Les études cliniques otages d’un «couac» législatif

03/02/2022 mis à jour: 00:44
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Le ministère de l’Industrie pharmaceutique a évalué, depuis janvier 2021, une trentaine d’études cliniques, dont 9 notifications substantielles portées sur des études déjà existantes en attendant la publication du décret portant organisation des centres d’études de bioéquivalences et des prestataires de services dans le domaine des essais cliniques ainsi que les indemnités aux personnes participant à ces essais cliniques.

Ce texte, qui est toujours en examen au niveau du gouvernement, vient compléter le cadre réglementaire mis en place par le ministère de l’Industrie pharmaceutique pour assurer l’activité qui lui est conférée et assurée par la sous-direction de la promotion des études cliniques et de la recherche pharmaceutique et supervisée par l’Agence nationale des produits pharmaceutiques, conformément à l’ordonnance n°20-02, du 30 août 2020 modifiant et complétant la loi n°18-11 du 18 du 2 juillet 2018 relative à la santé et ses textes d’application, régissant la recherche clinique.

L’article 381 issue de cette modification stipule que «les études cliniques sont subordonnés à l’autorisation du ministre de l’Industrie pharmaceutique qui se prononce dans un délai de trois mois, sur la base d’un dossier médical et technique et d’une déclaration de réalisation d’étude clinique sur l’être humain présentés par le promoteur.»

Comme elles sont également soumises à l’avis du comité d’éthique médicale, «un organe indépendant créé au niveau des services extérieurs de la santé», est-il précisé et «ses activités sont supervisées par les services compétents du ministère de la Santé».

L’article de loi prévoit également la promulgation des textes réglementaires fixant ses missions, sa composition, son organisation et fonctionnement. Ainsi, en attendant la mise en place de cet organe, des comités d’éthique installés à cet effet à l’issue de la promulgation du texte régissant les bonnes pratiques en matière d’essais cliniques en 2005 et l’arrêté n°387 du 31 juillet 2006 relatif aux essais cliniques, qui définit les conditions dans lesquelles s’effectuent les essais cliniques sur l’être humain, continuent d’assurer l’activité dans le respect des dispositions réglementaires du ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière.

«Tout essai clinique est soumis à une méthodologie rigoureuse basée sur les standards internationaux, que ce soit au sein d’une structure hospitalière ou en ambulatoire», relève le Pr Nourredine Zidouni, ancien président du comité scientifique au CHU de Beni Messous et qui avait approuvé des dossiers d’essais cliniques autorisés. Il rappelle que la réglementation à ce propos est claire et la réalisation de ces études cliniques obéissent à des conditions drastiques.

«Nul ne peut lancer une étude clinique sans l’aval du comité scientifique sur la faisabilité des essais et le comité d’éthique, pour statuer sur la question éthique, au sein de la structure hospitalière après l’autorisation de l’établissement et la tutelle, le ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière à l’époque. Ces études sont également soumises aux comités sectoriels de recherche scientifique et au Conseil national d’éthique», a-t-il rappelé. Et de préciser que «des études multicentriques régionales et internationales ont été réalisées pour certaines aires thérapeutiques et publiées dans les revues internationales».

Retard

Gelées depuis quelques années par la direction de la pharmacie au ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière, les experts cliniciens ont à maintes reprises déploré le retard enregistré par l’Algérie comparativement aux pays voisins dans le domaine de la recherche clinique.

Pour le Pr Amar Tebaibia, président du comité des experts cliniciens, il est temps de relancer ces études cliniques qui n’ont jamais été réalisées, sans l’approbation de la tutelle, car «nous sommes demandeurs pour pouvoir faire bénéficier nos malades d’une bonne prise en charge et l’accès à l’innovation et leur offrir des chances de guérison de certaines maladies. Tous les examens d’exploration et de contrôle sont pris en charge, parfois même le transport».

Réduire la facture d’importation

«D’ailleurs, certains pays conditionnent l’enregistrement d’un médicament d’innovation à une étude clinique dans le pays et l’objectif est de réduire la facture à l’importation», a-t-il souligné. «C’est également bénéfique pour nos centres hospitaliers de participer à la recherche pour aller vers une médecine d’excellence et être visible à l’internationale à travers les publications dans des revues indexées», a-t-il spécifié.

Mais il déplore les pertes sèches enregistrées par l’Algérie depuis des années dans ce domaine, «sans que l’on ait accès à des schémas thérapeutiques déjà utilisés ailleurs dans le monde, notamment dans la lutte contre le diabète». Le Pr Kamel Bouzid, chef de service d’oncologie au CPMC, rappelle qu’un essai clinique lancé il y a trois ans, inscrit dans le traitement du cancer du côlon métastatique, est toujours en cours et les conclusions seront publiées en juin prochain au congrès américain.

Cette étude, précise-t-il, menée avec la CRO Clinica group a inclus 72 patients, dont seulement 66 suivent le traitement. «La loi à ce sujet est très claire. Les textes réglementaires existent et nous sommes tenus de les appliquer conformément aux exigences de la tutelle et nul ne peut transgresser les dispositions réglementaires.

Ces études font participer directement les professionnels de santé au sein des structures hospitalières après approbation par les comités scientifique et d’éthique. Nous n’avons rien inventé. Les essais cliniques obéissent à des règles bien établies», a-t-il ajouté. Par ailleurs, par une instruction du 18 janvier dernier, le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, a rappelé les professionnels de santé au niveau des établissements publics qui participent aux essais cliniques qu’ils sont «soumis obligatoirement à une autorisation préalable de l’administration centrale».

Il exige également «l’accord préalable du chef de l’établissement pour toute participation aux activités d’expertise médicale et de consulting pour le compte d’institution et organismes relevant d’autres secteurs engageant la responsabilité du département ministériel dont ils relèvent».

Le président de l’Association des praticiens hospitaliers, le Pr Abdelmadjid Bessaha, estime que «cette instruction mérite d’être plus explicite pour fixer justement les critères définissant le profil de l’expert et le consultant, notamment dans le domaine de la santé, afin d’assurer les principes de l’impartialité, l’équité et l’éthique surtout lorsqu’il s’agit de médicaments», a-t-il soutenu, tout en rappelant que «ceux-là ne doivent assurer aucune responsabilité au niveau de l’administration, de l’instance dirigeante et dans l’exécutif d’un syndicat et la chefferie de service.

Le ministère de la Santé doit veiller au respect de ces critères», a-t-il insisté. Ainsi, le rappel à l’ordre des professionnels de la santé, à travers l’instruction du ministre Abderrahmane Benbouzid, laisse comprendre que cette activité «est du ressort du ministère de la Santé, malgré l’ordonnance modifiant et complétant la loi sanitaire», relève un spécialiste.

Rappelons que le ministre de l’Industrie pharmaceutique, Lotfi Benbahmed, a déclaré à la radio qu’«on essaye de nous bloquer aussi sur les essais cliniques, alors qu’une ordonnance présidentielle autorise le MIP en tant que ministère de lancer de telles expertises et recherches cliniques pour homologuer des médicaments». Il rappelle que l’ANPP est «l’unique établissement public en charge de lancer et d’organiser des essais cliniques et d’enregistrer ou d’homologuer des produits pharmaceutiques, et des dispositifs médicaux à usage de la médecine humaine en Algérie».

 

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