Noureddine Ayadi. Ancien ambassadeur d’Algérie au Mali : «L’Algérie fait bien de ne pas entrer dans des polémiques dont on connaît les enjeux et les motivations»

20/10/2024 mis à jour: 15:49
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Photo : D. R.

«L’Algérie n’a pas exporté le terrorisme au Mali. C’est ce dernier qui l’a importé en autorisant, sous l’influence de certains Etats, le déploiement des groupes terroristes auteurs de l’enlèvement des touristes étrangers au sud de l’Algérie, au nord de son territoire.» C’est ce qu’a répondu l’ancien ambassadeur d’Algérie à Bamako, Noureddine Ayadi. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il revient sur de nombreux événements qui ont secoué le Mali et ses relations avec l’Algérie, sur l’intervention française, l’attaque de Konna qui lui a «servi de prétexte», la connexion entre les groupes armés et le MNLA, mais aussi sur les différentes étapes de l’accord d’Alger dont il était artisan, l’intervention russe au nord du Mali, etc. 

  • Kidal vaut bien une guerre : l’Algérie et la France au Mali et au Sahel : Influence vs Puissance est le titre de votre livre témoignage sur la crise malienne de 2009 jusqu’à la signature de l’Accord d’Alger en 2015, dont vous étiez artisan, en tant qu’ambassadeur d’Algérie à Bamako, qui concerne-t-il ? L’Algérie ou la France ?

Evidemment la France. C’est elle qui a fait la guerre et créé les conditions militaires, stratégiques et diplomatiques de son intervention au Mali. Jusqu’alors, la présence française était contrariée par l’implantation des groupes terroristes qui faisaient en sorte que même la présence physique était devenue impossible, surtout avec les prises d’otages.

La France constatait qu’elle était absente d’une zone névralgique pour ses intérêts stratégiques, liés à son statut de puissance coloniale et à ses intérêts permanents dans la région. Parallèlement au processus de décomposition en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et dans le sillage de son intervention en Libye, la France a engagé un autre processus de recomposition au Mali.

  • Pensez-vous que l’attaque terroriste contre la ville de Konna, en janvier 2013, soit pour la France juste un prétexte pour lancer l’opération militaire, baptisée «Serval», au Mali ? 

Rien dans la prise de Konna ne pouvait constituer un développement stratégique, comme par exemple la bataille de Tessalit, où les groupes terroristes et les combattants du Mouvement pour la libération de l’Azawad (MNLA) ont encerclé la ville (NDLR : qui s’est terminée, après deux mois de siège par les assaillants, avec l’occupation de la ville et du camp militaire par les rebelles touareg et les terroristes).

Le Président, légitiment et démocratiquement élu, avait fait appel à la France et à d’autres pays amis pour l’aider à faire barrage aux groupes politico-militaires et aux terroristes qui étaient engagés dans la bataille. Mais la France n’a pas jugé utile d’intervenir. Pourquoi intervenir à Konna et non pas à Tessalit ?

  • Ne serait-ce pas à cause de la présence d’Iyad Ag Ghaly, alors chef de l’organisation terroriste Ansar Eddine, présenté comme l’allié de l’Algérie ?

Iyad a joué le rôle de cheval de Troie pour la France dans l’attaque de Konna. Cette prise n’avait aucune signification stratégique au point de justifier une intervention de cette ampleur de la puissance française. Les contacts que j’ai eus par la suite, avec les groupes politico-militaires engagés à cette époque dans ces événements, m’ont tous confirmé qu’il n’a jamais été question dans leur intention de se déployer dans le Sud. Ce n’était pas leur objectif. L’attaque de Iyad a été amplifiée à dessein.

  • Mais la France est intervenue à la demande du président malien…

A la demande du président de la période transitoire, Dionkounda Traoré. Il est d’ailleurs intéressant de noter que c’est Dionkounda Traoré, issu d’une époque de pouvoir de fait, donc d’un coup d’Etat, qui a fait appel à la France. Aujourd’hui, il y a un autre pouvoir de fait, qui demande à une autre puissance de chasser la France et instaurer ainsi un autre rapport de force dans la région, alors que le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) s’est adressé à l’Algérie pour engager un processus de paix. Cela montre qu’IBK était en phase, à ce moment-là, avec son peuple. Il avait compris que la majorité de la population malienne a confiance en l’Algérie.

