Par Abderahmi Bessaha
L’accumulation de déficits budgétaires hors pétrole très élevés depuis des années a conduit à une croissance modeste, une baisse du ratio recettes fiscales/PIB, une dette publique en hausse, une inflation élevée et contre toute attente une appréciation de la monnaie nationale (résultat de l’orientation erronée de la politique de change en direction d’une lutte contre l’inflation).
Désormais, le rééquilibrage des finances publiques redevient une priorité incontournable pour assurer le retour à une bonne gestion macroéconomique du pays, reconstituer des marges financières, favoriser une croissance économique saine, durable et élargie, et prendre en charge les défis domestiques (dont le changement climatique et la pression démographique) et externes (recomposition du contexte géostratégique, économique et énergétique mondial) dans le cadre d’une stratégie à long terme de refondation du modèle économique et social.
Si un rééquilibrage des finances publiques passe par un compromis politique et social et une approche progressive, il implique d’abord et avant tout la mise en place d’institutions budgétaires solides et d’outils d’analyse idoines pour concevoir, mettre en œuvre, ajuster si besoin est et réussir une trajectoire difficile de reprise du contrôle des finances publiques. Discutons de ces questions.
Des finances publiques non viables en raison de l’option à court terme de la croissance par l’endettement, rendant incontournable un processus de rééquilibrage.
Des déficits budgétaires significatifs. L’économie algérienne est bloquée dans un cycle de faible croissance économique (en baisse de 3,8% entre 2021-2024, à 3% en 2025 et 2,1% en 2027), de baisse des recettes fiscales (de 29,5% du PIB entre 2021-2024, à 28% du PIB entre 2025-2027), de pressions inflationnistes élevées (de 7,7% entre 2021-2024, à 5,1% entre 2025-2027), creuse le déficit budgétaire hors pétrole (qui se situe autour d’une moyenne de 26,5% du PIB hors pétrole entre 2021-2027) et alourdit la dette publique autour d’une moyenne de 51% du PIB entre 2024 et 2027 (une telle hausse de la dette signifie une augmentation des intérêts au détriment d’autres dépenses sociales).
Un ajustement budgétaire d’une grande ampleur pour restaurer la discipline budgétaire : de 15 points de pourcentage du PIB hors pétrole en comparaison d’un déficit normatif de 11 % du PIB hors pétrole (suivant la méthode du revenu permanent).
Un tel déficit est un véritable frein à la croissance économique du pays. Un retour à la viabilité budgétaire implique un énorme ajustement symétrique entre les recettes et les depenses totales et doit être calibré en fonction des multiplicateurs de dépenses courantes et en capital. Ce qui implique un étalement dans le temps, des mesures fortes et bien ciblées et un effort soutenu pendant au moins 6-8 ans (excluant toute approche de stop and go).
Une trajectoire de rééquilibrage budgétaire crédible devra s’appuyer sur une nouvelle infrastructure institutionnelle et technique, y compris de l’expertise pointue, de nouvelles institutions solides spécialisées, des outils de travail appropriés en termes d’analyse (dont des tests de résistance), des règles budgétaires et la réhabilitation du mécanisme du prix de référence fiscal du baril et par extension les objectifs du Fonds de régulation des recettes.
Les composantes de la nouvelle infrastructure institutionnelle, technique et légale à mettre en place pour faciliter le rééquilibrage budgétaire et favoriser une croissance économique saine et élargie. En plus de son rôle axé sur la gestion à court terme des finances publiques et la stabilisation économique, la politique budgétaire a vu ces dernières années son rôle s’élargir pour inclure la prise en charge de nouveaux défis structurels à long terme, tels que la croissance durable, la réduction des inégalités sociales, l’adaptation au changement climatique et l’investissement dans l’innovation.
De ce fait, la conduite de la politique budgétaire doit s’inscrire dans le contexte d’une approche plus stratégique et proactive pour renforcer la discipline budgétaire. Les outils à mettre en place pour ce faire sont les suivants :
Une vision stratégique des finances publiques à long terme qui permet l’ancrage du budget dans une perspective décennale.
