Le pain noir des boulangers d’El Tarf

28/02/2022 mis à jour: 09:45
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L’activité connaît de sérieuses difficultés / Photo : D. R.

Dans ce métier pénible, les boulangers sont obligés de faire parfois des acrobaties à la limite de la légalité pour ne pas mettre la clé sous le paillasson.

Dans le sillage de la suppression de taxes de loi des finances 2022 pour modérer la hausse vertigineuse des prix de certains produits, le chef de l’État a annoncé lors d’une interview sur la chaine télé nationale, la suppression de l’impôt sur le chiffre d’affaires pour les boulangers. «C’est positif, mais insuffisant», ont déclaré des représentants nationaux de la corporation et à El Tarf on nous a fait part d’une « répression » des services la direction du commerce et de la promotion des exportations (DCPE).

Les contrôles se sont multipliés depuis la réunion tenue le 17 janvier entre l’administration et les parties concernées, représentants de la profession et association de protection du consommateur lors de laquelle les boulangers ont été informés et avertis qu’ils seront dorénavant soumis à l’application stricte de la loi. Les agents de la DCPE exigent que le pain dit normal ou ordinaire, fait seulement de farine, d’eau, de levure et de sel, vendu à 10 DA la baguette de 250 g, soit disponible à toute heure de la journée dans une boulangerie ouverte.

En fait, le prix de la baguette ordinaire est de 7,50 DA selon le décret exécutif n°96-132 du 13 avril 1996 portant fixation des prix des farines et des pains, mais on a laissé les boulangers appliquer unilatéralement la hausse de 2,50 DA face à leurs grèves récurrentes pour réviser un décret dépassé par l’envolée des prix des matières premières, de l’énergie et de la main-d’œuvre et des réalités du quotidien. Encouragés par cette augmentation que les pouvoirs publics ont feint d’ignorer, et pour, disent-ils, rentrer dans leurs frais, les boulangers d’Algérie ont usé d’un subterfuge.

Ils faisaient, ou ne faisaient pas du tout, une quantité limitée de pain ordinaire à 10 DA en regard de la réglementation et la farine subventionnée qui leur est cédée à 2000 DA le quintal, et une quantité plus importante de pain dit amélioré, avec de l’huile en plus, du sucre et de l’améliorant, vendu à 15 DA la baguette de 250 gr au lieu des 8,50 DA fixés par la loi. Du coup, on ne trouve plus de pain normal, mais seulement de l’amélioré.

Un dialogue de sourds

«Ils (la DCPE ndlr) ont fermé l’œil des années durant et voilà que maintenant on veut du jour au lendemain mettre fin à un accord certes tacite passé entre les pouvoirs publics et la corporation», s’insurge Riad Chawki Saïeb, président du bureau d’El Tarf de l’Organisation nationale des artisans et commerçants (ONACI). «Nos préoccupations sont actuellement prises en charge au plus haut sommet de l’État, pourquoi alors cette soudaine répression et les sanctions contre des confrères à qui on a infligé des amendes de 50 000 DA ?» s’interroge encore le syndicaliste qui a assisté aux rencontres avec la directrice du commerce et de la promotion des exportations qui avait donné l’impression de comprendre cette situation conjoncturelle.

Il y a manifestement un dialogue de sourds. La loi doit s’appliquer dans toute sa rigueur, c’est certain. Parce que c’est la loi et parce que la farine est subventionnée pour que le pain soit accessible aux plus démunis, mais dans ce cas il s’agit d’une application rétroactive à la suite d’une période de laxisme de plusieurs décennies. Nul n’ignore aujourd’hui pour avoir pâti des multiples grèves des boulangers qu’ils exigent une révision à la hausse des prix du pain depuis de longues années.

Si le quintal de farine, nous disent-ils, est fixé à 2000 DA livré à la boulangerie, il nous revient jusqu’à 2500 DA et même 2800 DA en été, aux 6 minoteries privées d’El Tarf ou publiques comme «Les moulins de l’est d’Annaba» qui n’assurent plus le transport, le chargement et le déchargement des sacs.

À ce propos, l’administration n’a rien jamais fait pour contrôler et y mettre fin. À cela il faut ajouter les frais et les charges qui ne cessent d’augmenter. C’est un métier très difficile et les boulangers sont obligés de faire parfois des acrobaties à la limite de la légalité pour ne pas mettre la clé sous le paillasson.

Pour le président du bureau de l’ONACI, il y a certainement un terrain d’entente qu’il faut trouver par le dialogue. Il n’y a aucun problème à être sans concession pour appliquer sévèrement la réglementation sur les conditions d’hygiène et les certificats médicaux des employés, mais à quoi rime le soudain harcèlement sur la disponibilité du pain ordinaire qui, dès le petit matin, a disparu depuis la fin des années 1990 des étagères.

«La décision de Abdelmadjid Tebboune de supprimer l’impôt sur le revenu est à féliciter, mais elle est loin de compenser le manque à gagner», nous disent les boulangers. Selon leurs calculs, elle ne serait que de quelques dizaines de milliers de dinars par an pour les meilleurs d’entre eux. 

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