  • En 2015, alors que l’accord de paix était sur le point d’être signé, les groupes terroristes qui évoluaient au nord du Mali ont réussi à tisser des alliances avec certains membres influents de la rébellion. Comment peut-on arriver à de telles situations ?

Pour comprendre cette situation, il faut revenir au développement du phénomène du terrorisme au nord du Mali. Certains de nos frères maliens accusent de manière délibérée ou non, ou par inadvertance l’Algérie de leur avoir exporté le terrorisme. Moi, je dirais que c’est le Mali qui a importé le terrorisme.

Lors de l’épisode de la prise d’otages dans le Sud algérien en 2003, le président malien Amadou Toumani Touré (ATT), sous la pression des Etats concernés par cet enlèvement, a fait un deal avec les terroristes et leur a offert la possibilité de rester au nord de son pays et de se déployer librement.

Avec les fonds obtenus en contrepartie de la libération des otages, ce déploiement a creusé le lit de l’implantation terroriste. Avec le temps, ces groupes ont créé des connexions avec des narcotrafiquants, puis avec des dirigeants de certaines factions de la rébellion touareg qui se sont radicalisés, à l’image de Iyad Ag Ghali, et ont constitué des alliances stratégiques d’intérêt.

Il fallait abattre l’Etat malien dans cette zone et chacune des parties avait ses raisons. La rébellion cherchait à créer une entité Azawad au nord du Mali, les terroristes pour instaurer un émirat islamiste dans la même région. Chacun de ces groupes avait des objectifs précis, mais stratégiquement, ils se sont alignés contre l’Etat malien.

  • Pourquoi Iyad, qui était un des cadres de la rébellion touareg, s’est-il radicalisé et surtout pourquoi est-il présenté à chaque fois comme un élément des services algériens ?

C’est Iyad qui a créé cette confusion. Il a subi un processus de radicalisation en Arabie Saoudite, lorsqu’il a été nommé consul du Mali, par ATT, en récompense pour ses efforts de médiation avec les groupes terroristes du Nord. Il est revenu d’Arabie Saoudite convaincu de la nécessité d’instaurer un émirat islamique au Mali. Au début, il a essayé de prendre la tête du MNLA, mais les jeunes loups du mouvement, qui revenaient de Libye et qui constituaient un nouveau leadership, ont refusé. C’était au moment où les opérations, bien préparées, de désengagement de la Katibat Khamis d’El Gueddafi étaient lancées.

  • Vous voulez dire que les mouvements de troupes qui venaient de Libye au Mali étaient préparés ?

L’objectif déclaré de ces désengagements était de saper les fondements de la brigade de Khamis qui était l’épine dorsale du système sécuritaire d’El Gueddafi. En désorganisant tous ces officiers et soldats, ils ont fait effondrer l’édifice d’El Gueddafi. Mais en contrepartie de quelle promesse ? Celle d’avoir une entité de l’Azawad au nord du Mali.

Pour revenir à Iyad. Il a voulu prendre la tête du MNLA, mais il n’a pas réussi, parce qu’à l’époque le leadership du mouvement lui reprochait d’être l’homme de l’Algérie, avec laquelle il n’était pas du tout d’accord, parce qu’il considérait qu’elle était le seul frein, un obstacle majeur à leur projet de création d’une entité Azawad.

Iyad va démontrer sur le terrain son association directe avec l’Aqmi, ensuite il s’est joint à Abou Zeid, puis a reçu la bénédiction de Droudkel, etc. Plus aucun doute, par la suite, sur ses activités terroristes. Mais, il faut savoir que sur le plan stratégique, il y a eu une alliance d’intérêt entre Iyad, le MNLA, Aqmi, auxquels s’est joint ensuite le Mujao. Leur objectif commun était d’abattre l’Etat malien.

Cette différence que l’Algérie fait entre les groupes terroristes et les groupes politico-militaires de la rébellion n’est malheureusement pas comprise au Mali. Les premiers font partie de la nébuleuse terroriste internationale ayant comme objectif l’implantation d’un émirat islamiste à nos frontières.

