Montagnes du Karakoram : Au sommet du K2, les porteurs pakistanais entre deux mondes

14/08/2023 mis à jour: 01:19
AFP
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Ces porteurs pakistanais sont poussés sur ces chemins par l’économie pakistanaise en déroute - Photo : D. R.

Les porteurs grimpent en charriant sur leur dos bagages, tentes et vivres, pour un salaire de 30 000 à 40 000 roupies (de 105 à 140 dollars) par voyage durant les quatre mois de la saison estivale. Une somme inférieure au prix d’un pantalon de randonnée haut de gamme recommandé par les voyagistes à leurs clients.

Une caravane de porteurs pakistanais fait route vers K2, deuxième plus haut sommet du monde, chargée de poulets vivants et d’équipements de campement pour les aventuriers qui cherchent à toiser les pics de ces montagnes semblant percer le ciel. Ils doivent grimper sur le K2, culminant à 8611 mètres d’altitude, au sommet de la chaîne de montagnes du Karakoram, l’un des plus impressionnants massifs de la planète.

L’expédition aller-retour dure une dizaine de jours. Ces porteurs pakistanais sont poussés sur ces chemins par l’économie pakistanaise en déroute, même si cela leur rapporte peu. «J’aime la montagne», déclare Yasin Malick, 28 ans, chargé de transporter une caisse de 180 œufs pour un groupe de touristes auquel se sont joints des journalistes de l’AFP.  «Mon grand-père paternel, mon oncle maternel, mon père, ont tous exercé ce métier», raconte-t-il.

«Maintenant, c’est mon tour.» Il se promet pourtant de ne pas perpétuer cette tradition. «Je porterai des charges jusqu’à ma mort», dit-il, «mais je ne laisserai pas (mes enfants) porter».

Les tour-opérateurs proposent généralement une ascension au départ d’Askole, village de la région du Gilgit-Baltistan dans le nord-est du Pakistan, où des jeeps conduisent des randonneurs plus ou moins expérimentés mais aussi des alpinistes aguerris qui continueront l’aventure à pied.

Le coût de l’expédition varie de 2000 à 7000 dollars.  Les porteurs grimpent en charriant sur leur dos bagages, tentes et vivres, pour un salaire de 30 000 à 40 000 roupies (de 105 à 140 dollars) par voyage durant les quatre mois de la saison estivale.

Une somme inférieure au prix d’un pantalon de randonnée haut de gamme recommandé par les voyagistes à leurs clients. Et leur pouvoir d’achat a été cette année durement entamé par une forte inflation.

Elle était de 28% en juillet. Le Pakistan était au bord du défaut de paiement mais une intervention du FMI lui a fourni un répit dérisoire. «J’ai maintenant du mal à payer les produits de base du foyer», confie Sakhawat Ali, 42 ans, «je n’ai pas d’autre choix que de venir ici et de travailler dur.» Pourtant, quand il parle des montagnes, sa voix vibre d’émotion.

«Elles ont chacune des couleurs différentes», dit-il, et puis, «cela me permet de côtoyer des mondes différents». Hommes jeunes ou dans la force de l’âge, les porteurs déclarent porter jusqu’à 35 kg sur les 2 km de dénivelé, souvent dans de grands bidons bleus, fixés sur des cadres de sacs à dos.

Durant leur odyssée vers le camp de base, les randonneurs prennent leur temps, s’arrêtent régulièrement. Les porteurs eux partent dès le lever du soleil, après une maigre collation faite de chai (thé) et de chapati (galette de farine) après avoir passé la nuit abrités sous de simples bâches en plastique.

Des mules transportent aussi une grande partie du chargement mais le long des pistes, se rencontrent parfois leurs dépouilles desséchées. «Parfois il fait froid, parfois il pleut, parfois le temps est rude», explique le porteur Khadim Hussain. Jeune, «je n’avais peur de personne, de rien. J’ignorais la peur», affirme l’homme de 65 ans.

De nos jours, le camp de base du K2 accueille les grimpeurs avec de la décoration, des bols garnis de faux fruits en plastique et des guirlandes lumineuses, mais aussi des verres à vin, autant de petits luxes qui indiquent que la «montagne sauvage» a été apprivoisée par des pouvoirs commerciaux qui s’appuient sur les porteurs.

Ils composent «la planche de salut des alpinistes», selon l’expression du président du Club alpin du Pakistan, Abu Zafar Sadiq.  Mais les porteurs sont eux réduits à quémander auprès des touristes des médicaments de base, des piles pour leurs torches frontales ou des batteries externes pour leur téléphone portable.

De nouveaux itinéraires sont tracés à travers les vallées et creusés dans la glace, promettant de rendre leur travail plus facile et plus sûr.

Mais les porteurs sont inquiets de l’impact sur leur emploi. A Urdukas, un campement semblable à un nid d’aigle, au-dessus du glacier Baltoro, dédale accidenté de glace et de pierres, dont la traversée prend cinq jours, une plaque rend hommage aux trois porteurs tués par des chutes de pierres en «servant la cause du tourisme» en 2011.

Les porteurs y ont organisé des chants et des danses de commémoration, tournoyant à tour de rôle autour d’un bidon servant de tambour.

«Mon lien avec les montagnes est celui d’un enfant à sa mère», explique le chef des porteurs, Wali Khan, 42 ans. «C’est une sorte de passion», explique-t-il, «nombre de nos grimpeurs ont été ensevelis sous la neige ici. Ils savaient aussi qu’ils y mourraient un jour, mais ils y allaient quand même». 

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