Le triomphe de la culture de la pomme de terre dans l’oasis d’Ouled Aissa wilaya de Timimoun : De la volonté à l’action

18/05/2024 mis à jour: 03:13
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Le jeune Boudjema Teganti - Opération ramassage de la pomme de terre

Il est intéressant de rappeler que la quasi-totalité des cultures vivrières pratiquées dans les oasis sahariennes, dont un pourcentage important sous palmier dattier, constituent les aliments de base des populations locales du Sud (ail, oignon, fève, citrouille, courgette, aubergine, carotte, gombo, betterave, haricot, menthe, coriandre, orge, blé dur…). Une partie de ses produits frais et variés est consommée directement par les producteurs, et le surplus est vendu au niveau des marchés locaux ou de proximité. Nous devons savoir que l’autoconsommation joue un rôle important dans l’économie nationale. 

A l’instar d’autres zones sahariennes, l’oasis d’Ouled Aissa, chef-lieu de commune qui se trouve à 70 km au nord-ouest du chef-lieu de la nouvelle wilaya de Timimoun région du Gourara, est devenue pionnière dans la production de cultures maraichères, dont la pomme de terre classée comme un produit stratégique.
Une initiative qui a germé pendant plusieurs mois et qui a été lancée par deux jeunes pleins de volonté avec un accompagnement déployé à distance par un agriculteur qui maîtrise bien les techniques de la pomme de terre à partir de la wilaya d’El Oued et par le Docteur Mohamed Bouchentouf à partir de Paris. Le projet consiste à l’introduction de la culture de la pomme de terre dans les oasis d’Ouled Aissa comme il a été fait à El Oued. 

C’est au début du mois de septembre que le chantier a été lancé avec leurs propres moyens. Malgré les conditions difficiles, le manque de moyens, le peu de connaissances technique et le prix des intrants, ces deux pionniers originaires d’Ouled Aissa dont le premier Rachid, un commerçant âgé de 38 ans et le second Boudjema, un diplômé de l’université d’Adrar âgé de 29 ans ont procédé à l’aménagement d’une parcelle d’environ 1 ha recouverte d’une fine croûte de sel en divers endroits pour un projet de cultures maraichères en priorisant la pomme de terre. La première opération a consisté à délimiter et matérialiser la parcelle en confectionnant une haie de protection naturelle à partir des palmes sèches du palmier dattier avec un remblai de sable. Cette clôture brise-vent joue un rôle primordial pour l’environnement, notamment contre les vents et vents de sable et la protection contre les intrusions. 
 

Elle a été suivie par la préparation du sol avec un épandage ou amendement en sable pour ameublir et améliorer l’état du sol et faciliter le lessivage des sels avec une irrigation par inondation ou submersion. Elle s’est terminée par un apport de fientes de volailles comme engrais organiques sachant que ce type d’engrais fortement azoté et facilement assimilable par les cultures, exerce une action très favorable sur la structure du sol, sa fertilité et accroît la capacité de rétention en eau du sol. Cet engrais organique a été acheté et amené d’une région de l’est du pays située à environ plus de 1000 km du lieu du projet puis la préparation du substrat, l’installation du réseau d’irrigation goutte à goutte et la plantation à la main en respectant la densité et les écartements recommandés dès la fin de la première quinzaine du mois de septembre. 

Le choix a été fait pour la variété de pomme de terre Bartina amenée de Oued Souf et reconnue pour sa précocité, son adaptation, ses tubercules de forme allongée ou oblongue et de gros calibre avec une couleur de peau rouge, résistante aux nématodes et son potentiel de rendement très élevé.  Les pommes de terre plantées proviennent d’El Oued d’un lot de pommes de terre de consommation. Aucun engrais chimique n’a été utilisé pour ce premier essai. Il est crucial de voir quel est le type d’engrais foliaire biologique le plus efficace pour la pomme de terre est à recommander. Pour la production de pomme de terre d’arrière-saison qui intéresse les zones sahariennes, la période de plantation est fin août-début septembre.