Ce que l’Algérie ne peut accepter. La rébellion touareg, quant à elle, représente les populations du nord du Mali et leurs aspirations. Ses revendications sont d’ordre politique. L’Algérie est le seul acteur international à connaître mieux que quiconque les deux ensembles. Elle connaît les groupes terroristes pour les avoir subis et défaits militairement et politiquement et contre lesquels elle prône la solution militaire. Elle connaît aussi les groupes de la rébellion du fait de la proximité et de la gestion des conflits depuis des décennies.

  • Pour revenir à Iyad Ag Ghali, il y a quelques semaines, la Cour pénale internationale (CPI) a levé les scellés sur des mandats d’arrêt lancés contre lui en 2017. Selon vous, qu’est-ce qui explique la mise de ces scellés au moment fort de ses activités terroristes ?

Iyad Ag Ghali me renvoie à la «Bleuite» (NDLR : une opération d’infiltration et d’intoxication menée par les forces coloniales contre les combattants du FLN durant la Guerre de Libération dans le but de les faire exécuter par leurs pairs). Il a fait l’objet d’une opération «Bleuite». Il a servi mieux que quiconque les intérêts de la France dans la région.

Mais quand le président Macron a fait son premier déplacement à Gao, qu’a-t-il dit : «Je vais avoir une discussion franche avec l’Algérie à propos de Iyad Ag Ghali» et Le Monde a écrit : «L’armée française avait apporté le fusil de Iyad, mais ne l’a pas abattu parce qu’elle voulait avoir l’avis de l’Algérie.»

  • Pensez-vous que c’est pour cette raison que la CPI n’a pas lancé ses mandats d’arrêt ?

Je préfère parler de l’influence de la France. Probablement qu’elle ne l’a jamais lâché, il pouvait encore servir. Il est toujours en activité. J’ai écrit dans mon livre qu’en dépit de l’illusion d’un traitement médiatique du complexe militaro-médiatique et militaro-intellectuel français arrive à créer, cet  interventionnisme français dans son pré carré africain, n’est en fait qu’une continuité stratégique.

C’est le socialiste François Mitterrand qui a conféré des pouvoirs spéciaux à l’armée française pour rétablir l’ordre en Algérie. C’est Nicolas Sarkozy qui a engagé l’intervention en Côte d’Ivoire puis en Libye et c’est le socialiste François Hollande qui a ordonné le rétablissement de l’ordre au Mali et en Centre-Afrique au nom des mêmes valeurs et pour les mêmes desseins, de la grandeur de la France et des intérêts stratégiques.

Sur le fond, la France, qui a des intérêts permanents dans la région, ne s’interdit rien pour les défendre, y compris l’usage licite ou non licite de la force armée avec les mêmes réflexes qui démontrent qu’elle n’a pas soldé son passif colonialiste, au mieux qu’elle dessine les contours de ce que l’ancien Premier ministre français, Dominique de Villepin, qualifie de recolonisation bienveillante.

La preuve nous est donnée par le général d’armée François Lecointre (NDLR : chef d’état-major des armées entre juillet 2017 et juillet 2021), qui a reconnu avoir du mal à accepter le retrait de son pays du Sahel et déclaré que «la France se décidera à agir et ira défendre ses intérêts y compris par l’engagement de ses armées. Ce n’est pas la Chine, la Russie ou Wagner qui vont apporter des solutions». Ils disent clairement qu’ils ne se laisseront pas faire. 

  • Pourquoi en dépit des moyens militaires engagés par la France dans le cadre de ses opérations «Serval» puis «Barkhane», les groupes terroristes sont-ils devenus plus nombreux et plus offensifs au Nord ? Y a-t-il eu réellement une lutte contre le terrorisme au nord du Mali ?

Dans la région, la France a une stratégie de puissance, pour servir ce qu’elle considère comme intérêt permanent dans la région. Pour cela, elle a déployé une stratégie d’intervention et de pacification par la voie militaire. A l’opposé, l’Algérie a toujours été opposée à la présence militaire étrangère dans la région. Elle a de tout temps prôné des solutions politiques, car convaincue qu’il n’y a pas de solution militaire pour les problèmes de la région. Elle a considéré que les Africains doivent se réapproprier les questions de sécurité.

D’où la création du Cemoc (Chefs des états-majors opérationnels conjoints), qui consiste en la mise en place du processus de Tamanrasset. Pour revenir à «Serval», cette opération a été lancée à l’évidence pour servir les intérêts permanents de la France, qui ne concordent certainement pas avec ceux du Mali et encore moins avec ceux de l’Algérie.

