Pour un tourisme ciblé et responsable en Algérie

02/07/2024 mis à jour: 16:26
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Photo : D. R.

Abdelkader Abderrahmane
Analyste et consultant en géopolitique 

Depuis quelque temps, la destination «Algérie» présentée comme terre touristique en devenir est mise en avant. Toutefois, les nombreux Algériens, étrangers ainsi que les autorités compétentes qui s’adonnent à la promotion de l’Algérie, se doivent de réfléchir aux conséquences potentiellement négatives dans le long, voire moyen termes, pour l’Algérie et les Algériens.

Après une longue année de labeur, stress et tracas en tous genres pour les locaux et les Algériens vivant hors des frontières, la saison estivale s’apprête à être lancée en Algérie, avec elle, son lot de joie, de retrouvailles familiales, d’insouciance et de franches rigolades. Mais aussi bousculades, engueulades et verbes hauts qui laisseront des souvenirs impérissables pour la plupart des estivants. Si la plupart des touristes en Algérie seront cette année encore algériens, le pays est toutefois de plus en plus visité par des étrangers.

Depuis quelque temps, la destination Algérie est mise en avant sur les réseaux sociaux par de nombreux algériens, amoureux de leur pays. Des vlogueurs et influenceurs étrangers sont aussi de la partie, s’affichant devant les nombreux sites magnifiques dont recèle le pays, promouvant ainsi le tourisme en Algérie.

Récemment, deux journaux britanniques mettaient eux aussi en avant l’Algérie comme destination touristique à visiter.  Sous le titre probablement prophétique, The North African country to visit now - before it becomes the next Morocco, The Times faisait un parallèle entre l’Algérie et son voisin marocain . Quant à The Independent, ce dernier titrait Africa’s largest country is one of world tourism’s undiscovered gems – for now’ . Là encore, le journal britannique soulignait que si l’Algérie touristique demeure encore vierge, cela ne pourrait pas durer encore longtemps.

En 2023, 3,3 millions de touristes ont visité l’Algérie, dont 1,2 million d’Algériens vivant à l’étranger. A cela, il faudrait préciser que parmi tous ces touristes, nombreux voyageaient dans un cadre professionnel.

Selon The Independent, les autorités algériennes ambitionnent d’augmenter ce chiffre à 12 millions en 2030, soit dans six ans. Pour cela, de nombreux hôtels sont construits et d’autres rénovés et 800 projets touristiques sont en construction sur les 2000 approuvés.

Ne pas foncer tête baissée

Toutefois, au-delà de ce très ambitieux programme quantitatif, l’on se doit de se pencher sur la stratégie du développement touristique en Algérie, de sa pertinence et de ses bienfaits. Car sincères ou pas, réels amoureux de l’Algérie ou ambitieux en recherche de gains financiers quel qu’en soit le prix, ces Algériens et étrangers qui aiment partager et promouvoir la destination Algérie semblent cependant ne pas réfléchir aux conséquences dans le long, voire moyen termes, pour l’Algérie et les Algériens.

Depuis l’indépendance de l’Algérie, les autorités algériennes ont fait preuve dans de nombreux moments et périodes difficiles, à maintes reprises de leur sagesse et patience, évitant de se précipiter tête baissée, en apportant des réponses nécessitant souvent une stratégie de moyen voire long termes.

Après avoir négligé le secteur touristique pendant des décennies, Alger souhaite aujourd’hui rattraper le temps perdu et faire bénéficier les Algériens et étrangers des immenses et nombreuses beautés de l’Algérie. A juste titre. 
Mais pas à n’importe quel prix !

Aujourd’hui, l’ambition et projet de développement touristique en Algérie, aussi légitime qu’il soit, va à rebours de la logique de ce qui se fait de plus en plus dans d’autres pays, rompus au tourisme de masse. Et vouloir devenir la nouvelle destination touristique par excellence d’Afrique du Nord, risque fort de se révéler contre-productif. 

Si nombreux sont sincères dans leurs démarches afin de promouvoir l’Algérie à l’extérieur, et ce, faisant contribuer à l’économie nationale, nombreux sont aussi attirés par l’appât du gain uniquement et s’enrichir sur le dos de l’Algérie et des Algériens. Lobbyistes, tour opérateurs algériens et étrangers, chaînes hôtelières et sous-traitants, beaucoup parmi eux ne semblent guère tenir compte du danger du tourisme de masse qui guète l’Algérie.

Ce faisant, les maux au développement économique de l’Algérie risquent fort d’être plus profonds que le remède touristique. Car si un tourisme de masse engendrera dans l’immédiat, la création de milliers d’emploi directs ou indirects, il n’est absolument pas certain que les générations futures puissent en voir un quelconque bénéfice.

A rebours de la demande croissante pour un tourisme éco-friendly

Il suffit aux Algériens de voir ce qui se passe ailleurs pour comprendre que la période du tourisme de masse est révolue. Il suffit de voir la surpopulation lors des saisons estivales des destinations touristiques telles que Santorini en Grèce, Venise en Italie, Barcelone en Espagne, du Mont Saint Michel en Bretagne, du Mont Fuji au Japon et bien d’autres contrées pour comprendre que ce genre de tourisme n’est plus sustainable (durable), plus d’actualité. Et ne fait plus rêver.

