Mandats d’arrêt de la CPI visant Netanyahu et gallant tirs groupés des occidentaux contre Khan

22/05/2024 mis à jour: 04:00
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Karim Khan, procureur général de la CPI - Photo : D. R.

L’annonce par le procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI) des demandes d’émission de mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, dans le cadre de son enquête sur la situation à Ghaza, a suscité de violentes réactions et des menaces de «sanctions sévères» contre la juridiction, aussi bien du côté de l’Etat hébreu que de celui de Washington, auxquels se sont joints Berlin et Londres.

On les savait déjà prêtes depuis plusieurs jours et elles avaient provoqué une panique à Tel-Aviv et ses indéfectibles alliés, Washington et Berlin. Des informations fuitées, publiées par la presse israélienne et américaine, avaient fait état de demandes de délivrance de mandats d’arrêt internationaux, introduites par le procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI), auprès des juges de cette juridiction basée à La Haye, aux Pays-Bas, contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant. Des demandes qui entrent dans le cadre de l’enquête sur des «crimes de guerre» et «contre l’humanité», ainsi que trois dirigeants du Hamas, découlant de l’offensive militaire que subit Ghaza depuis le 7 octobre dernier.

Les réactions ne se sont pas fait attendre. Douze sénateurs républicains du Congrès américain ont carrément menacé de «représailles» et de «sévères sanctions» le procureur en chef, Karim Khan, ainsi que les membres de la Cour et leurs familles en cas de délivrance de décisions contre les dirigeants israéliens. Les Israéliens se sont attaqués avec virulence aux demandes de Karim Khan, accusé d’emblée d’«antisémite».

Après avoir obtenu le soutien de ses confrères de la CPI et de nombreux membres au niveau du Conseil de sécurité de l’Onu, devant lesquels  il s’est exprimé la semaine dernière, Khan a publié la demande de mandats d’arrêt contre les deux dirigeants israéliens, mis bizarrement sur un pied d’égalité avec trois dirigeants du mouvement de résistance Hamas, Yahya Sinouar, Ismail Haniyeh et Mohamed Deif.

L’annonce a résonné comme un coup de tonnerre. Hier, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a continué à menacer Karim Khan et la CPI, en déclarant à la chaîne de télévision américaine ABC : «Je ne crains aucunement de me déplacer à l’étranger. En revanche, c’est le procureur de la CPI qui doit craindre pour son statut et l’institution qu’il représente. Sa demande de mandat d’arrêt contre moi, c’est comme mettre sur la même échelle Roosevelt et Hitler.»

La veille, il est apparu sur une vidéo, qu’il a lui-même postée sur la Toile, extrêmement irrité. «Avec quelle audace osez-vous comparer les monstres du Hamas aux soldats de l’armée la plus morale du monde ?! (…) C’est exactement à cela que ressemble le nouvel antisémitisme (…). Le néo-antisémitisme est passé des universités occidentales à la CPI. Karim Khan prend place parmi les grands antisémites des temps modernes.»

Poursuivant son réquisitoire contre la CPI, Netanyahu a qualifié la requête du procureur en chef de «ridicule, mensongère, dirigée non pas contre moi seulement mais contre l’Etat d’Israël (…), la tentative de nous ligoter les mains sera vaine et aucune pression ne nous empêchera de frapper ceux qui veulent nous exterminer. C’est un scandale. Personne ne nous arrêtera».

Son ministre de la Défense, Yoav Gallant, n’a pas dérogé à la règle des menaces et des attaques. Il a tout simplement qualifié la demande du procureur de la CPI d’«ignoble», en précisant que «la tentative de nier le droit d’Israël à l’autodéfense et à libérer les otages doit être rejetée». Il a exhorté «les nations du monde civilisé à s’opposer à la demande du procureur et à déclarer qu’elles n’honoreront pas de tels mandats». Dans ce contexte d’avalanche de déclarations incendiaires, 106 membres de la Knesset sur les 120 ont voté une déclaration contre le procureur Karim Khan.

Le journal de gauche Hareetz a évoqué des «pressions israéliennes sur les Américains pour imposer des sanctions contre la CPI». Pour le président de l’Etat hébreu, Isaac Herzog, «la déclaration de la CPI est une mesure unilatérale et de mauvaise foi qui encourage les terroristes du monde entier». Mieux encore. L’ancien ministre de la Défense, Benny Gantz, membre du cabinet de guerre de Netanyahu, s’est adressé au procureur en lui lançant publiquement : «Accepter le poste de procureur de la Cour pénale internationale constituerait un crime historique qui ne sera pas effacé.

Mettre les dirigeants d’un pays engagés dans une bataille pour défendre ses citoyens sur un pied d’égalité avec les terroristes relève de l’aveuglement moral…» Bezalel Smotrich, le très médiatisé ministre des Finances israélien pour ses déclarations racistes, espère que «les amis d’Israël et les pays éclairés ne permettront pas que le travail de la CPI se poursuive».

