Moins de pièces, fin des tickets-restaurant papier : Des conséquences pour les sans-abri en France

06/11/2023 mis à jour: 16:18
AFP
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L’excuse habituelle : «Désolé, je n’ai pas de monnaie», devient une réalité

Moins de pièces de monnaie, fin des tickets-restaurant papier : accentuée depuis la pandémie Covid, la dématérialisation des paiements touche de manière «dramatique» les personnes sans-abri en France, qui voient leurs ressources fondre, fragilisant encore leur situation déjà très précaire. «Les gens ont beaucoup moins de monnaie sur eux et ils n’ont que des cartes ticket-restos», confirme auprès de l’AFP Mike, 26 ans, actuellement sans domicile fixe à Paris. 

«Beaucoup s’excusent et me disent qu’ils n’ont que la carte. Je leur dis pour rigoler : «C’est pas grave, bientôt je vais avoir le TPE ! (Terminal de paiement électronique).» Comme lui, de nombreux sans-abri subissent de plein fouet le contre-coup de la fin de la version papier des titres restaurants, confirmée en octobre par l’Exécutif afin de rendre moins coûteuse la procédure pour les restaurateurs. Une disparition synonyme de perte de ressources pour les personnes à la rue, déjà pénalisées par la diminution des pièces de monnaie dans les poches des Français. Selon la Banque de France, si les espèces restent le moyen de paiement le plus utilisé en nombre de transactions dans les points de vente, l’évolution est clairement à la baisse. 

La carte bancaire, elle, poursuit son irrésistible ascension. «Avec la bascule du cash vers la carte bancaire, plein de gens qui voudraient donner ne le peuvent plus parce qu’ils n’ont plus de monnaie sur eux», résume Julien Damon, sociologue et auteur notamment de La Question SDF (édition PUF). «L’excuse habituelle ‘’Désolé je n’ai pas de monnaie’’ devient une réalité, et à l’inverse, ceux qui étaient habitués à recevoir un peu de monnaie à la sortie de l’église ou ailleurs n’en reçoivent plus, ou en tout cas moins», ajoute-t-il. 

«Les gens donnent moins et proposent plus spontanément d’acheter quelque chose en nature, un sandwich par exemple», confirme Guillemette Soucachet, coordinatrice du programme Pas de Santé Sans Toit, à Médecins du Monde (MDM). «Ce qui en soi est sympa, mais nous, à MDM, on défend l’idée que l’argent permet une forme de liberté» et doit permettre à la personne d’acheter ce qu’elle souhaite, ajoute-t-elle, qualifiant de «dramatique» la situation actuelle pour les sans-abri. 

Face à cette dématérialisation, plusieurs initiatives ont vu le jour pour tenter de trouver des alternatives. A Lyon, un système de dons d’argent a été testé en début d’année auprès de quatre personnes sans-abri. Via un QR code, figurant sur une petite pancarte à côté de la personne, les passants pouvaient abonder une cagnotte avec leur smartphone. «Ça a bien fonctionné», indique Pierre-Jean Raugel, de la société Dynergie et responsable de l’expérimentation. 

«Il en est ressorti que le panier moyen du don était plus élevé qu’en temps normal», indique-t-il. «Quand on a 30 centimes dans la poche, on les donne, mais une fois qu’on sort son smartphone, on va donner plus. Là, le panier moyen était plutôt de l’ordre de 5 euros.» La start-up Obole, elle, veut tester cet hiver à Paris un système de cartes munies d’un QR code.

 Des initiatives saluées par les acteurs de terrain qui expriment toutefois quelques doutes. «Ça nous paraît un peu déconnecté d’une grande partie des personnes à la rue, qui n’ont pas forcément de smartphones ni de compte en banque», relève Guillemette Soucachet. Même réserve chez Julien Damon. Une partie des sans-abri ou de personnes qui réalisent dans la rue «des spectacles ou des peintures à la craie» par exemple savent manier le numérique, grâce auquel ils peuvent communiquer, avoir une banque en ligne ou même être assurés, dit le sociologue. «Pour ceux qui ne vivent que d’une mendicité erratique, ceux dans des difficultés parfois psychologiques poussées, la ‘’cashless society’’ (ndlr: société sans cash) a un impact très négatif.»

 Quant au don numérique, «ça pourrait fonctionner avec les personnes à qui on a l’habitude de donner une pièce», ajoute-t-il. Mais pour les autres, «il peut y avoir, chez les donateurs, des craintes, injustifiées, d’un ‘’piquage’’ de données». 

 

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