Pratique de la torture dans les prisons israéliennes : Le témoignage glaçant du directeur de l'hôpital Al Shifa

02/07/2024 mis à jour: 00:11
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Photo : D. R.

A moins d’une semaine de l’entame du 9e mois de la guerre génocidaire contre Ghaza, tuant 37 900 Palestiniens et en blessant 87 060 autres, l’armée d’occupation a libéré 55 détenus de Ghaza, dont le directeur de l'hôpital Al Shifa, Abou Salmiya.

Alors que la guerre génocidaire menée par l’armée d’occupation israélienne contre Ghaza se poursuit avec la même intensité en ce 269e jour, très tôt dans la matinée d’hier, 55 captifs palestiniens ont été remis en liberté avant d’être transférés vers des centres médicaux de Ghaza, a indiqué une source médicale de l’hôpital des Martyrs d’Al Aqsa, à Deir El Balah, au centre de Ghaza, à des chaînes de télévision.

Cinq d’entre eux, a précisé la même source, ont été admis à l’hôpital Al Aqsa, et les autres transférés vers des hôpitaux de Khan Younès. Parmi les détenus libérés, le directeur de l’hôpital Al Shifa, de la ville de Ghaza, Mohamed Abou Salmiya, éminent pédiatre, qui avait été arrêté le 23 novembre dernier lors de la première opération militaire au complexe médical Al Shifa.

Durant des jours, ses proches et collègues avaient perdu le contact avec lui, jusqu’à ce qu’il apparaisse pour la dernière fois, en sous-vêtements, à bord d’un camion bondé de Palestiniens, les mains ligotées derrière le dos, avant d’être transféré avec des dizaines d’autres captifs, dont des femmes et des enfants, vers une destination inconnue.

Abou Salmiya est apparu hier la mine défaite et amaigri, entouré par ses collègues et ses proches, surpris de sa libération. Très ému, encore affecté par les conditions de détention durant près de sept mois, Abou Salmiya est revenu, en direct sur de nombreuses chaînes, sur les conditions de son incarcération, sa libération et la situation dans les prisons israéliennes. «J’ai été libéré ce matin, par les forces armées, avec une cinquantaine d’autres prisonniers.

Je n’ai été accusé d’aucun crime malgré mon procès à quatre reprises», a-t-il déclaré. Sur les conditions de détention, Abou Salmiya a précisé avoir «laissé de nombreux détenus dans un état de santé psychologique très précaire. Pendant deux mois, les prisonniers ne mangeaient qu’un morceau de pain par jour. Les forces d’occupation ont amputé les pieds de prisonniers souffrant de diabète, faute de soins médicaux.

Les équipes médicales de l’occupation agressent et battent les détenus en violation des règles humanitaires». Revenant sur son cas précis, il a indiqué avoir été arrêté alors qu’il était dans un convoi humanitaire qui transportait les blessés du complexe Al Shifa via le passage de Netzarim. «Les forces d’occupation nous traitaient  comme si nous étions des objets inanimés, et les médecins nous battaient.» Pour lui, «détruire le complexe Al Shifa signifie empêcher le système de santé de Ghaza de fonctionner.

C’est ce que veut l’occupation. Quotidiennement, je subissais de graves tortures. Les gardiens entraient tous les jours dans nos cellules pour agresser les détenus. Aucune organisation internationale ne nous a rendu visite et nos rencontres avec nos avocats étaient interdites.

Souvent les prisonniers étaient agressés à l’aide de chiens et de bâtons, pour les empêcher de prendre des matelas et des couvertures. De nombreux  détenus sont morts dans les centres d’interrogatoire, après avoir été privés de nourriture et de médicaments». Abou Salmiya a révélé, par ailleurs, que des centaines de prisonniers ont perdu environ 30 kg parce que l’administration pénitentiaire leur a refusé la nourriture et les médicaments.

Echanges de lourdes accusations entre Ben Gvir, Gallant et le Shin Bet

La libération d’Abou Salmiya a suscité une grande polémique au plus haut niveau du gouvernement israélien. «La libération du directeur du centre médical Al Shifa à Ghaza, avec des dizaines d’autres terroristes, est un renoncement à la sécurité», a déclaré sur son compte X (anciennement Twitter) Itamar Ben Gvir, le ministre extrémiste israélien à la Sécurité, en exigeant «le limogeage» du commandant du Shin Bet, auquel il impute la libération du directeur du complexe Al Shifa. Yoav Gallant a exprimé son opposition à cette libération, qu’il a qualifiée «d’erreur opérationnelle et morale», avant d’exiger, lui aussi, «le limogeage  immédiat» du responsable.

Citant des sources du bureau du ministre de la Défense, des médias israéliens ont, pour leur part, écrit que Yoav Gallant «n’était pas au courant de l’intention de libérer le directeur du complexe Al Shifa», d’autres ont évoqué la «colère» que cette décision «a provoqué au sein du gouvernement», alors que certains journaux israéliens, reprenant un communiqué du bureau du Premier ministre Netanyahu, ont affirmé que ce dernier «a ordonné l’ouverture immédiate d’une enquête», ajoutant que «les détenus libérés ont été identifiés de façon indépendante par des responsables de sécurité sur la base de leurs informations».

