Les vicissitudes de l’aménagement du territoire : Comment sortir du mal-développement ?

30/05/2022 mis à jour: 06:49
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Les signes de mal-vie, d’étouffement dans notre habitat, de malaise urbain, de difficulté de circuler, de difficulté d’accéder à certains services publics vitaux et d’autres goulots d’étranglement, tardent visiblement à être décryptés et analysés comme des segments «pathologiques» de l’organisation du pays en matière de gestion de son espace, de son habitat, de son économie et de ses ressources naturelles.

Si des études académiques ont traité des grands handicaps grevant l’aménagement du territoire de notre pays - dans ses différentes zones que sont le littoral, les zones de montagne, les Hauts-Plateaux et la Grand Sud -, leur exploitation par l’administration s’est contentée jusqu’ici d’élaborer des législations peu suivies sur le terrain, hormis celle relative à la division administrative du territoire qui fait hausser le nombre de wilayas à 58.

Autrement dit, les grandes orientations du Schéma national de l’aménagement du territoire (SNAT) trouvent mille difficultés à devenir des instruments de gestion quotidienne de la part des Collectivités locales et des directions techniques de la haute administration.

Il n’y a qu’à réfléchir à la carte des zones inondables, donc non constructibles (non ædificandi, en termes de droit) pour se rendre compte de l’écart qu’il y a entre les textes et la réalité. Il en est de même des espaces verts dont les règles (nomenclature des sites, classement, normes,…) sont fixées par une loi datant de 2007.

Plus complexe encore est le grave déséquilibre en matière d’occupation de l’espace, faisant que la zone côtière est trop sollicitée par les ménages pour s’y installer, et les pouvoirs publics, pendant des décennies, n’ont fait que suivre, par leurs programmes d’industrialisation et de développement social et économique tous azimuts, ce mouvement ‘’spontané’’.

Le résultat étant la saturation avérée des territoires du nord - charriant mal-vie, maux sociaux, anarchie urbanistique, pression permanente sur certains produits ou services publics, chômage - et un manque d’intérêt pour de vastes territoires, faisant la surface de certains pays européens, et qui ne demandent qu’à être exploités, investis et promus.

Le Schéma national d’aménagement du territoire, adopté en 2010, est un document issu de la concertation de tous les secteurs d’activité.

L’objectif qui lui est assigné est de stabiliser la répartition spatiale des populations algériennes, des activités agricoles et industrielles selon la vocation des régions, les potentialités des terrains et les contraintes du milieu et ce, à l’horizon 2030. Il s’agira, dans une logique globale, de tendre à harmoniser davantage la relation entre l’homme-citoyen agissant et son milieu naturel.

L’aménagement du territoire est loin de constituer un secteur au sens administratif du mot, c’est-à-dire relevant d’un ministère, même si cet intitulé est affecté à un département ministériel, en l’occurrence le ministère de l’Intérieur dans l’actuel gouvernement.

L’aménagement du territoire, c’est la stratégie de l’État dans son intégralité telle qu’elle est censée s’appliquer à la gestion du territoire et à l’organisation institutionnelle du pays.

On peut dire que c’est un ‘’secteur’’ qui en englobe bien d’autres, genre de sous-secteurs gigognes, configurant des relations aussi bien transversales que hiérarchisées.

Ces secteurs trouvent leur terrain d’application dans l’agriculture, les ressources en eau, la pêche, l’urbanisme, les travaux publics, le transport, l’environnement, l’énergie, etc.

À la phase de maturité, le Schéma d’aménagement du territoire est appelé à servir de ‘’bréviaire’’ à partir duquel seront tirées les grandes orientations qui organiseront le territoire en régions, zones ou milieux selon les activités, les vocations et les schémas urbanistiques qui y auront été arrêtés.

Le Snat est ainsi conçu comme outil de gestion et de prospective pouvant «anticiper les ruptures et les risques pesant sur l’espace algérien en tant que lieu de vie à protéger et à préserver», selon l’‘’exposé des motifs’’ avancé par le ministère de l’Aménagement du territoire lors de l’adoption ce document.

Il est attendu du schéma d’aménagement d’établir et de fixer pour une population algérienne de quelque 50 millions d’habitants en 2030, les grandes orientations spatiales en matière d’investissement et de politique de développement, la localisation des infrastructures de base et des équipements publics, les voies de communication, les ouvrages hydrauliques, les zones à urbaniser, les zones d’expansion touristique, etc.

Répartition déséquilibrée des populations et des activités économiques

Sur un autre plan, le Snat projette également les actions susceptibles de valoriser les espaces spécifiques, ayant une sensibilité exceptionnelle comme les zones littorales, les couloirs steppiques, les zones désertiques, les franges frontalières et les zones de montagne.

Le mal-développement issu du processus de reconstruction nationale, entamé au lendemain de l’indépendance du pays, comporte une distorsion de taille dans la planification spatiale du développement du pays dans la répartition de sa population.

Espace et territoire sont deux concepts qui sont loin de se limiter à une acception géographique physiquement figée. Il s’agit, en fait, de la gestion des ressources contenues dans ses territoires, y compris, bien entendu, le capital foncier.

Si les programmes de développement des années soixante et soixante-dix du siècle dernier étaient ‘’flanqués d’un pendant politique ayant pour nom l’«équilibre régional’’- concept que l’on retrouve dans les textes fondamentaux et législatifs de l’époque-, l’application sur le terrain a rarement suivi.

Lorsqu’elle l’est, c’était pour des considérations politiques et populistes qui avaient très peu de choses à voir avec la dimension scientifique d’un développement durable basé sur l’exploitation rationnelle des ressources.

