Migrations : A Calais, de rares psychologues face au «lourd fardeau» de l’exil

02/08/2023 mis à jour: 23:44
AFP
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Chaque semaine, une psychologue, une infirmière et des médiateurs interculturels vont à la rencontre des migrants en transit

Quand tu penses à ta famille, au pays, c’est un lourd fardeau» : dans le nord de la France, où il tente de passer la Manche, Mohamed Yasir sait sa santé mentale affectée par son périple migratoire. Mais pour ce Soudanais, la priorité est d’arriver au Royaume-Uni.
 

Comme nombre de migrants, il a quitté un pays en proie aux violences et mis sa vie en péril dans l’espoir d’une vie meilleure. Dans l’immédiat, il campe dans les taillis à la périphérie de Calais, sur le littoral du nord de la France. Dans cette ville de 75 000 habitants, l’offre de soins, déjà insuffisante pour les locaux, est quasi inaccessible pour les étrangers de passage, qui sont actuellement environ 800, selon Médecins sans frontières (MSF). L’ONG y a en conséquence relancé ses opérations au printemps.
 

Chaque semaine, une psychologue, une infirmière et des médiateurs interculturels vont à la rencontre des migrants en transit, sur un terrain vague entouré de plusieurs campements. Des résidents, en majorité soudanais, s’installent le temps de charger leurs téléphones portables. Autour d’une table avec quelques jeux et du café chaud, les langues se délient.  

Prendre soin de moi

Mohamed, 32 ans, qui a quitté El Geneina au Darfour début 2023 aux prémices de la guerre ravageant désormais le Soudan, sait qu’il aura besoin de soutien psychologique. «Quand je me suis retrouvé au milieu de la mer (Méditerranée NDLR), sur un petit bateau en plastique, il n’y avait pas assez d’essence, le capitaine n’était pas formé, il y avait des vagues de deux mètres, là j’ai regretté» d’être parti, dit-il. Secouru par une ONG en mer, il a rencontré un psychiatre à bord. «Il m’a dit de prendre soin de moi avant d’aider les autres (...) et m’a donné un papier avec un diagnostic», indique-t-il, sans en dévoiler le contenu. 

Depuis des mois, il est sans nouvelle de son épouse et leur enfant de deux ans, qui vivaient avec une quinzaine de proches dans la maison familiale au Darfour. Il ne peut qu’espérer qu’ils ont pu fuir au Tchad. «Là je dois d’abord traverser», vers la Grande-Bretagne, dit-il, espérant reprendre des études d’architecture. Mais «quand j’arriverai, dès que je serai posé, j’entamerai des séances», assure-t-il. Pour ceux qui sont en transit, «je ne vais pas aller gratter», explique Chloé Hannebow, psychologue MSF. «Je vais leur expliquer les mécanismes derrière certains symptômes», comme crises d’angoisse, maux de ventre ou idées noires, et «leur donner quelques techniques pour les gérer».
 

Traités comme des objets

Beaucoup se plaignent d’abord de maux physiques et sont reçus par l’infirmière, Palmyre Kühl, avant d’être éventuellement orientés vers la psychologue. Dans sa tente ce matin-là, Mme Kühl ausculte un trentenaire arrivé en mai, qui se plaint de douleurs aux genoux. «Il avait des cicatrices, je lui ai demandé ce que c’était, et il a commencé à me raconter qu’il avait été torturé» au Soudan, raconte-elle. «Je lui ai proposé d’en parler à quelqu’un, et il a dit oui tout de suite.» 

Parmi les pathologies les plus fréquentes observées : stress post-traumatique et dépression. Depuis 2022, les associations ont recensé au moins trois suicides d’exilés sur le littoral. D’autres perdent pied, comme ce Soudanais reclus dans une tente depuis des mois. Ses amis ont réussi à traverser et il est resté seul, s’isolant de plus en plus, raconte MSF, parti à sa rencontre avec une équipe mobile du centre médico-psychologique de Calais.

Le Centre Primo Levi, spécialisé dans le suivi des victimes de violences politiques, estime le nombre d’exilés souffrant de troubles psychologiques en France à 140 000, contre 125 000 en 2012.
 

Plus de la moitié des migrants installés en France ou y passant ont connu des violences extrêmes, souligne Valentin Hecker, psychologue dans ce centre. «Tous ne sont pas traumatisés», mais «leur santé mentale est un enjeu majeur», afin qu’ils deviennent «pleinement sujets dans la société, après avoir été traités comme des objets, presque des déchets», explique-t-il, déplorant le «manque de moyens criants». 

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