Très peu de réformes ont concerné l’Université algérienne ces deux dernières décennies, la plus significative étant celle de l’introduction du système LMD (licence-mastère- doctorat), qui a fait ses preuves dans beaucoup de pays étrangers. Mais ce dispositif n’a pas été l’objet d’évaluation exhaustive et profonde afin d’apprécier son impact sur la qualité de l’enseignement prodigué et surtout sur le marché du travail.
Seuls deux correctifs ont été apportés au système LMD, l’un en 2008, l’autre en 2015. En outre, l’université est toujours restée fermée à l’investissement privé. Outre la qualité de l’enseignement supérieur, ce qui a fini par poser problème, c’est le nombre de diplômés sans emploi alors que la formation universitaire est censée être en phase avec les exigences du marché du travail. Des dizaines de milliers d’universitaires sont au chômage ou occupent des postes ne nécessitant pas de qualification importante. Un scandale national. Aussi, le moment est venu de prendre le taureau par les cornes en faisant une radioscopie totale et globale du système, qui servira à l’élaboration d’une nouvelle politique.
Le gouvernement a retenu cette démarche lors du dernier Conseil des ministres. Le ministre de l’Enseignement supérieur, M. Baddari, a explicité les mesures préconisées dans une intervention à la Radio Chaîne 3. Il s’agira d’abord de mettre en place de la concertation. Des rencontres devront se tenir avec les différents acteurs universitaires et des représentants des élèves du cycle secondaire et des parents d’élèves. Des débats concerneront la réorganisation des domaines de formation, la double licence et l’extension de la formation en licence à quatre années. S’agissant de la double licence dans certaines spécialités connexes, il s’agira de permettre aux bacheliers de poursuivre deux cursus universitaires au cours de la même période pour obtenir deux diplômes qui appuient leur implication dans la vie socioéconomique. Les domaines de formation seront réduits de 15 actuellement à 5 afin de permettre au nouveau bachelier de s’intégrer dans un premier temps à l’environnement universitaire, et de se familiariser avec les spécialités au cours de la première année universitaire. Le choix sera plus aisé. Le ministre précisera que la réforme intégrera la révision quantitative et qualitative du système des œuvres universitaires et concernera l’ouverture du secteur aux universités privées, suivant les standards internationaux, notamment en termes d’infrastructures, avec possibilité de financements bancaires pour leur réalisation. Il y aura également une nomenclature des spécialités scientifiques pour l’équivalence des diplômes des universités étrangères pour les diplômés algériens. Cela permettra de faciliter le retour des compétences sur le sol algérien et de faire bénéficier à leurs étudiants la formation supérieure qu’ils ont acquise et leur expérience. Les rencontres initiées par le ministère de l’Enseignement supérieur seront suivies par une conférence nationale dont les conclusions seront soumises au gouvernement.
S’agissant de la recherche scientifique, M. Baddari a évoqué la création d’établissements mixtes entre les centres de recherche et les entreprises économiques, aussi bien publiques que privées. 68 filiales d’entreprises économiques ont déjà été créées au niveau des établissements de recherche et 41 bureaux d’études ont vu le jour au niveau des écoles supérieures.
Pour ce qui est de la digitalisation du secteur, le ministre a souligné que ses services «poursuivent la numérisation à travers la réalisation de 42 plateformes numériques dédiées aux opérations pédagogiques, auxquelles s’ajoutent quatre plateformes dédiées aux œuvres universitaires», outre l’utilisation de la signature électronique.
Concernant le développement de l’entrepreneuriat, le ministre a fait savoir que 11 450 projets sont éligibles au statut de start-up, et 15% des sujets des thèses de doctorat qui seront soutenues cette année concernent le domaine de l’innovation. M. Baddari a fait aussi savoir que les porteurs d’idées de projets de start-up de la promotion de juin 2023 bénéficieront d’un financement par le fonds national pour le financement des start-up.
Au sujet de l’ouverture d’universités privées, évoquée pour la première fois au niveau d’un Conseil des ministres, M. Baddari a annoncé l’élaboration de trois cahiers des charges relatifs à la création d’une université privée, d’un institut privé et d’une école supérieure privée. Ce sera la fin d’un tabou, celui de l’université uniquement publique alors que dans le monde entier le secteur privé y est impliqué, avec d’excellents résultats. C’est peut-être aussi une des raisons de la faiblesse des universités algériennes, seule une trentaine figurent parmi les 500 meilleures universités dans le monde. Il faut savoir que malgré les limites du système LMD et les insuffisances dans le fonctionnement des universités, celles-ci ont pu réaliser des progrès ces dernières années. Citons les universités de Béjaïa, Tizi Ouzou, Tlemcen et autres. L’université d’El Oued possède à son actif 100 brevets d’invention inscrits à l’Institut national algérien de la propriété industrielle (Inapi) entre 2021 et 2023, selon le rectorat de l’université, qui précise que le nombre des brevets atteindra 150 en juin prochain. Quant à l’université de Mostaganem, elle a enregistré, durant l’année en cours, 273 projets de thèse pour l’obtention d’un diplôme de start-up, selon la direction de cet établissement d’enseignement supérieur. Mais un des problèmes cruciaux au niveau de l’enseignement supérieur réside dans le recrutement direct des titulaires de magistère. Récemment, l’Union nationale des docteurs et chercheurs algériens (UDNCA) a organisé des actions de protestation, en expliquant que les détenteurs d’un doctorat et d’un magistère sont titulaires de postes reconnus par la loi et obtenus suite à un concours national après que les universités aient exprimé leurs besoins en matière d’enseignants-chercheurs. Cette corporation demande ainsi l’application du décret exécutif 98-254 relatif à la formation doctorale, à la post-graduation spécialisée et à l’habilitation universitaire, qui leur confère le droit au recrutement direct. A l’université de Tizi Ouzou, a été signée une pétition d’enseignants en soutien aux étudiants et titulaires de doctorat et de magistère dans leur revendication au droit au recrutement direct. Ils estiment que le recrutement des titulaires de doctorat et de magistère est la solution idoine pour mettre fin au déficit d’encadrement, dont souffrent les universités. La solution, disent-ils, passe par la récupération de leurs postes et le recrutement direct dans les universités et centres de recherche.
A ce propos, le ministre de l’Enseignement supérieur, recevant des représentants de titulaires d’un doctorat et d’un magistère, a déclaré que «le recrutement direct des titulaires d’un doctorat et d’un magistère n’est pas du ressort du ministère de l’Enseignement supérieur, qui, cependant, tente de trouver des solutions en fonction de ses capacités et veille à l’accompagnement des diplômés de son secteur». Les solutions que le ministère propose sont l’organisation de concours, la création d’unités de recherche dans les entreprises économiques, comme Sonatrach, la mise en œuvre de la note interministérielle pour le recrutement des enseignants-chercheurs dans les différents établissements et entreprises, via le dispositif d’accompagnement à l’insertion et de formation à l’emploi (Daife) et de la contractualisation partielle des chercheurs. Les représentants des titulaires de doctorat et de magistère ont exprimé leur attachement à l’application du décret 98/254 relatif à la formation doctorale, à la post-graduation spécialisée et à l’habilitation universitaire, qui leur confère le droit au recrutement direct, en raison du «manque flagrant d’encadrement pédagogique». Ce sont donc de lourds dossiers qui attendent le gouvernement et les milieux universitaires.