L’histoire de l’officine algérienne

18/09/2023 mis à jour: 08:03
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Photo : D. R.

L’officine algérienne a une histoire qui mérite d’être connue afin de pouvoir apprécier la longue et laborieuse trajectoire de son évolution avant d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Ce serait un travail fort intéressant qui pourrait faire l’objet d’une étude suivie d’une publication. Par cette contribution, je n’ai pas la prétention d’écrire cette histoire mais juste rendre un hommage à l’officine algérienne au lendemain du 5 Juillet, date anniversaire de notre indépendance et point de départ de tout le système de santé algérien.

Par Ahmed Benfares (*)

Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie s’est retrouvée face à de nombreux défis. La transition devait se faire sans qu’il y ait interruption des services dans la vie des Algériens. Parmi ces défis à relever, il y avait l’organisation du système de santé avec les moyens existants, la pharmacie de ville faisant partie du système de santé allait être elle aussi l’objet de l’intérêt des pouvoir publics.

Dans cette conjoncture où l’offre en structures et en ressources humaines est très insuffisante, l’Algérie a fait le choix de prioriser la médecine préventive et d’organiser un système de santé en mesure d’offrir un minimum de soin à la population.

Les inégalités sociales induites par le système colonial ont fait que les pharmacies existantes, comme la plupart des structures de santé, étaient concentrées dans les grandes villes et le littoral, le reste du pays était complètement démuni. Les pharmaciens de l’époque étaient dans la quasi-totalité d’origine européenne, ils ont presque tous quitté le pays à l’indépendance. Certaines sources avancent qu’il n’y avait que 70 pharmaciens algériens à l’indépendance et une vingtaine d’autres d’origine européenne.

Ne disposant pas d’assez de pharmaciens pour reprendre les pharmacies abandonnées et pour doter les autres zones où il n’y en avait pas, l’Etat a eu recours aux agences PCA (Pharmacie centrale algérienne) qui sont devenues par la suite Endimed (Entreprise nationale de distribution des médicaments au détail), dans lesquelles activaient de simples agents dont certains s’étaient formés dans les pharmacies des Européens. Leur rôle devait se limiter à la délivrance de médicaments aux citoyens sans, bien entendu, la valeur ajoutée de la dispensation par le pharmacien.

Si le recours aux agences a été indispensable dans un premier temps, il a été néanmoins préjudiciable à la fonction du pharmacien dans l’esprit général, puisque le rôle de délivrance a pu être assuré par de simples agents. Le préjudice à la fonction est aussi dans le fait qu’avec le temps, ces agents se sont attribué des prérogatives qui ne leur appartiennent pas dans le conseil et la médication. La profession de pharmacien a connu alors une certaine banalisation qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Il n’est pas évident de rétablir la situation si notre système de santé ne passe pas le cap en révolutionnant les missions de la pharmacie de ville.

Ces agences qui ont permis de donner une solution à la difficulté du moment sont l’objet de contestations de la part des pharmaciens et de leurs organisations professionnelles. En effet, elles n’ont plus de raison d’être, puisque le problème de la couverture par des pharmaciens universitaires est actuellement plus qu’assurée par pas moins de 12 500 officines à travers le territoire national. Les agences sont, selon certaines sources, au nombre de 800 à travers le territoire national.

Découvrir l’itinéraire de la pharmacie d’officine est important dans la mesure où les évolutions de cette dernière reflètent la disponibilité du médicament pour les citoyens et la manière dont ce médicament est délivré. En effet, les différentes politiques de santé publique, les politiques de formation universitaire, ainsi que les fluctuations de l’économie nationale, ont impacté l’évolution de l’officine que ce soit sur le nombre de ces pharmacies que sur la qualité des prestations en matière de disponibilité des médicaments.  Un des défis de l’Algérie indépendante a été donc la formation universitaire pour combler le vide existant en matière de cadres nationaux.

L’Université algérienne a commencé à former des pharmaciens de haut niveau, quelques dizaines au début des années 1960, puis une centaine au début des années 1970 pour dépasser le millier par an ces dernières années.

Si les premières promotions n’ont pas eu trop de difficulté à s’installer et couvrir partiellement les besoins, il n’en a pas été ainsi pour les suivantes.

Même si la couverture nationale n’était pas assurée en pharmaciens d’officine, il n’était pas évident de pouvoir s’installer en privé dans les années 70 et début 80.

Le système politique socialiste de l’époque n’était pas en faveur du secteur privé et ce n’était que quelques rares privilégies comme les enfants de chouhada qui accédaient systématiquement à l’officine. Pour les autres, les postes étaient ouverts avec parcimonie. D’autres difficultés s’imposaient aux officinaux des années 1970 et 1980. En effet, le secteur privé était désavantagé par rapport aux agences Endimed  pour ce qui concerne les dotations en médicaments. L’Etat détenait le monopole de l’importation, de la production et de la distribution, ses faveurs allaient vers le secteur étatique, c’est-à-dire les agences Endimed .

