Norvège : La quête de «l’or noir» des batteries usagées

01/07/2023 mis à jour: 01:35
AFP
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La valorisation de batteries pourrait permettre de couvrir «entre 8 et 12% au moins des besoins en métaux critiques»

Blouse blanche et masque à gaz à portée de main, Ole Jørgen Grønvold mesure sur une plaque chauffante l’humidité d’une intrigante poudre sombre, la «black mass», érigée en nouvel «or noir» vertueux pour la planète. 

Dans le sud-est de la Norvège, la plus grande usine de recyclage du genre en Europe réduit des batteries usagées ou défectueuses de voitures électriques en un amalgame poudreux de nickel, manganèse, cobalt, lithium et graphite. L’objectif ? Réutiliser ces métaux critiques pour fabriquer de nouvelles batteries, rouages-clés de la transition vers une économie décarbonée. 

«Plus la qualité des composants est élevée, plus il est facile de les utiliser pour le recyclage», explique le technicien dans le conteneur qui lui sert de labo. Coentreprise du géant norvégien de l’aluminium Norsk Hydro et du fabricant suédois de batteries, Northvolt, Hydrovolt a ouvert cette usine l’an dernier dans des bâtiments anodins de la cité portuaire de Fredrikstad. 

Dans quelques mois, le site devrait pouvoir traiter 12 000 tonnes de packs de batteries lithium-ion par an, l’équivalent de 25  000 voitures électriques. Précurseur en la matière, la Norvège, où l’électricité est quasi exclusivement d’origine renouvelable, est la championne incontestée de ces véhicules zéro émission qui représentent plus de 80% de ses nouvelles immatriculations.  

«Mine hors sol»  

Vidés de leur électricité, les imposants packs de batteries, d’une demi-tonne chacun, sont méthodiquement désossés afin de récupérer jusqu’à 95% des métaux : l’aluminium est recyclé par Norsk Hydro et la fameuse «masse noire» vendue à des producteurs de batteries. «C’est l’or noir qui nous fait vivre», résume Glenn Østbye, directeur par intérim d’Hydrovolt et chef de l’usine qu’il fait visiter, chaussé d’un casque et de lunettes de protection. Un «or noir» qui, parce qu’il est issu du recyclage plutôt que de l’extraction minière dans des pays lointains, se targue d’être respectueux de l’environnement. 

«Le recyclage des batteries est, à bien des égards, une alternative aux mines. On a en quelque sorte construit une mine hors sol», souligne le directeur des opérations d’Hydrovolt, Andreas Frydensvang. «Une batterie peut être transformée en nouvelle batterie à l’infini», assure-t-il. 

Ce recyclage contribue à la souveraineté européenne en métaux critiques, la pandémie de Covid puis la guerre en Ukraine ayant illustré la dépendance problématique du continent pour ses approvisionnements en matières premières. «Sur un continent comme l’Europe, nous avons de gros marchés pour les biens mais nous avons peu de ressources en propre : à l’échelle mondiale, nous ne sommes pas une superpuissance minière pour le cuivre, le cobalt ou le nickel», note Julia Poliscanova, responsable «mobilité électrique» de l’ONG Transport & Environment. «Une des options qui s’offre à nous est donc en effet de recycler les déchets (...) d’autant que recycler prend beaucoup moins de temps qu’ouvrir une mine», dit-elle.

Souveraineté européenne  

Selon l’ONG, la valorisation de batteries en fin de vie ou mises au rebut par les producteurs pourrait permettre de couvrir «entre 8 et 12% au moins des besoins en métaux critiques» en Europe en 2030 et «entre 12 et 14% en 2035». 

Le Parlement européen a d’ailleurs récemment adopté des règles visant à rendre les batteries plus durables et plus facilement recyclables. Mais, insiste Mme Poliscanova, l’Europe devrait aussi cesser d’exporter sa précieuse «black mass» vers des pays tiers, essentiellement la Chine et la Corée du Sud, et développer ses propres complexes hydrométallurgiques. Car cet autre maillon crucial de la chaîne de recyclage, qui permet d’extraire et séparer les métaux contenus dans la poudre, est encore rare sur le continent ou d’une échelle limitée (Revolt en Suède, Eramet en France...). 

Des aides gouvernementales sont également nécessaires pour que les nombreux projets d’usines de batteries voient effectivement le jour, créant ainsi un écosystème favorable aux recycleurs, ajoute la responsable de l’ONG. Projet-pilote, l’usine de Fredrikstad devrait s’exporter, Hydrovolt tablant sur un deuxième site d’ici «un an ou deux». 

«Le plus important pour nous, c’est le degré d’adoption des voitures électriques, de sorte qu’il y ait un réservoir de batteries en fin de vie, et la production annoncée de cellules parce que cela génère aussi beaucoup de batteries au rebut», confie M. Frydensvang. 

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