Les émeutiers qui ont pris d'assaut les bâtiments institutionnels de Brasilia présentent des profils très variés, mais sont cimentés par une haine viscérale du "communisme" incarné selon eux par le président Lula, qu'ils refusent de voir gouverner le Brésil. Mais qui sont-ils et que voulaient réellement dimanche ces fidèles de l'ex-président d'extrême droite Jair Bolsonaro?
Ils aiment prendre des selfies dans les grands moments. A visage découvert. Les autoportraits de 30 d'entre eux s'étalaient sur une page entière du quotidien O Globo mardi, sous le titre sans appel: "les selfies sur les réseaux sociaux permettent des identifications".
Parmi eux figurent un neveu de Bolsonaro, une youtubeuse célèbre, un artiste plasticien ayant participé à l'émission de télé-réalité Big Brother Brasil, un général de réserve ancien chef de la logistique du ministère de la Santé.
Sur ce trombinoscope d'insurgés blancs, noirs, métis, jeunes ou âgés, on voit aussi la femme d'un ex-gouverneur d'Etat, un pasteur évangélique, une suppléante à la Chambre des députés, des élus locaux, des fonctionnaires, un agronome, une retraitée, un mécanicien.
Sur son profil Instagram, un colonel de réserve a posté une vidéo dans laquelle il hurle à en perdre le souffle des insultes à l'égard de généraux des forces armées: "Fils de p..." écume-t-il.
D'autres ont posté des vidéos dimanche dans lesquelles ils commentent: "ils envahissent tout", ou évoquent "une guerre".
Ce sont majoritairement des anonymes qui ont fait le coup de force, dans un mouvement parfaitement organisé depuis des jours grâce aux messageries instantanées, Telegram et WhatsApp notamment.
Presque tous vêtus de t-shirts jaunes et verts aux couleurs du drapeau national, dans lequel beaucoup s'étaient drapés, ils ont pris d'assaut le palais présidentiel du Planalto, le Congrès et la Cour suprême.
Ils y ont chanté l'hymne national tout en provoquant d'énormes dégâts.
"un Brésil libre"
Le but avoué de ceux que le président de gauche Lula a appelé des "fascistes" et des "terroristes": semer le chaos pour provoquer une intervention militaire et empêcher l'arrivée du "communisme" au Brésil.
Sur le premier point, ils ont parfaitement réussi, pendant plusieurs heures.
Pour le reste, l'armée n'est pas sortie de ses casernes.
"J'ai pris part aux événements parce que je veux un Brésil libre, débarrassé du communisme", a expliqué Augustinho Ribeiro à l'AFP-TV, après avoir été relâché à la suite de son interpellation à Brasilia.
Jair Bolsonaro n'a cessé durant la campagne électorale d'agiter le chiffon rouge du "communisme" si Lula l'emportait.
"Nous vivons dans l'oppression. Nous pensons que notre pays peut devenir communiste", craint elle aussi Lucia, une retraitée libérée également, qui ne veut pas donner son nom de famille.
Le gros des troupes des bolsonaristes déchaînés dimanche était rassemblé dans un campement au coeur de Brasilia depuis l'élection en octobre de Lula, dont ils n'ont jamais reconnu la victoire "frauduleuse".Un partisan de l'ex-président d'extrême droite sur le point d'être évacué par la police d'un campement devant une caserne militaire (AFP - Mauro PIMENTEL)
En raison de leur agressivité, les journalistes ne pouvaient pas les approcher.
Une semaine avant l'investiture de Lula le 1er janvier, un bolsonariste avait échoué dans une tentative d'attentat à l'engin explosif à Brasilia.
"Nous ne voulons que la liberté. Personne n'est allé là-bas pour tuer", a expliqué à l'AFP une femme du campement, relâchée après son interpellation, et qui ne souhaite pas dire son nom.
Et en effet, contrairement aux assaillants du Capitole à Washington, les émeutiers de Brasilia n'étaient pas armés, et dans un pays où Bolsonaro a fait exploser les ports d'armes, personne n'a été tué. Les bâtiments visés étaient vides, un dimanche et en pleines vacances parlementaires.
Provocation de la gauche
Tous les électeurs de Bolsonaro en octobre -- 58 millions -- sont loin d'approuver une telle violence, due à un noyau dur de partisans irréductibles, dont beaucoup de complotistes, biberonnés à la désinformation massive sur les réseaux sociaux bolsonaristes.
La thèse d'une provocation de la gauche s'est répandue comme une traînée de poudre.
"Quand les bolsonaristes sont arrivés là-bas, tout avait déjà été cassé", assure un émeutier à l'AFP-TV, "il y a eu des infiltrés du PT (le Parti des travailleurs de Lula) sur l'esplanade. On a été trahis".
"Oui j'ai lu ça sur les réseaux sociaux, il y a eu des infiltrés dans notre mouvement jaune et vert", dit lui aussi Ayrkol Lorena, 62 ans, qui protestait devant un campement de bolsonaristes à Sao Paulo.
"Nous sommes très en colère après l'élection de Lula", ajoute-t-il.
Si la réponse du gouvernement de gauche a été très ferme, les bolsonaristes radicaux n'ont pas renoncé pour autant. D'autant moins que leur champion, réfugié aux Etats-Unis, n'a condamné leur violence que du bout des lèvres.
"S'ils pensent qu'ils vont nous intimider avec ça, ils se trompent complètement", dit Augustinho Ribeiro. "On se repose et on reprend le combat".