Pour l’irrigation, des apports nombreux et de courte durée ont été effectués plutôt que des apports espacés, irréguliers et en grande quantité. Il faut savoir que les besoins en eau de la pomme de terre sont très élevés, particulièrement au moment de la croissance foliaire et la tubérisation. Très vigoureuse avec un cycle végétatif variant entre 90 et 110 jours, les rendements peuvent dépasser les 60 tonnes par ha. C’est un investissement un peu couteux par rapport à la disponibilité et le coût des facteurs de production ou intrants. Il y a eu l’embauche de 3 ouvriers saisonniers pendant environ 6 mois pour des jeunes de la commune d’Ouled Aissa.    Le rendement moyen par plant est estimé à 1,5 kg par plant pour ce premier essai dont les résultats sont encourageants, soit une bonne production pour la première fois évaluée à 30 tonnes. La production a été écoulée au niveau des marchés locaux de la jeune wilaya de Timimoun à un prix de vente variant entre 50 et 70 DA le kg avec des récoltes échelonnées entre le début du mois de décembre 2022 jusqu’au mois de mars 2023.Le souhait de Rachid et Boudjema est de poursuivre cette première expérience par l’introduction d’un premier pivot d’irrigation rotatif sur 1 ha. 

Le maraichage peut prendre de l’ampleur dans cette zone, notamment la culture de la pomme de terre. Il ne faut pas se jeter dans des cultures spéculatives comme le melon et la pastèque pour plusieurs raisons en priorisant des cultures adaptées et peu exigeantes en eau.La promotion du renforcement des capacités des producteurs, l’amélioration de leurs performances techniques par les volets formation, vulgarisation, le perfectionnement et la gestion de l’exploitation agricole pose un défi majeur.

 L’Institut technique de développement de l’agronomie saharienne joue un rôle important dans les essais de variétés les plus performantes et les mieux adaptées aux conditions locales ou agroécologiques du Sud que ce soit, pour la pomme de terre de saison ou arrière-saison, et ce, à travers les fermes de démonstration et de production de semences qui sont implantées dans les différentes zones agroécologiques au sud du pays. La communauté scientifique, l’Institut national de la recherche agronomique, l’Institut de technologie moyen de l’agriculture saharienne de Timimoun, les centres de la formation professionnelle, la chambre de l’agriculture, la direction des services agricoles et la conservation des forêts ont des missions déterminantes dans la promotion de l’agriculture. Le jeune Boudjema Teganti  enthousiasmé et passionné par le travail de la terre et ce succès éclatant, a eu l’occasion d’assister à des ateliers pratiques au niveau de la micro-ferme écologique et innovante la Clé des Oasis Badriane Timimoun.  

C’est une plateforme d’innovations et de résilience d’un système de production diversifié, un espace pédagogique de partage et d’échanges de connaissances, d’expérimentation. C’est aussi un véritable laboratoire vivant qui s’efforce de travailler sur le système oasien multiétages avec 5 strates de cultures autour du palmier dattier, le référentiel technico-économique des itinéraires techniques et la préservation et valorisation des semences locales, clé d’une agriculture plus résiliente aux changements climatiques pour assurer l’autosuffisance alimentaire et que le Dr Mohamed Bouchentouf a initié et créé depuis quelques années. N’oublions pas que l’atout majeur dont disposent les régions sahariennes est le soleil. Malheureusement, celui-ci n’est pas exploité de façon optimale et l’amélioration du couple eau/soleil est envisageable. Que les conditions climatiques en zones sahariennes présentent les meilleures caractéristiques pour le développement des cultures maraîchères. 
 

Que la connaissance est le meilleur investissement et que les actions de vulgarisation des techniques de conduite des cultures et de conseil agricole sont importants pour améliorer les performances des exploitations agricoles et les capacités des agriculteurs à innover. En respectant l’itinéraire technique, notamment la gestion de la fertilité du sol avec le système d’irrigation le plus approprié qui est le système goutte à goutte avec ses nombreux avantages et la protection phytosanitaire, chaque plant de pomme de terre ou tubercule peut donner un rendement compris entre 4 et 7 kg. 
 

La culture de pomme de terre offre un bon rendement, ce qui en fait une activité très rentable. Pour les producteurs professionnels, le rendement est bon à partir de 45 tonnes/ha. Nous pouvons conclure que la filière de la pomme de terre constitue une production rentable dans les agrosystèmes sahariens qui pourraient dans un avenir proche et sans tarder produire des semences pour les régions du nord du pays. La filière de légumes de pleins champs, «un produit à haute valeur ajoutée et cultivable sur de petites surfaces» est l’une des solutions à promouvoir avec une planification des productions dans les exploitations agricoles afin «d’avoir une offre correspondant à la demande». 
La volonté trouve des moyens.

 

 Par Dr M. Bouchentouf 

Ingénieur, docteur en agronomie
 

 Docteur en environnement et développement durable  Ancien cadre au ministère de l’Agriculture et du Développement rural                                                                                                                    
 

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