Le service civil de cinq années était généralisé pour tout le corps médical, compris les pharmaciens qui devaient s’acquitter auparavant de deux années de service militaire pour ce qui concerne les garçons.

La médecine gratuite instaurée en 1974 permettait l’accès gratuit aux médicaments. Elle réduisait d’une certaine manière les ambitions du pharmacien ne lui laissant que les prescriptions des rares médecins du secteur privé. C’était une période très dure pour le pharmacien d’officine sur le plan des revenus.

Avec la libéralisation du système économique de la fin des années 1980, les installations ont augmenté à partir de 1993, date de l’émission de l’arrêté ministériel qui instaure le numerus clausus fixant ainsi le nombre des ouvertures d’officine à 1 pour 5000 habitants pour les villes de plus de 50 000 habitants et 1 pour 4500 habitants pour les villes de moins de 5000 habitants.

La distance entre deux pharmacies devant être d’au moins 200 mètres. Cette libéralisation a engendré une autre organisation du fonctionnement de la pharmacie. Le monopole d’Etat levé, des opérateurs ont pris en charge l’importation et la distribution qui s’est développée avec le temps pour assurer plusieurs livraisons par jour dans les endroits les plus reculés. Ce système, bien que présentant des insuffisances, a soulagé le pharmacien du fardeau de l’approvisionnement qu’il devait assurer par ses propres moyens.

La formation n’a pas pour autant suivi les conditions imposées par le numerus clausus et le nombre de pharmaciens continuait et continue encore d’augmenter pour dépasser largement les possibilités d’insertion des nouveaux diplômés.

A ce titre, la règlementation a été contournée à plusieurs reprises en particulier avec la circulaire ministérielle 003 du 5 novembre 2005 qui autorise l’installation d’officines dans les zones dites enclavées et que seuls les DSP (Directeur de santé et de la population) étaient autorisés à déterminer.

Si cette circulaire a trouvé un intérêt réel en dotant de pharmacies les grands centres d’habitations nés avec le mode de développement urbain décidé par l’Etat, elle a été différemment exploitée par les DSP parfois avec abus, ce qui a provoqué au niveau de certaines wilayas une explosion des ouvertures d’officines créant ainsi un vrai malaise sinon une crise dans la relation entre les DSP et les organisations professionnelles, Ordre et Syndicat.

Ce n’est qu’en 2015 qu’une solution relativement efficace a été proposée avec la création des commissions mixtes de wilaya pour les ouvertures de pharmacies constituées par un représentant de l’administration, un représentant du Conseil de l’ordre des pharmaciens et un du SNAPO (Syndicat national algérien des pharmaciens d’officines). Il devient difficile à ce moment d’aller contre la réglementation.

La formation de pharmaciens à destination de l’officine (puisque les autres filières professionnelles ne recrutent que peu) continue à ne pas être régulée en fonction de la carte sanitaire des officines. Cette pléthore de pharmaciens «chômeurs» candidats à l’installation a exercé une pression sur les pouvoirs publics lesquels, à maintes reprises ont menacé et menacent encore de sauter le numerus clausus pour donner une solution provisoire au problème du chômage au risque de clochardiser une profession déjà fortement menacée par toutes les difficultés rencontrées.

Dans l’histoire de la pharmacie algérienne on ne peut ignorer la naissance en 1998 du Conseil de l’ordre des pharmaciens et un code de déontologie médicale promulgué en 1992, on ne peut ignorer non plus le travail titanesque accompli par ce même conseil. Le code de déontologie commun aux trois ordres, médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes a fini par mettre partiellement de l’ordre dans une profession livrée quelque peu à elle-même.

Le Conseil de l’ordre est en effet une institution fondamentale dans l’organisation de la profession. Il a eu beaucoup de difficultés pour s’imposer d’abord au regard des confrères ensuite comme interlocuteur des pouvoirs publics. A force de sérieux, de travail et de persévérance, il est aujourd’hui associé à tout ce qui concerne la profession.

Une autre instance et pas des moindres a vu le jour en 1996 pour porter haut et fort les revendications des officinaux : le SNAPO. Il a été et est toujours le moteur de la revendication et de la défense des intérêts des officinaux, sa tâche n’est pas des plus faciles mais ayant gagné du métier au fil du temps, il compte à son actif de nombreuses victoires au profit de l’officine.

L’action syndicale s’est renforcée en 2019 par la naissance du SNPAA (Syndicat national des pharmaciens algériens agréés) qui est en train de s’organiser progressivement tout en œuvrant pour la défense des intérêts des officinaux.

L’officine algérienne continue à faire face à de nombreuses difficultés, la gestion des pénuries de médicaments en est la principale. Cette problématique est devenue une constante au point où elle a ouvert la voie à un phénomène plus grave encore, celui des produits importés frauduleusement, mettant ainsi en péril la santé des citoyens et entachant un peu plus la profession qui se rapproche pour beaucoup de pharmaciens du trabendisme ; ce trafic qui prend de l’ampleur est un coup dur porté à la noblesse du métier.

Malgré ce parcours cahoteux, jalonné par les difficultés, l’officine algérienne a un grand mérite.

