Maître Nacer-Eddine Lezzar, ancien vice- président du TAS Algérie : «Force majeure, une hérésie juridique»

08/05/2024 mis à jour: 02:38
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Photo : D. R.
  • Me Lezzar, vous êtes intervenu dans nos colonnes, dans deux éditions, depuis l’éclatement de ce qui semble devenir une véritable crise du football en Afrique et a ses répercussions au-delà du continent universelles puisque l’affaire est actuellement au niveau du TAS qui a interrogé la CAF sur les raisons de sa décision, celui-ci a invoqué la force majeure. Qu’en pensez-vous ?

Ces passages laconiques ne sont pas explicites et je saisis mal le raisonnement de la CAF.  Ainsi, la force majeure permet au débiteur d’une obligation contractuelle de justifier une inexécution du contrat, en raison de la survenance d’un événement échappant à son contrôle, imprévisible et irrésistible : absence de contrôle : cela signifie que le débiteur n’a pas de prise sur l’événement. Il me semble que la CAF décidé d’octroyer les trois points à la RS Berkane, en justifiant la décision de celui-ci de ne pas jouer le match par un cas de force majeure qui l’en aurait empêché. 

La justification avancée me semble de loin inopérante. Voici les éléments constitutifs ou les conditions qui doivent être réunies pour qu’un fait soit considéré comme une force majeure qui dispense une personne d’exécuter une obligation à laquelle elle est soumise et aussi l’exonère de toute responsabilité. La force majeure est un événement qui remplit l’ensemble des trois caractéristiques suivantes :

1- Ne peut pas être prévu (imprévisible)
2- Ne peut pas être surmonté (irrésistible)
3- Fait extérieur échappant au contrôle de la personne concernée.
La CAF semble justifier la l’impossibilité de la RS Berkane de disposer de son maillot pour jouer le match est une force majeure. Nous allons confronter cet évènement/obstacle avec les conditions juridiques requises pour constituer une force majeure.

1- L’imprévisibilité : le refus d’acceptation d’un maillot, avant une compétition, par l’équipe adverse ou par les arbitres est un fait totalement prévisible et de surcroît, il est prévu par les règlements du football.

C’est pour parer à l’éventualité de refus d’un maillot que la réglementation du football fait obligation à toute équipe qui se déplace, pour un match, de prévoir deux tenues différentes, au cas où l’une d’elles est refusée pour une raison ou une autre.

D’ailleurs, le refus du maillot «floqué» de la RS Berkane n’était pas seulement prévisible mais d’une forte probabilité, vu le caractère manifestement antiréglementaire. Je ne souhaite pas entrer dans un procès d’intention mais je m’aventure à soutenir que c’est parce qu’elle pressentait cela que la RS Berkane a pris la précaution de demander l’homologation «factice» par la CAF et c’est aussi pour créer le blocage qu’elle n’a pas prévu un maillot de substitution. 

2-L’irrésistibilité : qui ne peut être surmonté. Or en l’espèce, cet évènement/obstacle aurait été surmonté si la RS Berkane s’était conformée à la réglementation et avait ramené un maillot de substitution. De surcroît, il faut préciser que cet évènement/obstacle a été surmonté par la FAF qui avait préparé pour tous les joueurs de la RS Berkane une tenue identique extirpée de l’insigne litigieux. Ainsi cet évènement a été surmonté. 

Fait extérieur échappant au contrôle de la personne concernée : l’absence du maillot n’est pas extérieure à la RS- Berkane. C’est Berkane qui a pris la décision de venir avec un maillot anti-réglementaire et n’a pas prévu un maillot de substitution et refusé de jouer avec un maillot totalement identique fourni gracieusement par la FAF. 

Enfin, je dois préciser que les trois conditions sont cumulatives, c’est alors qu’elles doivent être réunies en même temps. Concrètement, si un des trois éléments, même en cas de réunion des deux autres, l’événement en question n’est plus une force majeure.

  • On soutient ici et là que la douane n’était pas en droit de saisir le maillot en question et, par conséquent, elle est à l’origine de la crise. Qu’en pensez-vous ?

Oui, il y a un petit jeu de mots qui consisterait à dire que c’est la saisie par la douane qui est à l’origine de l’indisponibilité de la tenue est une force majeure.  Mais le raisonnement tenu ci-dessus ne change pas car même cette saisie était prévisible, vu le caractère anti-réglementaire du maillot, elle aurait pu être surmontée par une tenue de substitution qui est règlementairement obligatoire, et a été surmontée par la tenue de substitution offerte par la FAF.

  • Mais si la faute incombe aux douanes algériennes, pourquoi pénaliser l’USMA par un forfait ?

En effet ! La force majeure étant un fait extérieur indépendant de la volonté de l’USMA et de la RS Berkane, il est totalement injuste que l’USMA assume la responsabilité d’un acte qu’elle n’a pas pris. Les conséquences d’une «force majeure», indépendante des parties, doivent être reparties équitablement entre celles-ci. La CAF aurait été bien avisée d’ordonner que le match soit rejoué avec ou sans le maillot litigieux.

  • On reproche à la partie algérienne d’avoir politisé en s’étant opposée à l’utilisation d’un maillot intégrant le Sahara occidental dans le territoire marocain. Qu’en pensez-vous ?

Le problème n’est pas d’ordre politique mais règlementaire. La RSBerkane n’a pas le droit de porter un maillot d’un territoire, point barre. Qu’il représente le Sahara, l’entité sioniste ou le Guatemala, il n y a pas lieu d’entrer dans les supputations politiques.  M.-F. G. 
 

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