L’intervention française au Mali a eu pour conséquence de réduire de manière drastique la capacité de nuisance des groupes terroristes mais pas celle des terroristes. Je crois aussi qu’un certain niveau de cette nuisance était nécessaire pour le maintien de la présence militaire française censée, selon les accords avec l’Onu, combattre les groupes terroristes.

Pour preuve, la France a déployé ses forces au nord du Mali, avec le MNLA, alors qu’elle avait confiné les troupes maliennes au niveau de Gao, à la limite du fleuve. Cela prouve qu’elle avait une stratégie et des objectifs précis dans la région. Au fond, elle n’a rien réglé. L’armée ne s’est pas redéployée au Nord pour réapproprier sa souveraineté sur ce territoire, et les problèmes politiques de la rébellion étaient entiers.

C’est l’Algérie qui, grâce au processus de paix d’Alger, a permis de créer les conditions d’une solution politique négociée. Avec ce processus, elle a rétabli les liens et restauré une certaine convivialité dans les rapports avec les mouvements de la rébellion et le pouvoir central.

  • Pourtant certains politiques maliens affirment que si l’Accord d’Alger a pu être signé c’est aussi parce que la France, en tant que puissance influente dans la région, l’a validé. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas vrai. Pour avoir été artisan depuis sa conception jusqu’à son exécution, l’accord d’Alger n’a subi en aucune sorte d’influence de la France, ni sur sa conduite ni sur sa conception. Fort de sa légitimité, le président IBK voulait en finir avec la toute puissante influence française, auréolée de «Serval», à l’époque présentée comme le sauveur du Mali. Les Français se sont servis de ces discours pour maintenir le contrôle quasi complet sur le nord du Mali. Or, IBK a voulu s’affranchir de cette influence oppressante. C’est pourquoi, il s’est tourné vers l’Algérie. Il était conscient de la marge de manœuvre de l’Algérie et du degré d’autonomie de sa décision politique.

  • Pourquoi ce processus n’a-t-il pas réussi à résoudre les problèmes politico-sécuritaires pour lesquels il a été institué ?

Je ne suis plus dans la diplomatie depuis un bon bout de temps. Mais à partir de mon vécu et mon expérience, je peux vous dire que l’accord de paix, de sa gestation jusqu’à sa réalisation, a toujours fait face à de nombreux ennemis, qui n’avaient pas intérêt à ce qu’il réussisse. Je parle des Etats et des pays de la région.

Lorsque nous avions engagé les premiers contacts préliminaires avec les mouvements politico-militaires à Alger, Billal Ag Cherif, alors responsable du MNLA, était reçu au Maroc avec une stature de chef d’Etat, qu’il n’avait pas, alors qu’à l’époque il était inconnu. C’est une façon de le récupérer, de le mettre sous tutelle, et de saborder indirectement le processus, qu’il a mis longtemps pour rejoindre.

  • Au même moment, au nord du Mali, le Mujao, un groupe terroriste, cible uniquement l’Algérie. Est-il financé par le Maroc, comme beaucoup l’affirment ?

Dans mon livre, j’ai dit que ce groupe est une confection géopolitique. Voilà un groupe terroriste sorti du néant dont on ne connaît ni l’affiliation ni les motivations, et qui s’attaque exclusivement à des intérêts algériens, l’attaque de la gendarmerie à Tamanrasset, Ouargla, s’est incrusté profondément en territoire algérien pour aller jusqu’à Tindouf pour enlever des coopérants humanitaires européens et saborder l’assistance européenne aux Sahraouis, attaqué le consulat d’Algérie à Gao et mis en situation d’otages le consul et ses collaborateurs pour faire disparaître la présence algérienne du nord du Mali. Qui avait intérêt à faire tout cela ? Ce n’est certainement pas les Maliens ou la population du Nord. Le Mujao a servi des intérêts géopolitiques.

  • Vous aviez évoqué l’initiative algérienne du Cemoc pour faire face aux menaces sécuritaires auxquelles sont exposés les pays de la région. Pourquoi ce processus a trébuché en démarrant, avant d’être qualifié par certains de coquille vide ?

