Le discours bien rodé chez les responsables de la majorité présidentielle, qui consiste à placer au même niveau de «dangerosité pour le pays» extrême gauche et extrême droite, est un choix stratégique assumé, dont l’objectif est de dissuader les électeurs indécis de la gauche de voter pour la Nupes au tour décisif de ce 19 juin.
La Nupes, l’union de gauche menée par Jean-Luc Mélenchon, est arrivée en coude-à-coude avec Ensemble, la coalition présidentielle d’Emmanuel Macron, au premier tour des élections législatives françaises, qui a eu lieu dimanche 12 juin. Selon les résultats du ministère de l’Intérieur, les deux mouvements politiques ont recueilli chacun 25,7% des voix exprimées au niveau national.
Tandis que la Nouvelle union populaire, écologique et sociale était donnée en tête durant une bonne partie de la soirée de dimanche, les résultats officiels relèvent finalement un petit avantage d’environ 20 000 voix au parti du président Macron.
Cela n’a pas été, d’ailleurs, du goût des leaders de la Nupes, qui dénoncent une «manipulation» dans l’annonce des chiffres afin de permettre à Ensemble de s’afficher en tête du 1er tour. «Alors que la Nupes réalise 6 101 968 voix (soit 26,8%), le ministère de l’Intérieur ne lui attribue que 5 836 202 voix (soit 25,7%) pour faire apparaître artificiellement le parti de Macron en tête», dénonça sur Twitter Manuel Bompard.
Lui-même candidat et l’un des porte-parole de cette coalition de gauche – regroupant les insoumis, les écologistes, les socialiste et les communistes –, il a demandé l’arbitrage du Conseil d’Etat pour rectifier les résultats définitifs, en rajoutant les voix obtenues par certains candidats soutenus par la Nupes, qui ont été comptabilisés comme «divers gauche».
Ce jeu de communication ne change pas la réalité des choses, selon Mélenchon qui cria victoire : «Le parti présidentiel a été battu et défait au 1er tour, et la Nupes sera présente dans plus de 500 circonscriptions pour le 2e tour.»
De son côté, la Première ministre, Elisabeth Borne, qui conduit le combat électoral du côté marconiste, s’est félicitée des résultats, tout en restant très vigilante pour la suite à cause de l’abstention.
«Nous sommes la seule force politique en mesure d’obtenir la majorité», a-t-elle affirmé, et de s’adresser à «ceux qui se sont abstenus, pour faire entendre leur voix dimanche prochain».
Pourtant classée à gauche sur l’échiquier politique, la nouvelle locataire de Matignon n’a pas manqué de déclencher une polémique en mettant dos à dos la Nupes et l’extrême droite, représentée au 2e tour par le Rassemblement national dans plusieurs circonscriptions. «Face aux extrêmes, en votant pour les candidats de la majorité présidentielle, vous permettez à la France d’être au rendez-vous de son avenir et de ses valeurs», a-t-elle déclaré dans son discours qui a suivi la proclamation des résultats.
Une position qui a suscité beaucoup d’émoi dans la classe politique, deux mois après le second tour de l’élection présidentielle où le «front républicain» a permis la réélection d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen.
Borne a fini par apporter une nuance sur Twitter en indiquant que «face à l’extrême droite, nous soutiendrons toujours les candidats qui respectent les valeurs républicaines. Notre ligne : ne jamais donner une voix à l’extrême droite».
Ce discours bien rodé chez les responsables de la majorité présidentielle, qui consiste à placer au même niveau de «dangerosité pour le pays» extrême gauche et extrême droite, est un choix stratégique assumé, dont l’objectif est de dissuader les électeurs indécis de la gauche de voter pour la Nupes au tour décisif de ce 19 juin.
En effet, s’il y a peu de chance que l’alliance de gauche obtienne la majorité des sièges à l’Assemblée nationale, du moins, selon les prévisions des instituts de sondage, elle risque néanmoins d’empêcher Macron d’obtenir une majorité absolue. C’est-à-dire au moins 289 sur 577 députés. Ce qui sera en soi un échec cuisant pour le président français. A une semaine du jour «J», les différentes projections donnent à Ensemble entre 250 et 300 sièges, et la Nupes entre 150 et 200 sièges.
Une abstention record au premier tour
L’abstention a atteint dimanche un nouveau record pour un premier tour d’élections législatives, entre 52,5% et 53%, selon les estimations de cinq instituts de sondage, plus d’un point de plus que le précédent record de 2017 (51,3%). Le taux d’abstention devrait être de 52,5% selon Harris interactive pour M6/RTL et OpinionWay pour CNews et Europe 1, 52,8% selon Elabe pour BFMTV/L’Express/RMC et 53% selon Ipsos/Sopra Steria pour France TV/Radio France/France 24/RFI/LCP et Ifop pour TF1/LCI.
Après un premier quinquennat d’Emmanuel Macron marqué par des records d’abstention aux élections locales, et notamment la Bérézina des régionales de 2021 (66,72%), la dernière présidentielle en avril avait marqué un rebond (26,3% d’abstention au premier tour), qui aura donc été de courte durée.
Comme le soulignent les politologues, la présidentielle demeure l’élection reine de la Ve République, la seule qui compte vraiment aux yeux des électeurs, et les législatives, surtout depuis l’inversion du calendrier qui les a placées depuis 2002 dans la foulée de celle-ci, peinent de plus en plus à mobiliser.
Depuis 1993 (30,8%), l’abstention au premier tour des législatives ne cesse de croître et le mouvement s’est encore nettement accentué depuis 2007 (39,6%) et 2012 (42,7%) et surtout 2017 (51,3%).
«L’enjeu très personnalisé de l’élection présidentielle parvient encore à susciter l’intérêt des Français, mais il aspire tout l’enjeu des autres types de scrutins, même celui – essentiel – qui consiste à élire les députés à l’Assemblée nationale», comme le résume le sondeur (Ipsos) Mathieu Gallard. R. I.