Migration massive des jeunes, protestations, pauvreté et inégalités : Le Maroc face à une bombe sociale

25/09/2024 mis à jour: 00:24
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A cause de la pauvreté, de la marginalisation et de la repression, les jeunes marocains fuient par milliers leur pays

Des foules de jeunes et de moins jeunes fuient les services de sécurité afin de réaliser leur rêve de gagner l’Europe, via l'enclave espagnole de Ceuta (appelée Sebta au Maroc). La scène n’est pas tirée d’un film sur l’émigration clandestine. 

Elle est réelle et elle s’est déroulée au Maroc, le dimanche 15 septembre dernier. Les vidéos partagées sur les réseaux sociaux sur ce phénomène tout à fait nouveau ont été vues par des millions de personnes et ont capté l’intérêt de nombreux médias internationaux. 

En effet, les traversées clandestines de la Méditerranée ne sont pas nouvelles en Afrique du Nord en général, mais c’est pour la première fois qu’environ 3000 personnes, selon plusieurs médias, tentent d’entrer, en même temps, dans l’enclave espagnole. Un véritable exode ! Sur ces vidéos, on voit bien des centaines de jeunes escalader des collines et tenter de passer à travers des barbelés dans la zone de Fnideq (côte nord, à environ 300 km de Rabat). Et cela s'est déroulé sous les yeux des éléments ayant constitué le fort dispositif sécuritaire déployé sur le lieu, qui était totalement dépassé. 

Déterminés à atteindre leur objectif, ces candidats à la migration clandestine n’ont pas reculé, malgré les tirs de grenades lacrymogènes par les services de la gendarmerie marocaine. 

Que s’est-il passé ? Les autorités marocaines accusent «des manipulateurs» qui ont lancé des appels sur les réseaux sociaux. «Malheureusement, certains jeunes gens sont incités (à immigrer) par des inconnus sur les réseaux sociaux», affirme Mustapha Baitas, porte-parole du gouvernement marocain, lors d’une conférence de presse. 

Ce dernier affirme également que «dans le cadre de la lutte contre les appels à immigrer clandestinement, 152 personnes ont été entendues par un juge». 

Ainsi, le gouvernement marocain choisit une réponse sécuritaire à un phénomène social, engendré par des sentiments de malaise, d’injustice et de privation chez des jeunes qui rêvent d’un avenir meilleur. 

Tentant d’anticiper sur une nouvelle vague de candidats à la migration clandestine, les autorités marocaines ont déjà déployé des renforts d’agents de sécurité dans la zone de Fnideq. Mais jusqu’à présent, il n’y a eu aucune volonté de comprendre les raisons de ce phénomène et pourquoi les jeunes préfèrent prendre tous les risques pour quitter massivement leur propre pays. Pourtant, les éléments de réponse sont donnés par la société marocaine. 

 

«Une forme de manifestation» 

Celle-ci manifeste, hebdomadairement, ces derniers jours, dans de nombreuses villes du pays, contre la pauvreté, la cherté de la vie, l’aggravation des inégalités, le chômage et la corruption. 

Des partis politiques de l’opposition font des constats implacables. Interrogé par le journal Maroc Hebdo, Rachid Hammouni, président du groupe du Parti du progrès et du socialisme marocain (PPS) à la Chambre des représentants, affirme que «cette vague migratoire juvénile est une forme de manifestation et un appel de détresse». «C’est un échec en termes de développement humain.» 

«Cette vague migratoire juvénile est une forme de manifestation, un appel de détresse en direction d’un Exécutif en lequel ils n’ont plus confiance. Le gouvernement a promis 1 million d’emplois. Où sont-ils ? Des initiatives ont été lancées pour résorber le chômage, mais il n'y a aucun suivi. 

Bien sûr, tous les gouvernements successifs sont responsables de cette crise. Les politiques publics à l’égard des jeunes et les chantiers sociaux doivent être revus de fond en comble. Toujours est-il que, en 3 ans, le bilan est très mitigé. Le taux de chômage (en particulier celui des jeunes) ne cesse d’augmenter sous le gouvernement de M. Akhannouch», explique-t-il. La presse marocaine s’est saisie aussi de cette affaire de migration pour tirer la sonnette d’alarme. C’est ainsi que Maroc Hebdo consacre sa Une à ce phénomène en titrant «Désespérés, nos jeunes fuient le pays : quel gâchi !» 

Plus de 3 millions de pauvres supplémentaires

Cette situation était pourtant prédite par les rapports d’ONG et d’organismes internationaux, en raison de la pauvreté de larges pans de la société marocaine et les inégalités. Selon l’ONG Oxfam Maroc, le nombre de pauvres ne cesse d’augmenter dans le pays. 

Dans son rapport, repris par TelQuel, l’organisation souligne : «470 000 Marocains sont passés sous le seuil de pauvreté, portant ainsi le taux à 7,1%.» Selon le Haut-Commissariat au plan, qui est l’organisme marocain de production des statistiques, «en 2022, le Maroc s'est retrouvé avec le niveau de pauvreté et de la vulnérabilité de 2014». «Environ 3,2 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté (1,15 million) ou dans la vulnérabilité (2,05 millions). On estime, à cet égard, que près de huit ans de progrès vers l’élimination de la pauvreté et de la vulnérabilité ont été perdus», souligne la même source. 

Cet organisme pointe ainsi le poids de l’inflation qui était «de 8,2% durant le premier trimestre de l’année 2023». Le HCP souligne une forte hausse des prix des «produits alimentaires (+16,1%) et de celui des produits non alimentaires (+3%)». «Il s’agit du pic d’inflation le plus élevé de ces 30 dernières années. Ainsi, les budgets des ménages subissent des contraintes de plus en plus fortes. Les arbitrages entre dépenses forcées et la gestion du quotidien deviennent pour certaines populations des équations insolubles», relève la même source. 

Mais, au lieu d’apporter des solutions à ces problématiques qui empoisonnent la vie de la population, le pouvoir marocain préfère la répression pour empêcher toute révolte de la population, comme ce fut le cas pour les manifestants du Rif en 20217, dont les leaders ont été jetés en prison. 
 

 

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