Le combat d’un Sicilien fils de repenti contre Cosa Nostra

25/01/2023 mis à jour: 01:43
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Giuseppe Cimarosa

Giuseppe Cimarosa connaît la mafia et ses méthodes d’intimidation de très près. Ce Sicilien de 40 ans est le fils d’un mafieux repenti et sa mère est une cousine de Matteo Messina Denaro, le parrain le plus puissant de Cosa Nostra arrêté le 16 janvier à Palerme au bout de 30 ans de cavale. Pour ce militant antimafia convaincu, qui a assisté impuissant il y a quelques années à la mort mystérieuse d’un de ses chevaux, le combat contre la Pieuvre passe aujourd’hui par l’éducation des jeunes pour changer les «mentalités» qui régissent encore une société vivant depuis des décennies sous son joug. Après l’arrestation de Matteo Messina Denaro, «la vraie bataille est maintenant d’ordre culturel», insiste ce barbu quarantenaire dans un entretien avec l’AFP au centre équestre qu’il gère dans l’ouest de la Sicile dans la campagne de Castelvetrano, le fief du parrain sous les verrous dont la planque se trouvait à seulement quelques kilomètres de là. «Maintenant, il faut changer la mentalité des gens. L’ennemi n’est plus la mafia, mais la mentalité mafieuse qui malheureusement conditionne encore les comportements ou simplement la façon de penser», explique M. Cimarosa, qui a organisé jeudi une manifestation antimafia sous les fenêtres de la maison familiale du parrain dans le centre historique de la ville. «Il faut commencer avec l’enseignement dans les écoles, et puis l’Etat doit être solidaire de ceux qui comme moi se rebellent», affirme celui qui a convaincu son propre père de collaborer avec la justice pour mettre plusieurs membres du clan de Messina Denaro derrière les barreaux. Le poids de l’omerta, cette loi du silence imposée par la mafia, se ressent encore fortement dans la société sicilienne: les médias débarqués à Castelvetrano pour couvrir la fin de la cavale du criminel le plus recherché d’Italie, dont l’AFP, ont dû affronter la réticence des habitants à témoigner. «La mafia fonde toute sa force sur la peur, et donc les gens ont peur de s’exposer, ils préfèrent regarder ailleurs, sans se rendre compte que c’est l’affaire de tous», déplore ce militant passionné, qui rappelle que la tombe de son père repenti a été détruite deux fois. «Mon père a brisé un mur d’omerta qui à ce moment-là était très fort», et sa collaboration avec la justice «est née justement du conflit qui nous opposait», dit-il. Lui-même n’a «jamais reçu de menaces explicites (de la mafia, ndlr), mais il s’est passé des choses pouvant être interprétées comme des messages: j’ai retrouvé un des mes chevaux mort, et tout de suite après la mort de mon père, sa tombe a été détruite, à deux reprises», témoigne-t-il. Lui et sa famille ont malgré tout choisi de renoncer au programme de protection proposé par la justice et de rester vivre à Castelvetrano. «Je ne pouvais pas accepter de renoncer à mon identité et à qui je suis à cause d’un criminel que je ne connais pas», justifie-t-il. «Je suis resté ici parce que c’est ma mission, parce que je crois que c’était trop facile de dire ce que j’avais à dire de loin, cela a plus de valeur si je le dis à Castelvetrano». Aujourd’hui, il se sent «un peu plus en sécurité» et se veut optimiste: «la mafia n’est plus invincible comme elle pensait l’être, l’Etat est plus fort». Il place tous ses espoirs dans «l’affrontement entre générations, un affrontement de mentalités qui peut se produire au sein d’une même famille», comme cela a été le cas entre lui et son père.

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