Parmi les motivations de l’intervention française dans le nord du Mali, il y avait l’implantation des groupes terroristes qui empêchaient toute présence physique de la France au Nord, des problèmes avec ATT au sujet de l’émigration et il y avait cette décision de l’Algérie de mettre en place un système de coordination de la lutte antiterroriste, interprété comme étant un système de sécurité collective qui se mettait en place avec l’Algérie et à l’exclusion de la France. Les Français ne l’ont jamais accepté.

Le Cemoc a alors fait l’objet d’une campagne médiatique virulente qui a duré longtemps, le considérant comme une coquille vide, il ne servira à rien sous prétexte que l’Algérie n’envoie pas ses troupes en dehors de ses frontières, elle masque sa volonté de ne pas agir, empêchant les autres de le faire, etc. S’il a été la cible d’une telle campagne c’est qu’il a gêné les intérêts stratégiques de la France dans la région. D’ailleurs, ils lui ont attribué des objectifs qui n’étaient les siens.

Comme par exemple entreprendre des opérations antiterroristes alors qu’il n’est qu’un organe de coordination. Il a fait face à une rude adversité, alors que son évolution s’est opérée clairement aux dépens de l’ambition légitime d’asseoir une démarche autonome de sécurité régionale.

  • En dehors de la France, quels sont les Etats qui voyaient le Cemoc comme une menace ?

Le Maroc, certainement et les puissances affiliées à la France, comme la Cédéao et ceux qui étaient dans le giron français. Par la suite, la France a cherché à transplanter le Cemoc par le G5 Sahel, qui n’est à quelques détails près une reprise du concept du Cemoc avec une ambition opérationnelle plus affirmée mais sous l’égide de la France et sans l’Algérie.

L’évolution du G5 Sahel a eu pour seul mérite de démontrer une évidence à mes yeux, à savoir que tout processus militaire et sécuritaire de lutte contre le terrorisme dans la région n’a objectivement aucune chance de réussir si l’Algérie n’en est pas partie prenante, sous aucune tutelle. Les périlleux développements intervenus, à mes yeux, sont certes destinés à modifier les conditions de déploiement du processus de Tamanrasset, dont le Cemoc, mais n’ont pas réduit ni sa pertinence ni sa validité.

Il pourrait être adapté, approfondi, mais rien ne saurait disqualifier une démarche porteuse d’un formidable potentiel stratégique, opérationnel et diplomatique à terme, quand on délassera cette conjoncture, l’avenir de la région passera par une mise en place d’un processus de sécurité régionale, dans lequel l’Algérie jouera le rôle de moteur naturellement au vu de son potentiel et ses capacités.

  • Mais qu’en est-il du rôle de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) ? Sa présence a-t-elle été bénéfique sur le terrain ?

La Minusma est, à mon avis, partie d’un pécher congénital, en ce sens que quand elle a été mise en place après l’opération «Serval». Dans le subconscient collectif des Maliens, les Français se sont déployés avec le MNLA dans la région de Kidal et la Minusma est venue s’implanter comme une force de démarcation. Et puis, il y a cet alignement trop flagrant sur les positions de la France, qui apparaît comme une tutelle. Le chef des opérations à l’Onu est un Français et la Minusma n’a jamais donné l’impression d’être autonome. Mais sur le terrain, on peut dire qu’elle était utile.

C’est quand même 14 000 hommes avec un budget d’un milliard de dollars, 800 millions de dollars. Mais l’Algérie a réussi là où cette mission avec son budget a échoué. Ce n’est pas de sa faute. Elle a essayé de créer un processus de paix, mais dans le cadre de l’accord préliminaire de Ouagadougou de 2013, auquel elle s’est attachée et voulait l’imposer à IBK, après son élection.

Il l’a refusé catégoriquement, d’où les tensions graves qu’il a eues avec le chef de la mission de l’époque. Raison pour laquelle, il s’est tourné vers l’Algérie. Il l’a payé cher, puisqu’ils lui ont fait sortir un dossier de financement par l’homme d’affaires corse Michel Tomi. Il a été mis à rude épreuve, alors qu’il avait construit toute sa campagne électorale sur son intégrité.

