Le peuple et la foule

27/03/2023 mis à jour: 18:33
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Eschyle, célèbre dramaturge grec, «ne consentait à vivre ni dans l’anarchie ni sous le despotisme». C’est dire que ni l’un ni l’autre n’est éligible à réguler la vie en société. La démocratie, qui reste l’alternative la plus plausible pour permettre à la majorité de maintenir un certain équilibre consenti, semble battre de l'ailes, et la situation advenue en France, qui a frôlé le chaos, est là pour nous le rappeler, frustrant même le roi Charles lll d’une visite pourtant programmée.

En fait, l’humanité, dans sa globalité, paraît devoir affronter des périodes difficiles, en raison des rivalités hégémoniques, des antagonismes économiques et les effets dévastateurs d’une mondialisation qui a montré toutes ses limites.

Et voilà que la démocratie, modèle tant vanté, se trouve elle aussi ébranlée, qui plus est dans la patrie des droits de l’homme, tout autant, par sa campagne de démagogie que par les abus autoritaires blessants et arrogants des dirigeants, qui ont fait se lever les tempêtes, en refusant, notamment, les débats sociaux.

Cette posture a inévitablement donné lieu à un conflit aux lourdes conséquences, qui a dressé les uns contre les autres, suscitant parmi eux des désordres, des violences, une atmosphère de guerre.

Mais c’est sans doute la dérive langagière du président français qui a mis le feu aux poudres, lorsqu’il a déclaré, devant les parlementaires de sa majorité, que «la foule» de manifestants opposés à la réforme des retraites n’avait pas «de légitimité» face «au peuple qui s’exprime à travers ses élus». «Aujourd’hui, ce n’est pas la foule qui s’oppose à Emmanuel Macron, c’est le pays tout entier», a réagi le député de France insoumise, François Ruffin. Selon lui, c’est plutôt la loi portée par l’Exécutif qui n’a «pas de légitimité» face «aux syndicats unis qui disent non et aux millions de personnes dans la rue».

Quant à Jean-Luc Mélenchon, le chef de la France insoumise, il ne fait pas dans la dentelle, en estimant que «le président Macron a, une fois de plus, parlé pour ne rien dire. On n’y retrouve que les marques traditionnelles du mépris, dont il nous a accablés jusque-là.

Alors que le pays s’enfonce dans une impasse, comment peut-on mentir avec autant d’arrogance comme à ces moments où il nous dit qu’il faut tenir compte de la pénibilité, de l’usure du corps au travail, alors qu’il vient de retirer les critères de pénibilité du texte de loi. Ses propos méprisants pour la foule, comme il dit, ‘’la foule est au peuple ce que le cri est à la voix’’».

Par-delà les empoignades sur le terrain, faut-il voir dans cette situation l’effet d’un coup de pouce providentiel, pour des rassemblements de foules considérables, d’échanges virtuels effectués sur les réseaux sociaux, parvenant à souder des citoyens, qui dépassent toutes leurs différences, pour exprimer de fortes aspirations communes.

Que ce bouillonnement démocratique survienne, à ce moment précis, n’étonne guère, parce qu’il est illustratif des colères rentrées et des frustrations subies, exacerbées par le recours à l’article 49,3, notamment, les violences d’un groupuscule identifié par le nombre et l’action destructrice, mais jamais réprimées. En France on est parti pour réformer les retraites, on se retrouve en train de réfléchir sur les moyens de toiletter... la démocratie.

Celle-ci, telle que conçue et pratiquée en Occident (et ailleurs), repose sur le postulat que 51 personnes ont raison contre 49, il se peut, cependant, que la majorité se trompe, des cas où seuls quelques hommes voient clair, alors que la multitude s’égare complètement. Sans oublier l’exigence que tous les citoyens soient doués de vertu ressort même de la démocratie, comme l’a conçue Montesquieu. Or, comme la plupart des humains n’étant guère vertueux par nature... il est illusoire d’aborder un chapitre à première vue inabordable. Hamid Tahri

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