Car non seulement, le tourisme de masse dérange la quiétude des locaux qui se plaignent de plus en plus de l’afflux de touristes, mais il ne facilite aucunement le respect de l’environnement. Les bords de mer, les plages, les montagnes, plus rien ne résiste aux ambitions des promoteurs du béton et aux millions de pas et d’empreintes digitales des touristes ! 
D’aucun cherchent la parade en tentant de restreindre l’accès des sites touristiques susmentionnés, et par-là même, revenir à un tourisme plus humain.

De nombreuses questions en suspens

S’agissant de l’Algérie, une augmentation du tourisme entraînera irrémédiablement une inflation du coût de la vie pour les Agériens. Les prix des produits de première nécessité  seront bien plus cher aux abords des lieux touristiques (c’est déjà le cas) où vivent même les locaux. Les Algériens auront aussi plus de difficultés pour accéder aux logements en raison de la spéculation immobilière.

A cet égard, si de nombreuses plages algériennes demeurent aussi belles et vierges, c’est aussi parce qu’elles n’ont pas subi les assauts du béton et des millions de touristes. Un développement incontrôlé du tourisme ruinera en un temps record ces nombreuses plages et criques présentes à travers le pays. Ce qui ne fera qu’aggraver le paysage du nord du pays, déjà défiguré par ces nombreux immeubles et urbanisme, trop souvent mal pensés et mal conçus.

Par ailleurs, le traitement des déchets qui demeure un sérieux problème en Algérie se doit aussi d’être posé. Le tourisme, quel qu’il soit et où qu’il soit, engendre des tonnes de déchets à gérer et recycler. L’Algérie en a-t-elle les moyens aujourd’hui ? Pourra-t-elle recycler les déchets de 12 millions de touristes dans six ans ? La question mérite d’être posée.

La question cruciale de l’hydraulique et des pénuries d’eau se pose aussi à un moment où les algériens eux mêmes n’ont pas accès à cet or bleu de manière régulière et constante. Les hôtels remplis de touristes à l’insouciance démesurée requièrent une quantité d’eau que le pays ne peut probablement pas se permettre, sans se mettre à dos une frange de la population locale qui pourrait voir d’un mauvais œil que pendant que d’autres s’amusent et gaspillent (leur) eau, eux n’y ont accès que de manière intermittente.

Enfin, le tourisme de masse apporte avec lui de nouveaux mœurs et codes en tous genres. Encore une fois, les Algériens sont-ils prêts à une gentrification de leurs valeurs socio-culturelles et leurs us et coutumes afin de s’adapter de manière aussi rapide à la demande de ce genre de tourisme qui de manière générale ne se souci guère des coutumes locales ? D’autres questions en suspens méritent aussi d’être posées…

Un tourisme ciblé respectueux de l’environnement

Il va de soit que le tourisme doit être développé en Algérie et contribuer à l’économie nationale. Mais celui-ci ne doit pas se faire de manière sauvage, anarchique, irréfléchi et surtout sous un œil pécuniaire uniquement. 

Les autorités algériennes peuvent se permettre une autre approche de développement touristique, qui sans doute rapporterait moins aux caisses de l’Etat, mais serait bien plus bénéfique à l’Algérie et aux Algériens.  A l’image du tourisme déjà en place en Namibie, aux Maldives et dans d’autres pays, un tourisme ciblé doit être le mot d’ordre des autorités algériennes.

Un tourisme qui apporterait aux voyageurs un dépaysement total, comme seul le Sahara, le Hoggar ou les oasis de Taghit, Beni Abbes, le massif du Djurjura et bien d’autres régions algériennes peuvent procurer. Un tourisme qui requiert aussi une certaine culture du respect de l’environnement, de la part des touristes et des locaux.

A contrario, un tourisme de masse peu soucieux des règles environnementales et du patrimoine local ne peut qu’aggraver la situation de sites classés à l’Unesco, mais pas seulement, tel que le Tassili N’Ajje et ses peintures rupestres, déjà endommagées par des touristes (locaux ou autres) irresponsables.

Des milliers d’étrangers sont prêts à débourser beaucoup d’argent pour ce genre de tourisme totalement dépaysant. Nombreux sont ceux qui sont à la recherche de bivouacs et authenticité dans des lieux magiques et pour lesquels ils ne lésinent pas sur les moyens pour en bénéficier.

Car si c’est pour reproduire ce qui se fait déjà chez nos voisins de l’ouest et en Tunisie -ainsi qu’en Europe du sud - avec des hôtels et plages made for tourists only, ces derniers ont une très large longueur d’avance sur l’Algérie. Mais plus encore sans doute, ce n’est pas ce que recherche un nombre croissant de touristes aujourd’hui.

C’est pour cela que les autorités compétentes algériennes se doivent de cibler une autre forme de tourisme. Un tourisme respectueux de l’environnement et des cultures locales, un tourisme qui émerveille les sens et donne envie de revenir. Peu importe les tarifs si le service est présent, les sites visités inoubliables et les souvenirs impérissables.

Aujourd’hui, les touristes en veulent pour leur argent et leurs yeux. C’est en se démarquant de ses voisins maghrébins mais aussi d’Europe du sud que l’Algérie saura tirer son épingle du jeu du si convoité secteur touristique méditerranéen. Pour le bien de l’Algérie et l’avenir de ses enfants.  
 

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