  • En 2013, le Mali a fait appel à François Hollande pour l’aider à chasser les terroristes du Nord, presque dix ans après, le régime de Bamako fait appel à la Russie pour les mêmes motifs ; mais cette fois-ci en désignant comme terroristes, les mouvements de la rébellion touareg. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Je préfère retenir le fait que le président IBK, démocratiquement élu, ait fait appel à l’Algérie, parce qu’il connaît l’attachement de la population malienne à une relation forte avec l’Algérie. Ils nous reprochent d’avoir la mémoire courte parce que le Mali nous a aidé durant la Guerre de Libération. Il est vrai que la base de Gao a été une étape stratégiquement décisive dans le maintien de l’intégrité du territoire algérien durant la Guerre de Libération.

Cette solidarité a constitué la pierre angulaire de notre politique. L’Algérie fait bien de ne pas entrer dans des polémiques dont on connaît les enjeux et les motivations, mues par les intérêts de ceux qui veulent affaiblir les positions de l’Algérie et son rôle dans la région. L’Algérie doit rester à la hauteur des liens qui lient nos pays et qui sont la matrice immuable de la géographie et la mémoire inaltérable des épreuves de l’histoire et la communauté pérenne de nos destins.

  • Comment expliquez-vous une telle détérioration des relations avec le Mali ?

Je pense qu’une partie de la classe politique bamakoise a été travaillée, depuis pas mal de temps, par des forces hostiles à l’Algérie, qui investissent contre tout bons sens. Un Malien patriote cherche le bien de son pays. Quel est le mal que l’Algérie a fait au Mali, si ce n’est les enfumades qu’il y a eues autour de cette intervention. L’Algérie s’est astreinte, c’est une de ses constantes de la politique d’Etat, au respect scrupuleux de la non-intervention des affaires intérieures des Etats.

Je suis de ceux qui considèrent que les besoins de sécurité peuvent par moment faire appel à un recours aux moyens dont dispose l’Algérie pour préserver sa sécurité. Mais, à maintes reprises, elle a été en situation légitime d’interférer dans les affaires intérieures de certains pays, mais elle ne l’a jamais fait, sauf à la demande des autorités, comme en 1992, en 2006 et en 2013.

L’Algérie n’a jamais abandonné sa solidarité à l’égard du Mali. L’armée malienne doit avoir une mémoire pour se rappeler que deux Iliouchine, qui ont atterri à Bamako, avec l’ensemble du contenu de la shopping list présentée par ATT, pour répondre aux besoins urgents de son armée. Il faut aussi se rappeler que l’Algérie a répondu présente pour aider le Mali au moment où il n’arrivait plus à payer ses fonctionnaires. Dans les moments de conflit, c’est l’Algérie qui soulage les populations du Nord.

  • Ne pensez-vous pas que la position de l’Algérie par rapport au coup d’Etat soit la raison principale de la réaction hostile du pourvoir de Bamako à l’égard d’Alger ?

Possible. Mais c’est une position de principe. Mais je voudrais préciser que l’accord d’Alger a été victime des extrêmes. Pour moi, il est toujours en vigueur puisqu’une seule partie l’a dénoncé…

  • Sur le terrain, les deux parties sont en guerre…

Il y a des mécanismes dans l’accord qui sont supposés gérer ce genre de situation. En tant que chef de file de la médiation, rien n’empêche l’Algérie de réunir la médiation de nouveau. Elle est dans son rôle lorsqu’elle défend l’accord et sa mise en exécution. Cet accord est victime des extrêmes.

Une frange du MNLA n’a jamais caché son opposition à l’accord parce qu’il ne satisfait pas l’objectif principal, qui est la création d’une entité Azawad, et une autre dans l’armée malienne qui a toujours prôné la solution militaire estime qu’il constitue une forme de contestation du pouvoir régalien du Mali. Le dispositif avait des mécanismes qui concernaient les mouvements politico-militaires et non pas les terroristes, mais l’Algérie était consciente que sans le rétablissement de la sécurité, l’exécution du processus ne pouvait pas avoir lieu.

Il y a eu ces mécanismes des MOC (mécanisme opérationnel commun), après ceux des DDR (démobilisation et réintégration), qui permettaient de reprendre les éléments ne devant pas rester en  marge du processus, d’intégrer les rangs de l’armée, pour la reconstituer avec la participation de l’Onu à travers la Minusma, pour se redéployer. Ces MOC devaient avoir des unités spéciales de lutte contre le terrorisme. Mais qui mieux que la rébellion connaît le terrorisme. Ses éléments connaissent les points d’eau, la configuration du terrain, etc.