Un cadre macro-budgétaire, outil de planification stratégique à moyen terme : ce dernier est un cadre plus large qui met l’accent sur la politique budgétaire globale du gouvernement et sur sa viabilité sur une période à moyen terme (généralement de 3 à 5 ans).
Plus particulièrement, le cadre macro-budgétaire : (1) aide à orienter et suivre les politiques budgétaires pour garantir la stabilité économique à long terme ; (2) permet aux autorités de prendre des décisions basées sur la viabilité budgétaire, la gestion des risques et des objectifs macroéconomiques généraux ; (3) définit des objectifs budgétaires (recettes, dépenses, déficits, dette) tout en soutenant les choix fiscaux et de dépenses en lien avec la croissance et la réduction de la dette ; (4) contribue à prévenir les risques financiers et les déséquilibres ; (5) gère les risques (déficit budgétaire excessif, dette publique insoutenable, chocs économiques externes, variations des recettes fiscales, dépenses imprévues, dépendance excessive par rapport aux emprunts, inflation élevée, changements politiques et volatilité des marchés financiers) et conçoit des plans d’urgence ; et (6) assure un suivi des performances budgétaires pour ajuster les politiques si nécessaire.
Enfin, il garantit que les décisions budgétaires à court terme n’affectent pas la stabilité à long terme, tout en guidant l’élaboration du budget à moyen terme et la préparation des budgets annuels.
Un cadre budgétaire à moyen terme (CBMT), outil opérationnel : précieux pour une gestion durable et efficace des finances publiques, combinant planification, stabilisation économique, suivi et gouvernance. En offrant des prévisions budgétaires sur trois à cinq ans, il permet d’avoir une perspective à moyen terme sur les finances de l’Etat. Le CBMT permet aux gouvernements de mieux planifier leurs dépenses en définissant des objectifs clairs et en priorisant les besoins. Cela assure une répartition plus efficace des ressources et renforce la gestion transparente et responsable des finances publiques.
Il facilite également la coordination entre les différentes institutions gouvernementales, alignant leurs actions sur des objectifs communs. Un autre rôle fondamental du CBMT est la stabilisation économique. En fournissant un cadre prévisible et cohérent pour la politique budgétaire, il aide à atténuer les impacts des fluctuations économiques et des chocs extérieurs, favorisant ainsi une croissance économique stable et durable.
Le CBMT comprend des mécanismes de suivi et d’évaluation qui garantissent que les dépenses respectent les prévisions initiales. Grâce à des critères de performance clairs et des indicateurs de suivi, les autorités peuvent ajuster leurs stratégies budgétaires au besoin, dans le sens de la responsabilité et l’efficacité dans l’utilisation des fonds publics. Enfin, le CBMT renforce la gouvernance en améliorant la transparence et la responsabilité.
En impliquant divers acteurs de la société civile et du secteur privé dans le processus budgétaire, il encourage une plus grande participation et un contrôle citoyen, renforçant ainsi la confiance du public et la stabilité politique. Les tests de résistance budgétaire : aident les autorités à évaluer leur capacité à faire face aux chocs économiques.
Un test de résistance s’articule autour de plusieurs étapes-clés : (1) le développement de scénarios consistant à identifier les scénarios de stress financiers potentiels (récessions, hausse des coûts, etc.) ; (2) l’évaluation de l’impact de ces scénarios sur les recettes et les dépenses ; il est également important de vérifier si les réserves sont suffisantes pour couvrir les tensions financières prévues (la marge de contingence) ; (3) un rapport des résultats qui résume les conclusions et les ajustements nécessaires ; (4) des recommandations pour améliorer la résilience financière (augmentation des réserves ou diversification des sources de revenus).
Ces étapes aident les gouvernements à comprendre les risques financiers et à planifier les défis futurs. Les règles budgétaires sont des indicateurs à long terme fixant des limites sur les budgets centraux, afin d’assurer la responsabilité budgétaire et la viabilité de la dette publique.