Le pays, nourrissant une dépendance de plus en plus affirmée par rapport aux hydrocarbures, au détriment de la vocation agricole connue jusqu’au milieu du 20e siècle, s’est finalement laissé griser par la rente pétrolière qui a permis une urbanisation effrénée et anarchique, suivie de pôles industriels autour de certains grandes villes.

Cette situation a drainé des populations de l’arrière-pays montagneux et steppique au point où l’exode rural est devenu une réalité avec laquelle il faudra composer dans tous les autres programmes de développement.

Le bilan, après un soixante ans d’indépendance, établit que la concentration démographique, industrielle et commerciale a élu domicile spécialement dans la partie la plus septentrionale du pays, à savoir la bande côtière allant de l’ouest jusqu’à l’est. Plusieurs facteurs historiques, climatiques et sociologiques peuvent expliquer cette tendance de vivre sur un territoire spécifique au détriment du bon sens et de la rationalité.

Ce déséquilibre flagrant a amené la densité moyenne de la population à se situer dans l’intervalle de 300 à 500 habitants/km2 dans certaines parties des wilayas du Nord, tandis que dans les zones steppiques, elle descend parfois au-dessous de 50 habitants/km2. Dans les wilayas du Sahara, il est enregistré les densités les plus faibles du pays descendant jusqu’à allant 10 habitants/km2.

Les symptômes de la saturation des territoires de l’Algérie septentrionale sont aujourd’hui manifestes. La concentration des activités économiques y a créé des problèmes de circulation presque insurmontables (le nombre d’accidents de la route est dans ce cas un des indices majeurs), d’autant que le réseau du chemin de fer a été le parent pauvre du développement national depuis l’indépendance.

D’autres problèmes d’infrastructure et d’équipement annoncent une asphyxie prochaine de la bande littorale (AEP, décharges publiques, réduction drastique de réserves foncières pour les programmes d’équipement, rétrécissement du déjà fragile tissu forestier,…).

Un autre signe d’un flagrant du déséquilibre de la répartition spatiale des activités économiques et commerciale sur le territoire nationale : jusqu’à la fin des années 2000, seules 5 ou 6 wilayas produisaient 85 % de la matière fiscale nationale.

Les efforts de la collectivité nationale s’épuisent à multiplier le nombre d’unités d’habitat, à augmenter le nombre d’école et de lycées, à étendre le réseau routier et autoroutier, à mobiliser chaque année davantage la ressource hydrique, y compris par le coûteux moyen de construction d’usines de dessalement d’eau de mer, …pour que, à la fin, ces efforts soient neutralisés par une croissance démographique avoisinant la moyenne de 1 million de naissances vivantes par an et une persistante attractivité, toujours ‘’magique’’, pour les territoires du Nord.

Corriger les déséquilibres et promouvoir l’attractivité des territoires

Inévitablement, le processus d’épuisement des ressources foncières, hydriques, minérales et biologiques, trouve ici son meilleur terrain d’expression.

Ainsi, les dysfonctionnements des systèmes écologiques et environnementaux ont atteint un tel degré de menace sur les ressources naturelles et les équilibres spatiaux qu’ils risquent même de compromettre la vie des géné rations futures.

Le paradoxe pour notre pays- et pour des pays de même envergure - est de subir, sur le plan de l’environnement et du cadre de vie, les conséquences et les travers du monde moderne sans qu’il puisse jouir des facettes positives de cette ‘’modernité’’.

L’on se rend compte que l’urbanisation effrénée et anarchique a déstabilisé le cadre de vie des citoyens victimes de l’exode rural et du chômage ; les monticules de décharges sauvages font partie d’un ‘’décor’’ national contre lequel les pouvoirs publics n’ont apparemment pas de solution définitive, en l’absence d’une politique audacieuse d’économie circulaire tendue vers la valorisation des rejets domestiques et industriels par l’industrie du recyclage. Cette dernière demeure balbutiante et n’arrive pas à sortir de la vision étroite de la micro-entreprise.

Plusieurs études relatives à des thèmes spécifiques, tels que l’environnement, l’urbanisme, l’extension des superficies agricoles, l’emploi, le tourisme, les zones industrielles, la protection des espaces forestiers, etc, ont pu trouver des points communs, s’interrogeant sur des problématiques similaires liées à l’espace et à la démographie. Les points de convergence ont été exploités par des aménagistes, des experts et des institutions techniques relevant de l’État.

La prise de conscience qui en a suivi est celle inhérente au grave danger qui pourrait mettre en péril l’équilibre général du territoire et le caractère durable des ressources. Les choses prennent un aspect plus complexe dans le contexte des changements climatiques.

Ces derniers ne relèvent plus de la « littérature » de spécialistes ou de discussions de salon. Ils sont une réalité criante, faisant vivre à notre pays une sécheresse de trois ans, un tarissement des barrages hydrauliques, une intensité jamais connue dans le domaine des incendies de forêt, des tempêtes de sables plus fréquentes et une production agricole problématique.

L’ensemble de ces défis, que des experts algériens ont identifiés depuis plusieurs années, a donné naissance à l’idée d’un schéma d’aménagement intégrant les paramètres sociaux, économiques, fonciers, physiques et biologiques des différentes régions du pays ( littoral, monts du Tell, Atlas saharien, système oasien et zones arides du Sahara).

L’aménagement du territoire, c’est aussi une division administrative rationnelle qui réponde aux véritables besoins des populations ; c’est également une décentralisation des institutions politiques et administratives pouvant amorcer le processus de la bonne gouvernance.

Amar Naït Messaoud

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