«Où est passé l’argent  ?» : la Jamaïque affligée par l’affaire Bolt

30/01/2023 mis à jour: 07:00
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Le coureur jamaïcain Usain Bolt

«Où est passé l’argent ?» : la question brûle les lèvres de tous les Jamaïcains et du plus célèbre d’entre eux, Usain Bolt, légende du sprint mondial, octuple médaillé d’or olympique, victime d’une fraude financière qui aurait détroussé une quarantaine de personnes au total. Depuis deux semaines, les autorités locales enquêtent sur une société d’investissements, Stocks and Securities Limited (SSL) basée à Kingston, censée détenir des fonds placés par Bolt, dont le compte de 12 millions de dollars s’en trouve manifestement vidé, presque en totalité. L’affaire a ému toute l’île caribéenne. A tel point que l’artiste de dancehall, Gage, en a fait une chanson intitulée SSL, avec ce refrain plaintif «Weh di money de ?» («où est l’argent ?» en patois jamaïcain). Fidèle aux thèmes fréquemment abordés par la scène musicale jamaïcaine, les paroles de Gage soulignent la lutte des classes, ses injustices, la division entre les habitants aisés et influents des quartiers chics de Kingston et les jeunes qui galèrent dans les quartiers pauvres.  La chanson décrit aussi les efforts déployés par le gouvernement pour mettre un terme aux arnaques téléphoniques et autres loteries frauduleuses, mais elle note aussi qu’il ne s’est jamais engagé à lutter contre une arnaque à si grande échelle. Le ministre des finances Nigel Clarke a semblé abonder dans son sens, en déclarant à l’AFP qu’il souhaitait des sanctions sévères.  «L’écart entre les sanctions pour la criminalité en col blanc et les autres formes de criminalité doit être effacé. Si vous volez ceux qui confient leur argent ou si vous escroquez les investisseurs et que vous mettez en danger notre système financier, notre mode de vie, la société jamaïcaine veut que vous soyez mis à l’ombre pour longtemps, très longtemps», a-t-il dit. Usain Bolt est l’une des quelque 40 victimes de cette fraude, parmi lesquelles figurent des personnes âgées désormais sans le sou. M. Clarke a déclaré qu’il demanderait au FBI et à d’autres organismes étrangers de participer aux enquêtes, après avoir remplacé les membres du conseil de la Commission des services financiers (FSC).  Cet organisme a repris la gestion temporaire de SSL et a nommé un auditeur spécial. La police jamaïcaine a fait une descente au domicile d’un ancien employé de cette société et saisi des documents, mais aucun suspect n’a encore été inculpé.  Dans la tourmente, les acteurs du monde de la finance espèrent que la confiance dans les institutions bancaires du pays ne sera pas entamée.  «Ce que nous avons vu au départ, c’est une réaction émotionnelle, tout à fait compréhensible, étant donné qu’il s’agit de l’argent des gens et que cela a ébranlé la confiance dans les systèmes financiers. Mais le gouvernement a agi rapidement pour s’assurer qu’elle soit restaurée», analyse Dennis Chung, un chef d’entreprise également secrétaire général de la Fédération jamaïcaine de football.  Résolument confiant, M. Chung estime qu’il n’y aura «aucune conséquence à long terme. Les gens vont continuer à investir dans des actions, des obligations et des titres».  Pour Abka Fitz-Henley, personnalité médiatique en Jamaïque, ce qui ne fait en revanche aucun doute, c’est l’écoeurement général qu’inspirent les déboires de Bolt. «La majorité de la population est dégoûtée par cet acte délictueux, qui constitue une injustice à l’égard d’un homme, perçu comme extrêmement aimable, qui est, de surcroit, le Jamaïcain vivant le plus populaire dans le monde. On espère vivement qu’il va récupérer son argent.» Issu d’un milieu modeste, né dans la paroisse de Trelawny, dans le nord-ouest de la Jamaïque, Bolt est devenu une superstar mondiale, après avoir pulvérisé les records du monde du 100 m et du 200 m et dominé les Jeux olympiques de Pékin, Londres et Rio.  La chanteuse de reggae Etana, deux fois nommée aux Grammy Awards, suggère que l’ancien athlète a pu être pénalisé par son manque de relations avec l’élite. «Cette affaire est embarrassante pour le pays. Nouveau riche, il aurait dû se joindre aux puissants, forger des relations, et personne n’aurait alors touché à son argent». «A titre personnel, je n’investirais en Jamaïque que si je pouvais le faire en partenariat avec un membre de l’aristocratie et de la classe aisée, car personne n’ose toucher à leur argent», a-t-elle ajouté.  Bolt, lui, s’est peu exprimé sur l’affaire, mais il assuré qu’elle ne le conduira pas à abandonner sa patrie : «Peu importe ce qui se passe en ce moment, la Jamaïque est mon pays, je l’aime et cela ne changera jamais. Je ferai toujours tout ce qui est en mon pouvoir pour le faire grandir».

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