Il va même jusqu’à décrire la demande de mandats d’arrêt contre Netanyahu et Gallant de «dernier clou qui va démonter cette Cour  (NDLR : la CPI), politisée et antisémite (…)» Et d’ajouter : «Israël continuera à se défendre et l’histoire condamnera ceux qui se sont positionnés avec les nazis du Hamas. Les amis d’Israël et les Etats éclairés ne permettront pas la poursuite de l’action de la CPI.»

Même le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, a pris part au procès du procureur de la CPI, en qualifiant la décision de Karim Khan de «désastre politique», avant d’avertir : «Nous n’acceptons pas cette comparaison avec les assassins du Hamas et nous ne garderons pas le silence sur cette décision.» Pour sa part, l’ex-ministre de la Défense et membre du cabinet de guerre, Beny Gantz, a estimé que «mettre les dirigeants d’un Etat qui mène une bataille de défense de ses citoyens sur un pied d’égalité avec des terroristes est une cécité morale. Accepter la décision du procureur constituera un crime historique indélébile».

«La décision du procureur de la CPI est une honte»

Allié indéfectible d’Israël, Washington, qui a fait l’éloge de Karim Khan en demandant un mandat d’arrêt contre le président russe, Vladimir Poutine, dans l’affaire de l’Ukraine, s’est montré très critique à l’égard de la CPI et est allé jusqu’à dire qu’elle «n’a aucune autorité sur Tel-Aviv». Des médias américains ont même annoncé que le Congrès, sous la pression israélienne, «tente de faire adopter une loi en urgence afin que des sanctions soient imposées au procureur de la CPI».

Le sénateur républicain Lindsey Graham a qualifié la décision du procureur d’«honteuse», précisant qu’elle «constitue une gifle pour le système judiciaire indépendant en Israël», avant de mettre en garde : «Je travaillerai avec mes collègues du Congrès pour imposer des sanctions sévères à la CPI.» Un autre sénateur du camp républicain, le sioniste Lindsey Graham, qui avait estimé que «la décision du tribunal d’émettre un mandat d’arrêt contre Poutine constitue un pas de géant dans la bonne direction pour la communauté internationale», a affirmé, lorsqu’il s’est agi de Netanyahu et de Gallant, que lui aussi travaillera avec ses collègues «pour imposer des sanctions sévères à la CPI».

Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. «Washington rejette l’annonce du procureur. Sa décision pourrait empêcher les efforts pour un accord de libération des otages et un cessez-le-feu à Ghaza. Mettre le Hamas et Israël sur un pied d’égalité est une honte.» Pour lui, «la CPI n’a pas d’autorité sur Israël». Lui emboîtant le pas, le Maison-Blanche a déclaré que «la demande des mandats d’arrêt est une honte.

C’est ridicule de comparer le  Hamas et Israël (...) Nous ne pensons pas que la CPI ait la compétence sur les faits». Le président du Congrès, Mike Johnson, a quant à lui déclaré que «l’annonce de la CPI doit être confrontée à une condamnation internationale», avant de conclure que la CPI «n’a aucune autorité sur Israël».

Berlin et Londres, les deux autres alliés indéfectibles de l’Etat hébreu, ont soutenu ce dernier. Le premier en jugeant «scandaleuse» la demande des mandats d’arrêt, puis en précisant que la CPI «devra évaluer des faits très différents» en raison, dit-il, de l’attaque du Hamas.

Le deuxième, par la voix de son ministre de la Défense, a affirmé que la décision du procureur «n’aura pas d’influence sur la poursuite de la livraison de nos armes à Israël», expliquant : «Nous soutenons Israël comme Etat et non pas en tant que personne.» Selon le bureau du Premier ministre britannique, «les mandats d’arrêt sont inutiles, n’apportent rien et n’aideront pas à une cessation des combats».

En dehors de ces trois alliés, le reste des réactions font état de soutien aux demandes du procureur. D’abord, celle du ministère des Affaires étrangères belge qui, dans un communiqué, a déclaré : «Le procureur a fait un pas important dans l’enquête sur la situation en Palestine. Il faut poursuivre les responsables pour les crimes commis à Ghaza au plus haut niveau, quelles que soient les responsabilités de chacun.»

Dans le même sens, le chef de la diplomatie irlandaise a estimé qu’il est «important de respecter l’indépendance de la CPI et sa neutralité», avant de dénoncer «les menaces contre ses dirigeants de la juridiction» et considérer «nécessaire» le «rôle» qu’elle joue «dans l’interdiction de l’impunité».

Le chef de la diplomatie européenne, Joseph Borell, a lui aussi affirmé que la CPI «est une institution internationale indépendante» et que «les Etats qui ont ratifié sa charte sont dans l’obligation d’exécuter ses décisions». Le haut commissaire des droits de l’homme en Palestine a qualifié la demande du procureur de la CPI de «pas vers la bonne direction, un pas un peu tardif mais bénéfique.

La Cour doit traiter la question des otages et que tous respectent la procédure de la CPI». Pour sa part, le Quai d’Orsay a, dans un communiqué, exprimé son soutien à la CPI, à son indépendance et sa lutte contre l’impunité dans tous les cas, alors que l’Afrique du Sud a «salué» la demande du procureur et l’Espagne a appelé «au respect des décisions» de la CPI et plaidé pour que la «Cour puisse exécuter ses décisions sans entraves». 

 

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