Pillage des sites archéologiques à Tébessa : Un patrimoine menacé de perdition

05/06/2022 mis à jour: 06:01
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Photo : D. R.

Alors qu’ils devaient être valorisés pour devenir des sites d’attraction créateurs de richesses et d’emplois, ces lieux n’ont jamais été une priorité pour le ministère de la Culture ou même pour les autorités de la wilaya.

Tébessa est l’héritière d’une longue histoire qui a vu défiler Romains, Byzantins, Vandales et Arabes. Le principal attrait de cette région est ses vestiges archéologiques. Plus de 60% des sites archéologiques antiques d’Algérie se trouvent dans cette région un peu perdue à l’extrême est du pays.

Derrière chacun de ces sites se cache une histoire, une époque et une civilisation. Malheureusement, ces lieux n’ont jamais été valorisés pour devenir des sites d’attraction créateurs de richesses, contribuant au développement de l’économie alternative.

Ils n’ont jamais été une priorité pour le ministère de la Culture ou même pour les autorités locales de la wilaya. La porte Caracalla, le temple de Minerve, la basilique Sainte Crispine ou l’huilerie de Berzguene et malgré leur riche histoire sont restés à la dimension de paysage, de simples lieux de promenade du fait que jusque là, il n’y a pas une politique de les mettre en valeur et de les préserver.

À l’instar des autres pays du monde, l’Algérie devait relever le défi de la préservation de son patrimoine qui est l’unique témoin de l’histoire et de la culture de la société au fil du temps. Depuis l’indépendance, et au fil des années, ces sites avaient fait l’objet d’un trafic illicite international, vol, pillage et exportations de biens culturels. En plus de ces pratiques, l’antique Theveste se débat dans un environnement antagonique où le poids démographique a eu raison de la cité qui souffre d’un dépérissement de son patrimoine archéologique.

Un trafic juteux qui a pris de l’ampleur

Le phénomène de dilapidation du patrimoine archéologique dans la wilaya de Tébessa a connu une recrudescence alarmante ces dernières années dans cette zone frontalière située en extrême Est de l’Algérie. Selon un archéologue qui connaît bien la région, des milliers voire plus de pièces d’une valeur inestimable héritage des civilisations romaine, byzantine et arabe se retrouvent chaque année soumises à un pillage en règle et à un trafic juteux par des trafiquants qui voguent toujours dans l’impunité causant une grave saignée à ces biens culturels de l’Algérie.

Le trafic illicite qui ne date pas d’hier, mené par des collectionneurs européens qui avaient toujours un penchant sur ces objets archéologiques opéraient par le biais de Tunisiens et des habitants des frontières qui ignoraient l’importance de ces trésors. Ils les incitaient à faire des fouilles clandestines, et ramasser tout ce qui se trouvait à leur portée, surtout dans les sites non surveillés se trouvent dans des zones éparses.

Peu à peu, ce trafic commençait à s’organiser en utilisant une cartographie pour dérober des pièces archéologiques de valeur en complicité avec des Tunisiens et des Européens. Des Algériens se présentaient comme des archéologues avec cartes à la main pour subtiliser des objets de valeur tels que des sarcophages, de têtes en marbre, des poteries et autres dans différents sites de la ville de Tébessa.

Un pillage en règle qui ne désarme pas, d’autant que la région se trouve à proximité de la frontière algéro-tunisienne, truffée de couloirs incontrôlés, permettant aux trafiquants de faire passer leurs précieux «larcins», pour ensuite les revendre aux touristes européens et américains à des prix dérisoires. Ce patrimoine archéologique énorme subit actuellement des attaques sans précédent dans son histoire.

Un anéantissement perpétué au su et au vu de tout le monde, encouragé par un je-m’en-foutisme et une indifférence totale de la population d’une part et d’autre part à cause de l’absence des services concernés à leur tête la direction de la culture.

La porte de Caracalla, un refuge pour délinquants

Ainsi, il y a quelques années, des bains romains et d’autres vestiges situés au lieudit Sidi Mohamed Cherif au pied de la vallée qui porte le même nom, situé à la sortie de la ville de Tébessa, ont été détruits par un prétendant propriétaire du terrain pour ériger à leur place des habitations en parpaing. Malgré la réaction d’un citoyen avisé qui a saisi la direction de la culture et l’OGEBC, aucune partie n’est intervenue pour arrêter le massacre.

Non loin de là, le plus important vestige historique de la ville, la porte de Caracalla, qui attend toujours sa restauration, hiberne ces derniers temps dans un paysage hostile sous le regard impuissant de tout le monde. Son occupation par des jeunes désœuvrés qui n’ont pas trouvé que le sommet de l’édifice pour aménager un lieu afin de s’adonner à la consommation de l’alcool et à la drogue a sérieusement inquiété certains citoyens.

Ces derniers n’ont pas hésité à dénoncer ces pratiques aux services compétents, mais en vain. Autre exemple de laxisme au détriment de notre patrimoine archéologique, c’est le cas de l’Amphithéâtre romain se trouvant en plein centre-ville, l’un des plus grands amphithéâtres en Afrique du Nord après celui de Carthage avec ses gradins et son arène, qui se dégrade de jour en jour.

Ce vestige a été transformé par des chiffonniers en un dépotoir à ciel ouvert ou plutôt un urinoir surtout après la destruction et le vol du grillage de sa clôture. Et le massacre continue. C’est aussi l’image désolante qui choque à la Basilique Sainte Crispine, l’un des plus beaux sites archéologiques de la Tébessa, s’étendant sur plus de deux hectares qui a pris les allures d’une décharge qui déborde d’ordures, brulées et d’immondices.

Des projets de restauration abandonnés

Des travaux de restauration des sites archéologiques, dont la porte Caracalla, la porte de Constantine et l’huilerie de Berzguene située à El Ma Labiod à 54 km au sud de chef-lieu, avaient débuté en 2002. Ils devraient être achevés en octobre 2005 pour un coût initial de 42 millions de DA.

Les travaux de rénovation confiés à une entreprise ont été aussitôt interrompus avec un taux d’avancement ne dépassant pas les 25% à la suite d’un constat établi par une commission dépêchée par le ministère de la Culture, relevant le fait que l’entreprise n’a pas respecté certaines recommandations en matière de conservation et de restauration du patrimoine matériel comme le dicte la charte de Venise de 1964.

Depuis, le projet n’a pas vu le jour. Deux ans après, le projet en question avait été complètement abandonné, et ce, par manque d’entreprises spécialisées dans la restauration des sites archéologiques.  L. S.

 

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