La question que je pose, pourquoi les autorités maliennes, la Minusma, la France ne se sont pas empressées de mettre en place ces MOC ? Si aujourd’hui l’accord n’a pas été appliqué c’est parce qu’il y a eu échec de la mise en place des MOC. Qui a intérêt à est-ce que ces MOC ne soient pas installés ?

  • Pourquoi alors certains politiques maliens accusent l’Algérie de soutenir l’indépendance de l’Azawad ?

Ceux qui le disent soit méconnaissent la géopolitique du pays, soit ils sont de mauvaise foi et servent d’autres intérêts que ceux du Mali. L’intérêt de la sécurité de l’Algérie est la stabilité à ses frontières, donc dans le nord du Mali.

Lorsque l’on a entamé le processus de paix, l’Algérie a été très claire. Elle a déclaré que l’unité nationale et territoriale du Mali constitue une ligne rouge infranchissable. Lorsque j’ai commencé les premières séances des groupes thématiques sur les questions politiques institutionnelles que je présidais, la CMA est venue avec un projet de traité pour une confédération avec deux Etats fédérés.

J’ai tout de suite mis une fin de non-recevoir en rappelant à l’intervenant que la feuille de route consistait à travailler dans le cadre de l’Etat malien et que toute tentative d’attenter à l’unité du Mali est inacceptable pour l’Algérie. Ils ont quitté la salle et nous n’avons à aucun moment cédé, en travaillant dans le cadre unitaire malien. L’Algérie est le garant de l’unité territoriale du Mali.

  • Dans votre livre, vous parlez de cet Etat de l’Azawad qui, selon vous, est un projet français qui date de la révolution. Comment êtes-vous arrivé à cette conclusion ?

L’épisode est connu, je ne fait que le révéler. C’est de l’histoire. Mais attention, les puissances ont une mémoire et une continuité. La carte que j’ai publiée a été préparée par Faucart, le conseiller du président de Gaulle, en prévision des négociations d’Evian. Cette carte était amputée de son Sud. Nos valeureux militants du FLN avaient créé les bases Sud de la révolution avec un ancrage à Gao et qui étaient stratégiques, pour mettre en échec ce projet. Ce qui a été fait lors des négociation poussant Faucart a ramener une autre carte, afin de donner un territoire à la population de l’Azawad. Cette carte chevauche le territoire algérien.

Avec l’émergence du MNLA, cette carte resurgit dans sa forme première, avec de vastes territoires algériens et dans sa partie réduite au territoire malien. Billal Ag Cherif m’avait confié que cette carte est l’œuvre de certaines officines qui avaient intérêt à créer des problèmes entre le MNLA, l’Algérie et les pays voisins, parce que le Niger et le Burkina sont concernés.

En dépit des doutes sur la filiation de ces cartes, la concordance entre les dates n’est pas une vue d’esprit. Elles existent et sont les facettes d’une réalité qui a une continuité dans l’histoire et démontrent que les puissances ont une mémoire et une capacité d’adaptation dans leurs objectifs stratégiques. Donc il faut être vigilants en ce qui concerne notre sécurité.

  • Pensez-vous que l’Algérie devrait sortir de son statut d’observateur des événements graves qui se passent à ses frontières et des menaces y afférentes auxquelles elle est exposée ?

Les développements survenus ces dernières années dans la région Afrique du Nord et sahélo-saharienne sont en train de restructurer en profondeur l’environnement régional de l’Algérie, devenu malheureusement le théâtre de grosses manœuvres. Chaque jour apporte son lot d’événements destinés en fait à modifier les rapports de force de ces espaces.

Cet environnement est aujourd’hui le terrain d’une combinaison de facteurs d’instabilité qui se manifestent en apparence par le terrorisme, narcotrafic, mouvement insurrectionnel et coups d’Etat mais qui révèlent une réalité marquée par des dynamiques de subversion, de déstabilisation, de recomposition obéissant à des intérêts et des enjeux de puissance. La réflexion est de nature à modifier l’évaluation et la perception des menaces qui pèsent sur l’Algérie et qui découlent désormais de la lutte antiterroriste et de la rébellion touareg, ainsi que des rivalités inter-Etats et intercommunautaires. 

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