ce sens. Les factures existent.» Le juge : «Qu’avez-vous à dire sur les 5 millions de dinars ?»

Le prévenu : «Ils concernent les situations de deux mois, janvier et février 2014, qu’il fallait régulariser et les factures existent. Nous l’avons payé avec un chèque au nom du gérant du groupe Ennahar. Nous avons des relations commerciales avec de nombreux médias, par uniquement Ennahar.» Le magistrat revient sur le contrat entre Athir Presse et Cima Motors, relatif à la vente de 27 véhicules, et Tahkout déclare : «C’est un engagement entre les deux parties pour que la contrepartie de ces véhicules soient payée en publicité diffusée de janvier 2017 au 31 décembre 2019.»

Le procureur revient sur le montant de 5 millions de dinars en apportant une autre version. «Vous aviez déclaré au juge d’instruction que cette somme représente le revenu de Mohamed Mokadem, qui travaillait comme conseiller à la communication au niveau de Cima Motors.» Tahkout nie catégoriquement et s’insurge contre le magistrat instructeur qui, selon lui, l’a cité dans l’ordonnance de renvoi comme «récidiviste», alors que «je n’ai pas de condamnation définitive», dit-il, avant de parler d’une plainte contre l’ex-ministre de la Justice, qu’il aurait déposée.

Le juge appelle le représentant de la société Athir Presse, qui nie toutes les charges, avant que l’avocat du Trésor public ne se présente pour se constituer partie civile. Lors de son réquisitoire, le représentant du ministère public n’y a pas été avec le dos de la cuillère : «Les faits sont avérés et la liste des biens mobiliers et immobiliers de Mokadem est très longue.

Il a acheté un appartement en France pour 415 000 euros, sans compter les avoirs dans des comptes d’Ennahar TV et Athir Presse. De quel investissement parle le prévenu ? Il n’y a rien eu. Le contrat avec Tahkout prouve qu’il y a eu blanchiment d’argent. La vente, entre guillemets, des véhicules est considérée comme blanchiment parce qu’il n’y a aucune justification qui prouve le contraire.»

Pour toutes ces raisons, le procureur réclame la peine de 10 ans de prison ferme assortie d’une amende de 3 millions de dinars contre Mohamed Mokadem et Mahieddine Tahkout, le paiement d’une amende d’un montant de 40 millions de dinars par la société Athir Presse, ainsi que la confiscation de tous les biens mobiliers et immobiliers ainsi que les avoirs gelés par le juge d’instruction, y compris ceux ayant fait l’objet de commissions rogatoires délivrées aux autorités françaises et émiraties. Durant des heures, le collectif de la défense a plaidé la relaxe pour les deux prévenus, en essayant de démonter les chefs d’inculpation un à un. 
 


 

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