Plaidoyer pour une meilleure pharmacie de ville

17/01/2022 mis à jour: 02:08
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Photo : D. R.

De par l’étendue de leurs connaissances, les pharmaciens sont parmi les rares personnes à pouvoir appréhender l’ensemble du monde réel.» Pierre-Gilles de Gennes (Prix Nobel de physique 1991).

La déclaration du sénateur FLN part d’une vision partielle, biaisée , jouant sur la fibre sensible du chômage des nouveaux diplômés, la réalité du terrain est tout autre, et les enjeux sont beaucoup plus sérieux que ceux relatés d’une façon superficielle, incohérente et populiste .

Le pharmacien d’officine est un professionnel de santé, participant activement à une mission d’intérêt public. Il exerce en toute indépendance une profession organisée par la loi autour d’un ordre professionnel dont les membres doivent respecter et faire respecter les règles de déontologie auxquelles tout pharmacien doit se soumettre. Les objectifs essentiels étant la protection de la santé publique, la préservation du secret professionnel et l’exercice de la profession dans un cadre de respect, d’entraide et d’assistance aux autres praticiens de santé.

Le pharmacien est à ce titre un praticien de santé dont les missions sont régies par la loi sanitaire. Son exercice est personnel, il est autorisé par le ministère de tutelle (le ministère de la Santé et de la Population) par la délivrance d’une autorisation d’exercer ou agrément, conditionné par la présentation d’un diplôme d’Etat, l’inscription préalable au Conseil de l’ordre national ainsi que par d’autres exigences déterminées par la Loi.

La pharmacie d’officine est un établissement pharmaceutique d’exercice libéral. Le pharmacien en sa qualité de docteur en pharmacie est un professionnel de santé qui détient le monopole de la dispensation du médicament selon un protocole pharmacologique qui implique une prise de décision intellectuelle et légale Il n’est pas un commerçant ordinaire, il ne vend pas un médicament, il le dispense, il ne dispense pas toujours plus, mais toujours juste et ne doit en aucun cas encourager à la consommation du médicament.

Afin d’assurer cette qualité de dispensation dans le cadre d’une carte sanitaire nationale qui évalue les besoins des populations à travers le territoire national et afin d’assurer l’accessibilité des médicaments à tous les citoyens dans le respect des bonne pratiques officinales telles que définies par les textes réglementaires, l’Etat algérien a instauré un système de délivrance d’agrément basé sur le numerus clausus afin de réguler l’installation de cette activité réglementée et hautement stratégique.

Le système de numerus clausus est un système de régulation universel utilisé par beaucoup de pays, d’une manière différente en fonction des priorités établies et des politiques de santé.

A ce titre, il est de la plus haute importance de respecter cet outil de régulation instauré par l’Etat, il obéit à des règles rationnelles et précises, il ne souffre d’aucune subjectivité. Il ne faudrait surtout pas commettre l’amalgame de le considérer comme un outil de Limitation discriminatoire, ni comme un outil d’absorption du chômage.

Considérer le numerus clausus comme tel ou tel constitue une démarche irrationnelle et improvisée. Appeler à la suspension de cet outil de régulation est un appel au chaos. Notre système de santé se trouvera débridé davantage par une dérive comportementale dans la dispensation du médicament, dérive que cet outil de régulation ainsi que les ministères de tutelle tentent de juguler avec les institutions savantes et ordinales.

Jouer sur la fibre sensible du chômage pour démanteler un tel système de régulation s’avère dangereux.

Ceci relève de l’ignorance de la réalité de la carte sanitaire, d’un manque de discernement et d’un défaut de maîtrise des éléments économiques, démographiques et réglementaires aussi bien nationales qu’internationales. S’aventurer dans cette voie, c’est risquer de perturber tout le système de dispensation du médicament et placer les pharmaciens d’officine dans une situation périlleuse qui ne servira ni la santé publique ni les nouveaux pharmaciens installés, ni ceux qui sont installés.

Ceci étant, et de par l’inscription obligatoire au registre de commerce, le pharmacien exerce aussi une activité commerciale. Il effectue des actes commerciaux par l’achat de médicaments ou de produits chimiques et la revente de ces produits en l’état ou après transformation en préparations pharmaceutiques. Cette vente qui s’accompagne d’un service médical et de conseils se fait avec réalisation d’une marge bénéficiaire commerciale.

La politique nationale qui privilégie le médicament générique avec pour but la diminution de la facture des médicaments dans les dépenses de santé, les conditions financières dans lesquelles évolue l’activité officinale en Algérie sont devenues très contraignantes. Le pharmacien officinal est fortement éprouvé financièrement par la conjonction de nombreux facteurs, en particulier d’ordre réglementaires. En effet l’officine est la seule activité commerciale qui ne peut écouler son stock et le renouveler par des opérations de ventes promotionnelles, la dispensation étant réglementée par la Loi qui lui interdit la vente dans de nombreuses situations.

