On s’adapte difficilement comme tout le monde avec la faim, la soif, la chaleur accablante», confie à l’AFP l’un des candidats à la présidentielle du 24 mars au cœur de la capitale sénégalaise, devant des sympathisants eux aussi à bout de souffle. La campagne express qui s’est achevée vendredi au Sénégal, sans boire ni manger pendant la journée en raison du Ramadhan, et sous une chaleur étouffante, a mis les organismes à rude épreuve.
«Ce n’est pas facile, c’est une évidence», dit Idrissa Seck, l’un des 17 candidats encore en lice, en ce mois béni pour les musulmans qui représentent plus de 90% de la population du pays. Son cortège sillonne les rues de Dakar à la rencontre des populations en cette fin de matinée et sous une forte chaleur. Depuis le toit ouvrant de son véhicule, l’opposant de 64 ans, qui participe à sa quatrième présidentielle, salue ses quelques dizaines de sympathisants.
L’élan est timide. L’ambiance peine à monter
Dans la foule, certains apparaissent épuisés au bout de quelques mètres. «J’accompagne Idrissa Seck depuis 1988. (Mais) on n’a jamais fait campagne en période de ramadan. C’est très dur et on ne s’adapte pas. Avoir faim et soif en plus de courir, il faut être sportif pour le faire», soupire une de ses proches, Anta Nar Fall, tout d’orange vêtue, la couleur de son parti. Le Ramadhan, l’un des cinq piliers de l’islam, consacre un mois de jeûne pour les fidèles.
Ces derniers doivent s’abstenir de manger, de boire, de fumer et d’avoir des relations sexuelles à partir du début du carême à l’aube jusqu’à la rupture du jeûne au crépuscule. Fait inédit au Sénégal : la campagne électorale a lieu en plein mois de jeûne. Le pays a connu l’une de ses plus graves crises politiques depuis l’indépendance après le report du scrutin initialement prévu le 25 février par le président Macky Sall.
Après un mois d’incertitude, celui-ci a finalement fixé la date au 24 mars, chamboulant le calendrier électoral et raccourcissant la durée de campagne à moins de 15 jours, soit une semaine de moins que la durée prévue par le code électoral. Pour tous les candidats, il a fallu s’adapter au plus vite, réajuster la stratégie et accélérer la cadence. Mais en plein Ramadhan, la tâche est loin d’être facile.
Certains candidats sont même apparus par moments à bout de souffle. «Ce qu’ils nous ont fait, ce n’est pas bien. Nous imposer une campagne (en plein Ramadhan)...», se plaint le candidat Khalifa Ababacar Sall, 68 ans. «D’abord, on ne sait même pas comment faire la campagne. Les gens se réveillent tard. Dans la journée, ils s’occupent de préparer leur coupure. La nuit, ils sont dans leurs prières. Et après, ils doivent se coucher tôt pour pouvoir faire leur +xeud+ (dernier repas avant l’aube). C’est compliqué», ajoute-t-il.
«Capter l’attention»
A Diourbel (centre) par exemple, où le candidat de la coalition au pouvoir tenait un meeting mardi, les populations se sont précipitées chez elles, juste après 17h, pour aller préparer la coupure du jeûne, a constaté un journaliste de l’AFP. Comme ses concurrents, Amadou Ba écume le pays pour défendre son programme. Et comme ses concurrents, tous de religion musulmane, il doit en plus de la faim et de la soif composer avec des températures élevées, notamment à l’intérieur du pays. Le Sénégal enregistre depuis quelques jours une vague de chaleur, avec des températures pouvant monter jusqu’à 45 degrés, selon l’Agence nationale de la météorologie, rendant encore plus difficiles les déplacements à l’intérieur du pays.
Plusieurs cas de malaises ont été rapportés au cours de la campagne sur les réseaux sociaux. Pour contourner ces difficultés, Momar Assane Diouf, 31 ans, et ses amis, tous des soutiens du candidat antisystème Bassirou Diomaye Faye, ont trouvé une parade : distribuer des repas à la coupure et ainsi profiter de ce moment pour sensibiliser les gens au «projet» du parti dissous Pastef, en plus de leur remettre des tracts résumant le programme de leur leader. Ce jour-là, l’équipe s’est déployée à Bountou Pikine, un point chaud de la banlieue de Dakar où une foule s’est vite formée autour d’elle.
Vêtus de maillots du Sénégal ou de T-shirts à l’effigie de leur champion, ils distribuent des cafés et des beignets au mil. Pour Thierno Ndiaye, l’un des initiateurs, la stratégie a fait ses preuves. «ça marche très bien. La distribution des kits nous permet de capter l’attention des gens et ainsi de pouvoir leur parler du projet», se réjouit-il.
Diomaye Faye reçoit le soutien de Karim Wade
Une figure de la politique sénégalaise, Karim Wade, a appelé hier ses compatriotes à voter pour le candidat antisystème Bassirou Diomaye Faye à la présidentielle de demain, apportant à celui-ci un soutien de dernière minute potentiellement significatif. Le choix de Karim Wade était scruté attentivement. Fils de l’ancien président Abdoulaye Wade (2000-2012), il était le candidat de l’historique Parti démocratique sénégalais (PDS) autrefois au pouvoir et qui conserve du poids. Les avis divergent sur l’impact de sa décision, étant donné l’érosion du PDS et les dissensions en son sein. M. Wade a lui-même été disqualifié de la présidentielle par le Conseil constitutionnel en janvier parce qu’il avait toujours la double nationalité franco-sénégalaise au moment du dépôt de son dossier alors que la Constitution impose la nationalité strictement sénégalaise pour être candidat. M. Wade a accusé le candidat du camp présidentiel, Amadou Ba, d’avoir corrompu deux juges du Conseil constitutionnel pour le faire éliminer, ce que M. Ba dément. «Je vous invite tous, militants et responsables du PDS, alliés de la Coalition Karim 2024 et citoyens engagés, à vous mobiliser pour faire gagner le candidat Diomaye Faye», dit M. Wade dans un message sur les réseaux sociaux. Il s’agit de «barrer la route au coup d’Etat électoral orchestré par Amadou Ba», qu’il accuse d’avoir un «plan de fraude massive» pour gagner l’élection dès le premier tour. Il appelle son parti à «travailler étroitement» avec la coalition de Bassirou Diomaye Faye. Le réservoir de voix de M. Wade est convoité. Amadou Ba avait appelé cette semaine Karim Wade à se prononcer en sa faveur. La contestation soulevée par Karim Wade contre sa disqualification avait été l’un des motifs invoqués par le président sortant Macky Sall pour décréter un report de la présidentielle en février, ce qui avait provoqué une grave crise politique qui a fait deux morts.