L’interprète de la çan’a, Beihdja Rahal, met dans le bac son 28e opus : «La poésie arabo-andalouse me fascine»

02/11/2022 mis à jour: 07:46
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Beihdja Rahal

Avant tout, mettez-nous au parfum de votre dernier opus… 

Cet album a été réalisé en partenariat avec YG Events, au studio Crescendo à Alger, avec les musiciens qui m’accompagnent depuis plus d’une vingtaine d’années, dont Nadji Hamma, Amine Belouni, Djamel Kebladj et Abdelhadi Boukoura. L’album est accompagné d’un livret comportant toute la poésie chantée en arabe et sa traduction en français, réalisé par Racim Bekhechi. C’est une combinaison entre deux modes qui se fait suivant les recueils et références dans ce domaine. J’ai interprété un mceddar Kayfa yatibou, un btaihi Kawani l’biâd, un derdj Ladali chourbou el ’âchiya, un premier nesraf Youdaradjou dardj el hamamate, un deuxième nesraf Min houbi had el ghazala’, un khlass Amchi yarassoul et Rabbi yamoudjîb’. J’ai entamé le chant par un tchambar et ‘Ya qalbi khalîl ’hal. Il est distribué par les éditions Ostowana à Chéraga.

Envisagez-vous, comme de tradition, d’effectuer une tournée pour faire connaître votre «dernier-né» ?

Oui, il est prévu d’organiser une tournée pour le présenter au public dans plusieurs régions d’Algérie. Avec YG Events, nous allons le présenter également en Europe, en France dans un premier temps.

Certains observateurs du monde de la musique çan’a disent que vous êtes la première dame algérienne à avoir enregistré deux séries de noubate dans les différents modes. Cette initiative est-elle dictée par votre désir d’imprimer une dimension nouvelle à la musique andalouse ou juste vous affirmer en tant que cantatrice dans la tradition de la musique çan’a ?

Oui, on dit que je suis la première voix féminine à avoir enregistré deux séries de noubate, j’en suis honorée. Depuis quelques années, j’enregistre dans le but de transmettre ce que m’ont transmis mes maîtres et pourquoi pas laisser mon empreinte. C’est pour cette raison que je suis à mon 28e album. C’est un patrimoine à transmission oral, nous avons l’obligation de le préserver et de le sauvegarder. Je ne souhaite pas changer ou modifier ce legs ancestral mais juste donner une autre manière de le présenter à la jeune génération.

Ce qui a conduit Beihdja Rahal à développer sa propre manière d’enseigner, non ?

Je suis diplômée de l’Ecole normale supérieure de Kouba dans les années 1980, j’ai développé ma propre méthode d’enseignement pour former les enfants et les élèves qui ont rejoint notre association musicale Rythme harmonie à Paris depuis 2008. Maintenant qu’internet et les réseaux sociaux existent, on peut en profiter pour diffuser et faire découvrir notre musique à un large public dans le monde. Il m’arrive de plus en plus souvent d’assurer des cours en visioconférence.

Vous avez partagé dans le passé votre passion musicale en fusionnant avec des orchestres européens. Comment résumez-vous cette expérience ?

J’ai chanté avec Radio Tarifa, avec un quatuor italien, avec Albert Recasens, un chef d’orchestre qui travaille sur la musique espagnole du XVe siècle. J’ai chanté avec Jean Martin, un grand guitariste de flamenco… J’ai chanté en étant aussi accompagnée d’orchestres philarmoniques de plusieurs villes de France et c’est à chaque fois, une très belle expérience que je partage avec des musiciens et chanteurs étrangers sur scène. Je fais ces fusions dans le but de faire découvrir notre musique à un public qui ne la connaît pas. J’insiste sur ça, car ce sont des expériences qui permettent à notre musique andalouse d’être à l’honneur, particulièrement  la nouba.

Vous avez cette propension à pénétrer le muwashâh et la poésie du monde merveilleux d’Al-Andalus, en témoignent d’ailleurs vos deux ouvrages parus :  La Plume, la voix et le plectre et La joie des âmes dans la splendeur des paradis andalous. Hormis la poétesse Wellada, y a-t-il d’autres poètes qui vous inspirent et que vous tenez à porter sur la scène musicale andalouse ?

Avant la parution de ces deux ouvrages en 2008 et en 2010, il y a eu l’album cha’ryate édité en 2007 dans lequel je chante trois poétesses andalouses. Parmi elles, la princesse Wallada bintou Al-Moustakfi. C’est à partir de là que j’ai encore davantage pénétré ce monde merveilleux de la poésie arabo-andalouse et que j’ai souhaité le partager avec le public. Il y a d’autres poètes qui me fascinent, tel Ibn Al-Khatib qui était médecin, écrivain, philosophe… Imaginez qu’à cette époque, grande civilisation, les poètes étaient de grands érudits et c’est grâce à eux que nous avons hérité de ce patrimoine que nous chérissons tant. Je pense à Ibn-Khaldoun ou à Ibn Zumruk, ils sont nombreux et beaucoup m’inspirent.

Une dernière question : vous abhorrez qu’on vous colle l’attribut «diva» que vous qualifiez comme un fourre-tout paresseux pour journaliste pressé de «pondre» son papier. Est-ce vrai ? Et pourquoi ?

(Rire)… Quand on parle de diva, je pense à l’Italie, à l’opéra, à une déesse, on n’en est pas là ! Pourquoi donc,  notre musique à de l’opéra alors qu’elle est particulière. Elle est singulière par sa transmission orale et traditionnelle. Je préfère qu’on m’appelle «interprète de la nouba çanaa», car je ne fais qu’interpréter, fidèlement, un patrimoine qui nous est parvenu depuis des siècles. Les grands chefs d’orchestre européens ne font que jouer des symphonies et pièces musicales de grands compositeurs sans rien toucher ou modifier et c’est toujours majestueux. Notre musique est aussi majestueuse, alors préservons-la.

F.-B. H.
 

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