La vente libre du médicament s’oppose aux règles de protection de la santé édictée par la loi sanitaire, ceci est un handicap par rapport aux autres commerces qui peuvent rechercher librement l’augmentation du volume des ventes et de l’écoulement des stocks.

D’autres facteurs viennent s’ajouter à cette contrainte commerciale majeure : un service honoraire pharmacien de 1,50 ou 2,50 DA et une marge bénéficiaire en nette régression qui peine à couvrir l’augmentation des charges financières et les charges d’exploitation de l’activité officinale.

La diminution structurelle des prix des médicaments qui a engendré la chute du chiffre d’affaires conjuguée à une dévaluation sans précèdent du DA et une augmentation des charges, d’exploitation de l’officine et des charges financiers sont des freins à toute tentative de Développement .Juridiquement, la pharmacie constitue donc un fonds de commerce comme un autre. C’est une universalité juridique dans laquelle on retrouve des éléments matériels (les outils de production) et des éléments immatériels (la clientèle, l’enseigne, le droit au bail, etc.) nécessaires au pharmacien pour l’exploitation de son officine.

L’opération de cession d’un fonds de commerce d’officine de pharmacie obéit donc au même dispositif d’opération de cession de fonds de commerce habituel, elle diffère du fait que c’est une activité réglementée, elle obéit à des procédures spécifiques.

En effet, dans cette opération, dans beaucoup de pays voisins et du pourtour méditerranéen, la première démarche faite dans la quête de l’acquisition d’une officine par un jeune pharmacien nouvellement diplômé est l’inscription à l’Ordre national des pharmaciens. Chaque conseil régional de l’ordre tient un tableau régulièrement mis à jour des pharmaciens inscrits.

L’ensemble des tableaux est transmis à l’Ordre national des pharmaciens. Ce système permet aux nouveaux acquéreurs de remplacer les pharmaciens en fin d’exercice grâce à un système de financement et d’aide de l’état qui permet à chacune des deux parties de réaliser la cession du fonds de commerce et le transfert de l’agrément dans le respect du code de commerce et dans des conditions qui garantissent les droits et les devoirs de chacun.

Beaucoup de pharmaciens qui arrivent à l’âge de retraite ou qui sont obligés de cesser leur activité (décès ou maladie), ont recours à cette cession de fonds de commerce de l’officine pour financer leur départ à la retraite réglementaire ou anticipée. Ils peuvent ainsi s’acquitter de leurs engagements financiers bancaires ou fiscaux et parafiscaux ainsi que de leurs créances vis-à-vis de leurs fournisseurs.

En l’absence de dispositif étatique ou de fonds de régulation ou d’accompagnement et de soutien, le pharmacien est livré à lui-même. De nombreux pharmaciens sont décédés notamment pendant cette période pandémique de la Covid en laissant d’énormes dettes qui ne pouvaient être payées sans le recours à cette opération de cession de fonds de commerce régulée à l’instar de beaucoup de pays par le dispositif de délivrance d’agrément conditionné par le numerus clausus et la carte sanitaire.

Un dispositif de régulation étatique qui permet de sauvegarder un système officinal optimal et contrôlé qui tiens compte des besoins des population en pharmaciens d’officine dans le cadre d’une carte sanitaire et non pas par des installations anarchiques qui menaceraient notre système de dispensation du médicament.

Le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, ainsi que tous les intervenants dans cette question cruciale ne doivent pas céder aux chants des sirènes. Au contraire ils doivent renforcer les dispositions réglementaires de l’arrêté n°002 du 15 janvier 2005 fixant les conditions d’installation, d’ouverture et de transfert d’une officine pharmaceutique.

De nouvelles mesures plus courageuses doivent être prises telles que la création d’un fond d’aide (sans intérêt )aux nouveaux pharmaciens diplômés pour les accompagner dans la reprise de fonds de commerce de pharmaciens , en départ de retraite réglementaire ou anticipées ou de pharmaciens décédés... dans l’intérêt suprême de la santé du citoyen afin de pallier ces tentatives de démantèlement de notre système de dispensation de Médicament

La solution au chômage des nouveaux diplômés est à chercher ailleurs que dans l’installation anarchique et sans contrôle des pharmacies qui mèneront le système à une implosion dont les conséquences seront redoutables sur l’avenir de la profession, la délivrance du médicament et la santé publique. Nous sommes à ce titre, prêts à proposer des solutions cohérentes et pérennes qui tout en donnant aux nouveaux diplômés de nouvelles perspectives épanouissantes, permettant de consolider les acquis et de renforcer notre système sanitaire.

Samir Kebour (Président du SNPAA Bureau d’Alger)

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