Avec un réseau de 12 500 pharmaciens installés, la pharmacie d’officine met à la disposition des citoyens des médicaments et d’autres services dans les coins les plus reculés du pays.

De jeunes pharmaciens, au prix de mille sacrifices, se sont installés partout où vivent les citoyens ; pas un quartier, pas un village n’est dépourvu d’une pharmacie. Ces pharmaciens acceptent de s’installer dans ces lieux retirés pour des revenus qui leur permettent à peine de subvenir à leurs besoins élémentaires. Nombreux sont ceux qui ont fermé, car criblés de dettes, faute de revenus conséquents.

L’officine algérienne a joué un grand rôle dans la prise en charge des malades en adhérant pleinement et unanimement au système Chifa, acceptant tous les aléas de ce système : les retards de paiement des factures, l’acquisition de matériel informatique coûteux et l’embauche de personnel pour traiter le travail supplémentaire engendré par la convention. Ces dépenses ne sont même pas couvertes par les frais administratifs dérisoires payés par la CNAS qui s’élèvent à 5 DA par ordonnance.

L’officinal algérien s’est engagé pleinement dans la réussite de la production nationale en encourageant le générique national et ce, en dépit des pertes évidentes en termes de bénéfice, la marge bénéficiaire étant liée au prix du médicament, les génériques étant en principe moins chers que les princeps.

L’officine algérienne assure un service public non rémunéré en effectuant des gardes de week-end, de jours fériés et de nuit. Au même titre que les autres secteurs de la santé, l’officine algérienne a joué un rôle héroïque dans la lutte contre la Covid-19, pas un seul pharmacien n’a échappé à la maladie, payant un lourd tribut à l’épidémie par la perte de nombreux d’entre eux.

Aucune pharmacie n’a fait défection. L’officinal a offert ses services bénévoles pour la vaccination anti-Covid et a assuré le renouvellement des traitements des malades chroniques quand ces derniers étaient dans l’impossibilité de consulter le médecin traitant. L’officinal algérien s’est mobilisé à chaque catastrophe naturelle en acheminant des tonnes de médicaments sur les lieux des sinistres, démontrant ainsi une solidarité sans faille avec ses concitoyens.

Néanmoins, l’officine algérienne est en retard dans ses services par rapport à de nombreux pays qui ont compris que, pour parfaire le service rendu, il était impossible de garder le pharmacien dans le simple rôle de dispensateur de médicaments. Le pharmacien est un professionnel doté de connaissances importantes, il peut être plus utile encore dans la réussite des thérapies quand il est responsabilisé dans le processus de soin au même titre que le médecin.

C’est ainsi que ces pays lui ont confié l’éducation thérapeutique des patients et les soins pharmaceutiques qui sont un ensemble d’actions à entreprendre en mesure d’assurer la réussite d’un traitement en associant le malade, le médecin et le pharmacien. Ce sera pour l’Algérie notre pharmacie de demain.

Accéder à cette étape sera bénéfique pour le malade qui aura l’accompagnement nécessaire à la compréhension de sa maladie, à l’observance de son traitement et à l’adhésion à une hygiène de vie. Accéder à cette étape sera bénéfique aussi à l’économie de la santé car il y aura moins de gaspillage et moins de complications handicapantes des maladies traitées. Accéder à cette étape profitera également au pharmacien qui valorisera ses connaissances et son statut et améliorera ses revenus qui ne seront plus que ventes-dépendants.

L’officine est une entreprise médicale et économique, comme toute entreprise, son lancement nécessite un investissement coûteux et son fonctionnement revient très cher. Il lui faut donc des revenus conséquents pour assurer sa pérennité. A l’heure actuelle, ces revenus se réduisent de plus en plus avec la baisse des prix des médicaments et l’augmentation des charges de fonctionnement.

Nombreux sont les pharmaciens dans la précarité et tous les acquis de la pharmacie de proximité risquent de disparaître avec la fermeture des pharmacies en difficulté. Il est grand temps de revoir le mode de rémunération qui ne devrait plus être entièrement dépendant du chiffre d’affaires. Ce mode serait plutôt des honoraires versés aux pharmaciens pour les diverses responsabilités qu’ils exercent dans la dispensation des traitements. Ces honoraires seront calculés sur la base d’une nomenclature des actes pharmaceutiques comme cela se passe dans tous les pays modernes.

La pharmacie d’officine est un espace de santé indispensable dans la prise en charge des malades, un lieu convivial dans lequel le malade est reçu à tout moment sans rendez-vous pour recevoir soins et conseils. Cet espace mérite l’attention des responsables pour le développer encore plus en lui accordant plus de missions d’une part et en lui assurant la pérennité en revalorisant ses revenus d’autre part, et ce, en rapport avec les responsabilités assumées.

J’emprunterai pour terminer le slogan de la Fédération algérienne de la pharmacie «Une meilleure pharmacie pour une meilleure santé» A. F.

(*) Président section officine de la Fédération algérienne de pharmacie (FAP)

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