Quatre types principaux de règles qui peuvent porter sur l’équilibre budgétaire (exigeant un budget équilibré sur une période donnée), la dette publique (limitant son niveau), les dépenses publiques (contrôlant leur croissance) et les recettes (assurant leur stabilité). Plus de 100 pays dans le monde ont adopté ces règles qui font souvent l’objet de lois, s’appliquent à différents niveaux de gouvernement (central, régional et local), incluent des clauses de sortie permettant leur suspension en période de crise et sont suivies de près par des entités indépendantes pour garantir leur respect.
Leur mise en œuvre améliore la discipline budgétaire, favorise la stabilité économique et encourage la planification à long terme. Cependant, ces règles posent certains défis : si elles sont trop rigides, elles peuvent limiter les options de correction, et en cas de crise, elles nécessitent un fort engagement politique et demandent un mécanisme de contrôle solide.
La mise en place d’un département macro budgétaire (DMB) et le développement d’une capacité d’analyse idoine. Cette dernière permettra d’évaluer l’impact des changements budgétaires qui permettront d’atteindre les objectifs économiques et budgétaires, en respectant les règles fiscales. Le DMB au sein du ministère des Finances est la structure-clé en mesure de définir des objectifs fiscaux durables à moyen terme, proposer des orientations politiques et évaluer les risques budgétaires.
Il assure également la cohérence entre les évolutions macroéconomiques et les projections de recettes et de dépenses, prépare des scénarios à court, moyen et long terme en fonction des objectifs politiques et des ajustements possibles des politiques fiscales. Sur cette base, le DMB conseille les décideurs sur les politiques à adopter, incluant :
L’évaluation de l’impact des politiques budgétaires. Il utilise des modèles pour mesurer l’effet des changements économiques et fiscaux sur les prévisions budgétaires, facilitant ainsi les ajustements nécessaires pour atteindre les objectifs fixés.
La coordination des analyses budgétaires. Le DMB collecte et analyse les travaux menés au sein du ministère des Finances, en intégrant des réformes fiscales, sociales et autres politiques publiques pertinentes.
L’analyse de l’impact sur la dette publique. Si la dette devient insoutenable, le DMB propose des scénarios de consolidation budgétaire pour restaurer l’équilibre budgétaire.
L’évaluation de l’impact sur la croissance économique. L’analyse des multiplicateurs budgétaires permet de mesurer les effets des politiques budgétaires sur la croissance et de modéliser les impacts à long terme.
L’examen des liens entre le secteur fiscal et financier. Le DMB évalue la cohérence entre les politiques fiscales et financières, un domaine crucial depuis la crise financière mondiale de 2008-2011.
L’analyse des enjeux structurels à long terme. Le DMB passe en revue les impacts à long terme des tendances démographiques, des dépenses sociales et du changement climatique sur les finances publiques.
L’analyse des risques budgétaires : ce qui permet d’évaluer les écarts possibles entre les projections du cadre macro budgétaire ou du budget annuel et les résultats réels. Ces écarts peuvent être causés par des hypothèses non réalisées, des chocs externes (comme une récession) ou des opérations hors budget (par exemple des garanties gouvernementales).
Le suivi des évolutions macroéconomiques et budgétaires est crucial pour ajuster les projections et prendre des mesures correctives en cas de déséquilibres budgétaires.
L’Algérie pourrait bénéficier de la mise en place d’une capacité macro budgétaire telle que décrite ci-dessus. Cette dernière permettrait aux autorités de renforcer la qualité de la gestion des finances publiques, de prévoir les risques économiques, prendre en charge les défis structurels du pays et renforcer la stabilité économique à long terme.
La mise en place d’une telle infrastructure devra cependant être accompagnée : (1) d’une réhabilitation du mécanisme du prix de référence du baril, instrument idoine pour contrôler les dépenses, favoriser l’épargne intergénérationnelle et stabiliser les finances publiques ; (2) d’un programme de formation ambitieux (techniques de la programmation financière, modélisation macroéconomique, gestion budgétaire, etc.) pour renforcer les capacités humaines et institutionnelles ; (3) d’un cadre juridique adapté ; et (4) du développement des outils de planification et de gestion des risques. Cela permettra non seulement de mieux anticiper et gérer les défis économiques, mais aussi de soutenir la stabilité économique à long terme et la réalisation des objectifs de développement du pays. A. B.