A Luang Prabang, capitale touristique du Laos, l’afflux de visiteurs chamboule la tranquillité de la ville où les moines bouddhistes, aux premières lueurs du jour, chaque matin, demandent l’aumône dans des rues de plus en plus bondées. «Il n’y avait personne dans la rue quand on s’est levés, et maintenant, on dirait une marée humaine», constate Shi Qii, une touriste âgée de 30 ans venue de Chine.
La province de Luang Prabang table sur trois millions de touristes en 2024, soit une grande partie des 4,6 millions de visiteurs attendus cette année dans le pays qui espère en tirer 712 millions de dollars de revenus, d’après le média officiel.
Le tourisme, propulsé par le développement récent du train à grande vitesse, est une des rares sources de devises étrangères pour une économie moribonde depuis la pandémie, sur fond d’inflation et de dette massive vis-à-vis de la Chine. Mais à Luang Prabang, l’afflux de curieux s’accompagne de désagréments qui perturbent la sérénité de la ville endormie dans un méandre du Mékong.
Investissements chinois
Chaque matin, des moines en robe couleur safran parcourent les rues, pieds nus, pour collecter l’aumône auprès des habitants, un tableau aux couleurs vives qui fait quotidiennement l’objet de milliers de clichés.
Des habitants se plaignent que la procession - typique des pays bouddhistes d’Asie du Sud-Est - soit devenue une séance photos. «Ils prennent des photos plutôt que d’acheter quelque chose pour l’offrir aux moines, déplore une commerçante âgée de 30 ans, qui vend des paniers d’offrandes contenant notamment du riz gluant, pour 50 000 kips (2 euros). Mais s’il n’y a pas assez de touristes, nous perdons de l’argent», reconnaît la commerçante qui a refusé de donner son nom. Parler aux médias étrangers est considéré comme dangereux dans le pays où le pouvoir communiste exerce un contrôle quasi total sur la presse.
Près d’elle, une jeune femme sermonne des touristes, leur demandant de ne pas s’approcher trop près des moines. Le gouvernent laotien a misé sur le développement de la ligne à grande vitesse qui relie, depuis 2021, la capitale Vientiane à la frontière chinoise, via Luang Prabang, pour tenter de désenclaver ce pays montagneux et privé d’accès à la mer.
La gare flambant neuve de Luang Prabang se trouve à une trentaine de minutes de route du centre. Elle porte une inscription en lao et en mandarin, rappelant que Pékin a financé une grande partie des six milliards de dollars qu’a coûté la construction de la ligne.
Désormais, il faut moins de neuf heures pour rallier la métropole de Kunming, à près de 1500 kilomètres de là, dans le sud-ouest de la Chine, grâce à un direct quotidien. Un trajet qui, en pratique, ne pouvait être effectué qu’en avion auparavant.
«Destination phare»
Zhang Ying, une touriste de 70 ans tout juste débarquée en train de Chongqing (sud-ouest de la Chine), a toujours voulu visiter le royaume du Million d’éléphants, l’un des surnoms du Laos. «Ce pays est une destination phare en puissance et va probablement bien se développer dans le futur, notamment avec les Nouvelles routes de la soie de Xi Jinping», souligne-t-elle, dans une allusion au vaste programme d’infrastructures lancé par le dirigeant chinois.
Les experts ont salué le potentiel économique offert par cette première voie ferrée du Laos mais ils se sont aussi inquiétés des risques que faisait peser le poids de cette nouvelle dette sur la modeste économie du pays.
Des habitants interrogés par l’AFP ont par ailleurs relevé que les revenus générés par le train chinois étaient inégalement répartis et les paisibles tours en bateau sur le Mékong au coucher du soleil se sont de plus en plus transformés en croisières karaoké. «Le style a changé», reconnaît le propriétaire de trois bateaux. «Cela a détruit la tranquillité.»