La Cour suprême du Pakistan a volé jeudi au secours de son président, confronté à des menaces de mort à peine voilées de la part de groupes islamistes pour un jugement ayant trait à l’incendiaire question du blasphème.
Dans ce pays, même des allégations non prouvées d’offense à l’Islam peuvent entraîner assassinats et lynchages. «Beaucoup de désinformation est créée par les interprétations du jugement en question», a estimé jeudi dans un communiqué la Cour suprême. «L’impression est donnée que la Cour suprême est allée à l’encontre du second amendement de la constitution.
Cette impression est absolument fausse», a-t-elle ajouté. Le second amendement, datant de 1974, définit les membres de la minorité religieuse ahmadie comme des non-musulmans. Il a été complété par une loi en 1984 leur interdisant de s’affirmer musulmans et de propager leur foi.
Les Ahmadis sont discriminés et persécutés depuis des décennies au Pakistan, où ils sont perçus comme hérétiques en raison de leur croyance en un prophète postérieur à Mahamed, né au XIXe siècle.
L’affaire concerne l’arrestation en janvier 2023, dans la province du Pendjab (centre-est), d’un homme soupçonné d’avoir diffusé un texte religieux ahmadi, ce qu’interdit une loi locale.
Dans un jugement s’appuyant ostensiblement sur le Coran, le président de la Cour suprême, Qazi Faez Isa, a ordonné sa remise en liberté, au motif que la constitution garantit à chacun le «droit de professer, pratiquer et propager sa religion» et que la «liberté de religion est l’un des principes fondamentaux de l’islam».
Le jugement, daté du 6 février, est d’abord passé inaperçu. Jusqu’à ce qu’apparaissent sur X des messages reprochant au juge Isa d’avoir «pris la défense des ennemis du Prophète», ou le prévenant que «quiconque touche à la finalité du Prophète invite la mort».
Les premiers messages sont apparus sur des comptes associés au Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), un parti islamiste à l’origine de violentes manifestations anti-blasphème et redouté par les Ahmadis. Les partis islamistes défendent farouchement la loi qui prévoit la peine capitale pour quiconque est reconnu coupable d’avoir insulté l’islam ou le prophète Mahamed, même si aucun condamné n’a encore été exécuté.
La campagne contre le juge a rapidement gagné en vigueur, les islamistes voyant dans son jugement une tentative d’autoriser les Ahmadis à propager leur foi et de redéfinir qui est constitutionnellement considéré comme musulman dans le pays.
Fazlur Rehman, l’influent chef du parti religieux conservateur Jamiat Ulema-e-Islam (JUI-F), qui a par le passé réclamé l’application de la charia (loi islamique) au Pakistan, a dénoncé une interprétation du Coran «fausse et fondée sur de mauvaises intentions» de la part du juge.
Les talibans pakistanais du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), en lutte armée contre Islamabad, ont également qualifié jeudi Qazi Faez Isa d’«ennemi de l’islam», jurant d’infliger une leçon à «de tels traîtres envers la foi et la nation».
Pour nombre de Pakistanais, ces menaces font écho au meurtre en 2011, par son garde du corps, du gouverneur du Pendjab ,Salman Taseer, qui avait appelé à réformer la loi très controversée sur le blasphème.