Quelque 67 millions d’électeurs ont été appelés aux urnes hier pour une présidentielle acquise au chef de l’Etat sortant, Abdel Fattah Al Sissi. Les résultats officiels de cette élection, qui s’étend jusqu’à mardi, sont attendus le 18 décembre. Dans ce pays de 106 millions d’habitants, confronté à la plus grave crise économique de son histoire, le pouvoir d’achat est la priorité, deux tiers de la population vivant en dessous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté.
Outre le Président sortant, trois candidats globalement inconnus du grand public sont en lice : Farid Zahran, à la tête du Parti égyptien démocratique et social (gauche), Abdel-Sanad Yamama, du Wafd, parti centenaire mais désormais marginal, et Hazem Omar, du Parti populaire républicain. Malgré les difficultés de l’Egypte, aucune opposition sérieuse ne semble pouvoir exister sous le règne d’Al Sissi, cinquième président issu des rangs de l’armée, qui dirige le pays d’une main de fer.
La campagne présidentielle s’est déroulée en novembre dans l’ombre de la guerre entre l’entité sioniste et le Hamas palestinien, qui accapare l’attention des médias et de l’opinion publique. Les talk-shows, proches des services de renseignement et fervents partisans du président Al Sissi, tentent désormais de lier les deux. Le journaliste et militant Khaled Dawood dénonce «une atmosphère étouffante de suppression des libertés, un contrôle total des médias, et des services de sécurité qui empêchent l’opposition d’agir dans la rue». «Nous ne nous faisons aucune illusion : le scrutin ne sera (...) ni crédible ni équitable», écrit-il sur Facebook.
Mais il votera pour F. Zahran, afin d’«envoyer un message clair au régime». «Nous voulons un changement», car «après dix ans, les conditions de vie des Egyptiens se sont détériorées et nous risquons la faillite à cause de (sa) politique». Aux présidentielles de 2014 et 2018, l’ex-maréchal Al Sissi, arrivé au pouvoir en 2013 en renversant l’islamiste Mohamed Morsi, avait été élu avec plus de 96% des suffrages. Il a depuis allongé la durée du mandat présidentiel de quatre à six ans et fait modifier la Constitution pour repousser la limite de deux à trois mandats présidentiels consécutifs.
Économie exsangue
A la dernière présidentielle, la participation a atteint 41,5%, soit six points de moins qu’au scrutin précédent. Mais nombre d’Egyptiens estiment qu’Al Sissi est l’artisan du retour au calme après le chaos ayant suivi la «révolution» de 2011 et la chute de Hosni Moubarak après 30 ans de règne. Dès le début de son premier mandat en 2014, Al Sissi a promis de ramener la stabilité, y compris économique. Un ambitieux mais douloureux programme de réformes, avec dévaluations et diminution des subventions d’Etat, a été entrepris depuis 2016.
Des mesures qui ont entraîné une flambée des prix, nourri le mécontentement de la population et vu la base populaire et même les soutiens étrangers d’Al Sissi s’étioler au fil des années. L’inflation caracole à 40%, la dévaluation de 50% a fait flamber les prix et le secteur privé ne cesse de se contracter. Les subventions publiques disparaissent les unes après les autres sous la pression du Fonds monétaire international (FMI). La même institution financière attend toujours de pouvoir mener ses évaluations trimestrielles après un nouveau prêt à l’Egypte, le deuxième pays du monde le plus exposé au risque de défaut de paiement, selon Bloomberg.
Premier importateur de blé mondial, l’Egypte subit notamment de plein fouet la guerre entre l’Ukraine et la Russie, ses deux principaux fournisseurs. L’explosion des prix du blé a eu un impact considérable sur le pays. Les économistes dénoncent des méga-projets pharaoniques, villes nouvelles, dont la nouvelle capitale, trains à grande vitesse, ponts et routes, qui ont siphonné les caisses de l’Etat et triplé la dette. Aussi le régime d’Al Sissi mène une répression féroce contre l’opposition, emprisonnant des milliers d’islamistes, de militants ou encore de blogueurs, au nom de «la lutte antiterroriste».
Une loi sur la réglementation de la presse et des médias permet de surveiller étroitement les comptes d’utilisateurs de réseaux sociaux les plus populaires. L’Egypte, 135e pays sur 140 au classement mondial de l’Etat de droit du World Justice Project, est l’un des pays qui recourt le plus à la peine de mort au monde.