Me Farouk Ksentini. Avocat : «Le discours de haine a pris de l’ampleur, il nécessite une riposte rapide»

20/04/2022 mis à jour: 04:39
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Me Farouk Ksentini

Pour l’avocat Farouk Ksentini, la loi délimite assez bien les limites à ne pas dépasser afin de ne pas tomber sous le coup d’une sévère condamnation pour propagation de discours de la haine et de la discrimination. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il appelle à la désignation et à l’installation rapide des membres de l’Observatoire de prévention et de dénonciation de ces actes répréhensibles pour rendre plus efficaces la lutte contre ce phénomène.

Entretien réalisé par  Salima Tlemçani

  • Malgré la récente promulgation de la loi réprimant les discours de la haine et la discrimination, les réseaux sociaux continuent de servir de tribune de la haine, du régionalisme et de la violence verbale. Peut-on dire que cette loi n’est pas suffisante pour éradiquer ce fléau ?

Bien au contraire, la loi 20-05 du 28 avril 2020 est très efficace dans la mesure où elle définit assez bien les limites à ne pas dépasser lorsqu’il y a un discours haineux et réprime sévèrement les auteurs de ces actes et ceux qui les propagent. Elle prend bien en charge les condamnations qui ne sont pas systématiques, mais peuvent aller de 2 à 5 ans de prison ferme, et être aggravées pour atteindre une peine maximale de 10 ans de prison ferme. 

Des sentences dissuasives peuvent faire reculer les éventuels auteurs de ces discours haineux, par peur d’être exposés à la prison et pour longtemps. Mais cela n’a pas pour autant dissuadé les nombreuses personnes qui ont inondé les réseaux sociaux de propos haineux et racistes à l’égard de la population de M’chedallah, à Bouira, qui avait dénoncé les salves d’insultes lancées contre elle à travers les haut-parleurs de la mosquée par l’imam de la localité à cause de l’organisation d’un gala… 

Il est vrai que depuis quelques années, les réseaux sociaux sont utilisés par des personnes qui ont pour mission de répandre et de cultiver la haine. Certaines en ont fait même une spécialité. Cela n’est pas propre à l’Algérie. On le voit partout dans le monde. Cependant, aujourd’hui, il y a des dispositions pénales qui punissent sévèrement ces actes. Il est du devoir des institutions et des personnes de recourir à cet instrument légal de répression pour sanctionner les auteurs. Il y a un observatoire de veille qui dénonce ces actes répréhensibles et joue le rôle de lanceur d’alerte.

  • Jusqu’à présent, cet observatoire n’est toujours pas sorti du papier alors que le phénomène des discours de la haine a pris de l’ampleur. Qu’en pensez-vous ?

L’observatoire joue un rôle important en matière de dénonciation, d’alerte et d’élaboration de stratégie de prévention. Placé auprès du président de la République, cet organisme a pour mission de détecter et d’analyser les formes et aspects de la discrimination et du discours de haine, d’alerter les autorités concernées, d’en rechercher les causes, de proposer les mesures et procédures nécessaires à leur prévention. Sa composante est très intéressante, malheureusement elle n’est pas encore désignée. Le phénomène des discours de haine a pris de l’ampleur et nécessite une riposte rapide. Les autorités doivent mettre en place le dispositif de prévention, notamment l’observatoire. Le fléau ne peut être combattu uniquement par des moyens répressifs. Il faut une stratégie nationale de prévention et des mécanismes de veille et de détection précoce des causes de ce phénomène qui relèvent des prérogatives de l’observatoire. Il est donc urgent de désigner les membres de cet organe et de l’installer pour qu’il commence à être réactif sur le terrain.  

  • Comment expliquer que pour beaucoup d’affaires liées aux publications sur les réseaux sociaux, la justice a été rapide à enclencher la machine judiciaire, alors que lorsqu’il s’agit de campagnes haineuses contre la population des régions du pays, le parquet ne s’autosaisit presque jamais ?

A mon avis, ces affaires sont prises vraiment au sérieux et inquiètent beaucoup les autorités. Les juges auxquels elles sont confiées sont bien choisis. Ce sont des magistrats expérimentés qui agissent dans le cadre de la loi et dans celui de l’esprit de cette même loi.

  • Pourquoi les autosaisines du parquet sont-elles très rares?

Je ne le pense pas. Mais, il faut peut-être savoir que les délits qui concernent les discours de haine et la discrimination ne peuvent faire l’objet de procédures de comparution immédiates. Ils doivent passer par une enquête judiciaire très approfondie qui demande du temps…

  • Qu’est-ce qui empêche une autosaisine du parquet ?

Rien ne l’empêche. Mais, souvent ce sont des affaires très délicates, parce que les auteurs trouvent toujours des explications à leurs actes. 

La campagne haineuse qui a suivi les événements de M’chedallah suscitera certainement une réaction. Je suis convaincu que les auteurs auront à faire à la loi, y compris cet imam qui a proféré des insultes à l’égard de la population, par le biais des haut-parleurs, et ce, même s’il a présenté des excuses. 

La loi finira par s’imposer à tous et les gens peuvent se constituer partie civile devant le juge. 

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