L’extrême droite allemande fustige le mouvement Bauhaus à la veille de son centenaire

15/01/2025 mis à jour: 20:33
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Reprenant certains arguments du régime nazi qui avait qualifié l’école de Dessau d’« art dégénéré », l’AfD estime que le mouvement a propagé une « laideur accablante » en Allemagne.

Sept jeunes étudiants se pressent sur un petit balcon carré devant une façade sobre et rectiligne : la cité universitaire de Dessau, fondée en 1925 à environ cent kilomètres au sud de Berlin, représente un tournant majeur dans l’architecture moderne. Ce bâtiment, conçu par le mouvement Bauhaus, privilégiait des lignes épurées et une approche fonctionnelle qui ont rapidement marqué les esprits. Pourtant, aujourd’hui, cette vision révolutionnaire est au cœur d’une polémique relancée par le parti d’extrême droite AfD, qui critique ouvertement ce courant artistique allemand à l'approche des législatives prévues le 23 février.

Bien que la culture ne figure pas parmi ses priorités, l'AfD, deuxième dans les sondages avec environ 20 % d’intentions de vote, a profité de l'anniversaire prochain du Bauhaus pour soulever le débat. En octobre dernier, le parti a soumis au parlement régional de Saxe-Anhalt une proposition demandant un "examen critique" du Bauhaus, en rejetant toute célébration "simpliste" de son héritage.

Les principes du Bauhaus, apparus après la Première Guerre mondiale, reposent sur une esthétique épurée, fonctionnelle et anti-bourgeoise. Ce mouvement, qui a influencé des disciplines variées comme le design, la peinture et l’urbanisme, fut qualifié d'« art dégénéré » sous le régime nazi. Selon l'AfD, l’une des grandes erreurs du Bauhaus réside dans la banalisation de la "laideur", notamment à travers les "Plattenbau" — ces immeubles préfabriqués gris construits massivement dans l’ex-Allemagne de l’Est à l'époque communiste.

Au parlement de Saxe-Anhalt, le député AfD Hans-Thomas Tillschneider a vivement dénoncé ces bâtiments, décrivant des espaces de vie restreints et oppressifs, synonymes selon lui d'une uniformité culturelle imposée par une idéologie proche du communisme. Le parti critique également la volonté du Bauhaus de promouvoir une esthétique universelle, qu’il perçoit comme une menace pour les particularismes régionaux.

Cette rhétorique n’est pas sans rappeler les attaques des nazis contre le Bauhaus, fermé en 1933 par le régime. Les propos de l'AfD résonnent avec ceux de l'architecte nazi Paul Schultze-Naumburg, qui parlait à l’époque de la "folie de la modernité".

Barbara Steiner, directrice de la fondation Bauhaus de Dessau, considère que les critiques de l'AfD, centrées sur des jugements esthétiques, sont infondées. Elle rappelle que les immeubles préfabriqués, malgré leur apparence sobre, représentaient un progrès pour la population : des logements équipés d'eau chaude, de balcons et dépourvus de fuites étaient alors une avancée considérable.

La politologue Natascha Strobl estime que les attaques de l'AfD ne rencontreront pas un large écho parmi les citoyens, car l'architecture Bauhaus ne suscite plus de rejet dans la société. Selon elle, il s'agit surtout d'une stratégie pour faire parler du parti sans risquer de perdre des électeurs, sachant que le milieu académique et culturel ne lui est déjà pas favorable.

Cette controverse semble toutefois susciter un regain d’intérêt pour l’histoire du Bauhaus. Barbara Steiner observe que les visiteurs de la fondation se montrent de plus en plus curieux des origines du mouvement, mais aussi de son passé trouble. Elle évoque des aspects souvent passés sous silence, notamment le fait qu'environ 200 anciens étudiants du Bauhaus ont adhéré au parti nazi après 1933. Certains ont même collaboré à des projets terribles, comme Fritz Ertl, qui a contribué à la conception du camp d'Auschwitz, ou Herbert Bayer, auteur d’une affiche de propagande représentant un "surhomme" aryen.

L’historienne de l’art Anke Blümm rappelle que le national-socialisme n’a pas rejeté la modernité dans son ensemble. Au contraire, il a su l'exploiter à des fins stratégiques. Pour cette raison, Barbara Steiner prône le dialogue avec les représentants de l'AfD, évoquant des discussions "constructives" avec des membres locaux du parti. Toutefois, elle reste prudente et craint que la polémique ne ressurgisse en septembre, au moment du centenaire du Bauhaus.

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