Liberté et patriotisme

23/02/2022 mis à jour: 02:05
1980

L’on ne sait pas quelle sera la destinée d’El Watan dans un, deux ou trois mois, peut-être moins de temps qu’espéré, mais ce que nous pouvons vous confirmer, chers lecteurs, c’est que depuis la dernière alerte qui avait ébranlé bien des certitudes sur la situation très critique du journal au plan des équilibres financiers, celle-ci n’a fait qu’empirer pour atteindre aujourd’hui un degré d’enlisement menaçant gravement les chances de survie de la publication. 

Cette descente aux enfers n’a pas surpris les gestionnaires de l’entreprise, qui, malgré les efforts louables opérés pour essayer de redresser la barre, durent s’avouer désarmés face à l’implacable logique économique qui pousse tout droit vers l’effondrement quand la courbe des recettes n’arrive pas à compenser celle des dépenses. Quand, en fait, pour faire plus simple, le résultat des ventes arrive à couvrir le tiers à peine du budget global de fonctionnement. 
sur le fil du rasoir

Dans cette optique, El Watan a vécu pendant des années sur le fil du rasoir en s’astreignant aux règles d’austérité les plus drastiques pour sauver l’essentiel, à savoir la sortie quoi qu’il en coûte du quotidien, sachant que la perspective restait toujours aléatoire, avec ce stress permanent de mobiliser le moindre centime, là où il se trouve, pour honorer tous les engagements financiers, notamment les salaires des 145 travailleurs (rédaction, technique, administration) qui assurent la fabrication du journal et auxquels il faut rendre un hommage à la mesure des sacrifices consentis. 

Si la politique d’austérité s’avérait plus qu’indispensable pour éviter la disparition pure et simple du journal, elle ne pouvait cependant résister longtemps encore à une loi du marché inique pervertie par le pouvoir qui le pénalise fortement en ne favorisant pas paradoxalement le produit médiatique le plus fiable, autrement dit le plus concurrentiel. 

C’est en effet sidérant de voir le quotidien national considéré comme étant parmi les plus élaborés, parmi les plus performants, en plus d’être le plus grand tirage, se retrouver dans un tel état de décompression économique alors que la qualité et la rigueur de son travail et le professionnalisme de son potentiel opérant devraient le destiner à un rayonnement beaucoup plus cohérent, en tout cas à une meilleure finalité commerciale si les normes économiques les plus élémentaires étaient respectées. 

Cela pour dire, ou simplement rappeler que cette fatalité économique qui frappe aujourd’hui de plein fouet El Watan n’est en aucun cas due à une quelconque défaillance professionnelle ou à une démobilisation de l’entreprise, mais relève bien de facteurs exogènes qui sont connus de tout le monde. 

Alors que l’essentiel de la publicité émanait du secteur privé, en 2014 le pouvoir en place a décidé d’influencer par la menace et la coercition fiscale des entreprises privées liées par des contrats de publicité avec El Watan, y compris des sociétés étrangères. 

La direction du quotidien n’a eu de cesse de dénoncer le scandaleux chantage auquel elle est soumise à propos de sa ligne éditoriale et qui lui coûte d’être blacklistée durant des années sur la publicité étatique gérée par l’ANEP, autrement dit sur l’élément de régulation économique le plus déterminant, pendant que la grande majorité des titres, du plus zélé au plus insignifiant, est assurée d’avoir confortablement son quota de pages qui lui garantit pérennité et plus... Tout récemment, en revenant sur les problèmes de la presse lors de sa rencontre habituelle avec les journalistes, le premier magistrat a déclaré que pour les besoins de la liberté d’expression, l’Etat va jusqu’à éviter de faire pression économiquement sur les titres en fermant les yeux sur les factures d’impression impayées. Il confirme ainsi qu’en plus d’avoir l’argent de la pub étatique, ces journaux ne s’acquittent pas des créances de leurs tirages dans les imprimeries publiques. 

Étranglement programmé

Du tout bénef pour les uns, étranglement programmé pour les autres si tant est que la privation planifiée de la pub ne peut être considérée que comme une coercition économique répondant à des objectifs clairs. Mais pourquoi tourner autour du pot alors que la manœuvre est d’abord de nature politique avec une caractéristique répressive. 
El Watan est parmi ceux qui subissent le plus violemment cette forme de représailles en raison de son contenu éditorial qui ne convient pas aux discours officiels.

Notre journal ne fait pas, en ce sens, dans l’originalité, encore moins dans l’exclusivité. Depuis sa création, il y a 30 ans, dans l’euphorie de l’ouverture démocratique, il s’est positionné comme organe défendant les valeurs fondamentales du processus démocratique, privilégiant la liberté d’expression en s’ouvrant à la diversité d’opinions, mais en se gardant d’être un journal d’opposition, une fonction qui appartient aux partis politiques. Cette posture lui a valu de tout temps de la part du pouvoir politique une proscription multiforme sans concession, l’obligeant à résister en s’adaptant à chaque fois aux conjonctures sans jamais dévier de ses principes qui donnent un sens à son existence. 

Régression de la liberté de la presse

Avec le phénomène dramatique de régression de la liberté de presse et des libertés tout court, dénoncée par la majorité des Algériens, le ciblage d’El Watan a pris encore plus d’ampleur, au même titre que tous les partis politiques et associations qui ont à cœur de revendiquer un projet démocratique et une société de droit. Il paye donc son positionnement strictement intellectuel et professionnel (et non politique ni idéologique) alors que les lois de la République protègent sa liberté de ton, voire sa propension à incarner en toute humilité le contre-pouvoir médiatique si vital pour la construction de la démocratie. Il a fini aussi par prendre conscience que ce type d’espace libre d’expression, orienté exclusivement vers la critique objective, a de moins en moins sa place dans notre société.

Face à une adversité féroce, faut-il pour autant se résigner ? 

Dans la mouvance de la résistance populaire dictée par une réelle inclinaison patriotique, la seule note d’espoir qui a transcendé dans ce décor ombrageux nous est venue de la fidélité de nos lecteurs et de leur magnifique élan de soutien et de solidarité à l’annonce des grosses difficultés qu’endure leur quotidien. Ce sont donc nos lecteurs qui restent les précieux alliés d’une aventure médiatique ne devant pas s’arrêter brusquement alors qu’il y a encore tant à faire pour notre pays. 

Et dans cette perspective, nos amis sauront par eux-mêmes que les 10 da supplémentaires qui leur seront demandés à partir du 1er mars ne sont pas un impératif de profit mais réellement un bol d’oxygène pour aérer la trésorerie. 

Mille mercis d’avance pour votre compréhension.  E. W.

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