Des réactions qui ont poussé le directeur de l’administration pénitentiaire à sortir de sa réserve en disant : «C’est le ministère de l’Armée et le Shin Bet (agence de sécurité israélienne) qui ont pris la décision de libérer les détenus, dont Abou Salmiya, et non pas le ministère de la Sécurité.

L’ordre a été signé par un officier de l’armée dans le but de désengorger les prisons.» Une déclaration suivie par une autre, celle du Shin Bet, qui dans un communiqué a accusé directement le ministre de la Sécurité, Itamar Ben Gvir, et le gouvernement en général de «n’avoir pas pris en compte durant des mois les avertissements sur la surpopulation carcérale» et «la nécessité de vastes zones d’espace de détention supplémentaires pour accueillir des milliers de nouveaux détenus palestiniens».

Il a averti que lui et l’armée israélienne «ralentissaient le rythme des nouvelles arrestations en raison du manque d’espace pour accueillir de nouveaux détenus» et précisé qu’il «libère les détenus, conformément à la loi en vigueur, selon une échelle mobile, en les classant selon leur niveau de danger».

De ce fait, le Shin Bet a confirmé qu’il est l’ordonnateur de la libération des 55 détenus palestiniens, tout en précisant que «le directeur de l’hôpital Al Shifa, Abou Salmiya, est considéré comme dangereux, mais moins dangereux que les autres combattants. C’est pourquoi il a été inclus dans la série actuelle de personnes libérées».

Cette libération des détenus palestiniens est intervenue alors que des images de vidéos tournaient en boucle sur les chaînes de télévision, notablement la chaîne qatarie Al Jazeera, montrant des soldats israéliens qui utilisent des prisonniers palestiniens comme bouclier humain dans des opérations militaires en Cisjordanie. Les soldats avaient attaché l’un des Palestiniens qu’ils avaient blessé au capot d’une jeep militaire et l'ont l’utilisé comme bouclier humain, et empêché les équipes médicales de secourir les autres Palestiniens blessés.

Graves violations du droit humain

Interrogée par l’agence de presse turque Anadolu, Jeremy Laurence, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, a dénoncé les pratiques des soldats israéliens qui «ont lâché des chiens sur des détenus palestiniens» en disant : «Nous avons connaissance d’informations selon lesquelles des chiens auraient été lâchés sur des détenus, entraînant dans certains cas des morsures.

De telles actions constituent de graves violations des obligations d’Israël du droit de l’occupation concernant les personnes protégées et du droit international des droits de l’homme concernant les droits individuels à la vie et à la santé, l’interdiction absolue des traitements et des punitions inhumains ou dégradants.»

Sur le fait d’attacher un Palestinien blessé par les tirs de soldats israéliens, dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, à l’avant d’un véhicule militaire afin de l’utiliser comme bouclier humain, il a déclaré : «En Cisjordanie occupée, le HCDH condamne les violations continues et flagrantes du droit international des droits de l’homme et du droit humanitaire international contraignant pour Israël en tant que puissance occupante».

Abondant dans le même sens, l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme a rendu public, hier, un communiqué dans lequel il a affirmé avoir «documenté des dizaines de cas prouvant que l’armée d’occupation israélienne a utilisé à grande échelle des civils palestiniens comme boucliers humains et forcé certains d’entre eux à mener des actions militaires comportant de réels dangers pour leur vie».

Selon l’Observatoire, «l’armée d’occupation a forcé des civils à pénétrer dans des bâtiments ou des tunnels ou à rechercher des explosifs et des tunnels potentiels, en plus d’en détenir d’autres dans des maisons et des sites situés dans des zones d’affrontements, mettant ainsi leur vie en danger.

Les scènes d’horreur publiées par Al Jazeera expriment le comportement brutal et inhumain de l’armée d’occupation israélienne et une violation flagrante des règles de la guerre et du droit international humanitaire». L’ONG a estimé que cette pratique «ne s’est pas limitée» à la bande de Ghaza, «nous avons plutôt documenté de nombreux cas similaires en Cisjordanie, et c’est le prolongement d’une politique suivie depuis de nombreuses années.

La responsabilité judiciaire internationale des auteurs de ces crimes doit être activée et justice doit être rendue pour les victimes conformément au Statut de Rome, qui affirme que l’utilisation de civils comme boucliers humains est un crime de guerre soumis à la juridiction de la Cour pénale internationale».

Hier, c’était au tour de l’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Watch de rendre publique une déclaration, à partir de Genève, sur «le droit de toutes les victimes de violations flagrantes des droits humains d’obtenir des réparations».

Selon l’ONG, «en vertu du droit international, les gouvernements responsables de violations des droits de l’homme sont tenus de fournir des recours efficaces en garantissant la vérité, la justice, l’indemnisation, la commémoration et les garanties de non-répétition.

Les groupes armés non étatiques ont également la responsabilité d’assurer les réparations (…). Les parties au conflit doivent réparer les torts qu’elles ont causés aux victimes dans le cadre des hostilités en cours (…). Les gouvernements qui soutiennent Israël et les groupes armés palestiniens devraient non seulement utiliser leur influence pour mettre un terme à de nouvelles exactions, mais aussi pour veiller à ce que les victimes et les survivants reçoivent des réparations significatives».

 

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